Suisse
Interview

Pourquoi la Suisse risque de perdre la course aux drones

STALLIKON, 03.12.2025 - Alex Pachikov, Co-Gründer von Sunflower Labs mit den Drohen und den sogenannten "Hive", also der "Garage" der Drohne, fotografiert vor dem B ...
Alex Pachikov est cofondateur de l’entreprise de drones Sunflower Labs.Image: Pascal Mora

Voici ce qui empêche la Suisse d'être la «Silicon Valley des drones»

Dans la course mondiale aux drones, la Suisse risque de perdre du terrain, prévient Alex Pachikov, entrepreneur formé dans la Silicon Valley et qui a développé son entreprise de drone en terres helvétiques.
16.12.2025, 18:5816.12.2025, 19:50
Maurice Thiriet
Maurice Thiriet

La Suisse aime se présenter comme un pôle de la robotique et des drones. Alex Pachikov, cofondateur et PDG de Sunflower Labs, dresse pourtant un constat sévère. Selon l’entrepreneur américain installé à Zurich, la bureaucratie, la régulation fragmentée et la frilosité politique freinent l’innovation et menacent la compétitivité helvétique.

Monsieur Pachikov, où vous sentez-vous le mieux: dans la Silicon Valley ou dans la vallée de la Reppisch dans le canton de Zurich?
Alex Pachikov: J’aime les deux. Nous sommes venus de la Silicon Valley pour nous installer dans la vallée de la Reppisch (réd: rivière zurichoise). C’est à Birmensdorf (ouest de Zurich) que nous avons commencé à développer et tester nos drones de sécurité.

«Mais notre mentalité et notre capital-risque nous viennent de la Silicon Valley. C’est aussi là-bas que nous vendons la majorité de nos systèmes.»

Pas en Europe ou en Suisse?
Non, malheureusement. Nous aimerions vendre davantage ici, mais les obstacles sont élevés.

«Ce n'est pas à ce rythme que la Suisse deviendra un leader dans le domaine des drones»

Roland Siegwart, professeur de l’ETHZ, décrit pourtant Zurich comme la «Silicon Valley de la robotique».
Ce serait formidable si c’était le cas…

Et le chef de l’armement de l’armée suisse promeut, face aux menaces futures, sa vision de la Suisse comme «pays du drone».
Oui, j'ai entendu. Les conditions seraient réunies. Mais pour l’instant, c'est encore très éloigné de la réalité.

Pourquoi?
Quand, il y a près de dix ans, nous avons lancé Sunflower Labs et développé nos premiers drones, l’Europe et la Suisse, avec ses hautes écoles, manifestaient une forte prise de conscience autour du développement des drones et de leur régulation. En 2018, le cadre réglementaire a commencé à prendre forme en Suisse, l’Union européenne (UE) a annoncé vouloir harmoniser les règles de l’espace aérien, et la Suisse voulait suivre.

STALLIKON, 03.12.2025 - In Stallikon ZH werden die Drohnen hergestellt. Blick in die Werkstatt. 

Sunflower Labs in Stallikon stellt Drohen für die Überwachung von Gebäuden und Grundstücken her. 

Pho ...
Les drones sont produits à Stallikon (ZH).Image: Pascal Mora

Et ensuite?
Ensuite, cette intention est restée lettre morte. L’harmonisation n’a jamais eu lieu et, en 2025, nous devons toujours demander des autorisations séparées dans chaque pays européen pour nos systèmes d’alarme par drones.

«C’est un vrai patchwork national. Les autorités compétentes ne savent parfois même pas quelles ordonnances appliquer»

Sequoia, le fonds de capital-risque le plus prestigieux de la Silicon Valley, vient d’investir chez vous. Vous vous êtes imposés, mais vous êtes frustré.
Je ne dirais pas frustré. Plutôt un peu anesthésié par tous ces obstacles administratifs sur notre chemin. Certifications, droit des étrangers, règles d’exportation, audits, protection des données, etc.

«Pour les start-up, la bureaucratie est le plus grand cauchemar»

Le droit des étrangers? Vous êtes Américain et travaillez pourtant ici sans difficulté, non?
Aujourd’hui, oui. Je suis marié à une Suissesse et je ne risque plus d’être expulsé. Mais obtenir un permis de travail suisse comme PDG de l’entreprise que j’ai moi-même fondée, ça n’a pas été simple.

Pourquoi cela?
Priorité aux travailleurs indigènes.

«Mes partenaires suisses ont dû démontrer que l'Américain que je suis était la personne la plus qualifiée pour le poste. On m’a demandé un CV, mais je n’en avais pas.»

J’en ai créé un spécialement pour l’office de la migration (il rit).

Alex Pachikov
Astrophysicien californien d’origine russo-ukrainienne, Alex Pachikov (45 ans) a fondé en 2016 à Birmensdorf l’entreprise de sécurité par drones Sunflower Labs, avec l’ingénieur aéronautique suisse Chris Eheim et l’ingénieur en robotique Nicolas de Palézieux. Lors de sa dernière levée de fonds, l’entreprise a obtenu le soutien de Sequoia Capital, investisseur précoce notamment de YouTube, NVIDIA et OpenAI. Alex Pachikov vit à Riehen (BS) et à San Carlos, en Californie.
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image: Pascal Mora

Quel est le problème avec la protection des données?
Nos drones sont des caméras de sécurité volantes, ils sont donc soumis à des règles strictes en matière de protection des données. Ils sont encore plus sévèrement réglementés que les caméras fixes.

C'est-à-dire?
Nos drones patrouillent autour des objets à protéger. Nous devons donc déployer des efforts considérables pour flouter en temps réel toutes les images situées en dehors des parcelles surveillées.

«Sans cela, notre technologie n’est pas conforme»

Cela paraît logique.
Oui, sauf si on considère que nous filmons depuis l’extérieur un bien qui nous appartient, ou qui appartient à nos clients.

«Pendant ce temps, environ 50 000 caméras de sécurité en Suisse filment depuis des propriétés privées vers l’espace public, et un simple panneau d’avertissement suffit.»

Ce qui nous ramène à la Silicon Valley…
Exactement.

«Ce qui caractérise la Silicon Valley, c’est que la transgression des règles et la disruption ne sont pas seulement tolérées, elles sont encouragées»

Les jeunes entrepreneurs sont incités à remettre en cause le statu quo avec des modèles innovants, quitte à contourner ou enfreindre les lois. Il suffit de penser à Uber ou Airbnb, qui ont bouleversé les secteurs du taxi et de l’hôtellerie.

STALLIKON, 03.12.2025 - Warnschild vor Drohen bei Sunflower Labs in Stallikon. 

Sunflower Labs in Stallikon stellt Drohen für die Überwachung von Gebäuden und Grundstücken her. 

Photo by Pascal Mora
Un panneau d’avertissement contre les drones devant Sunflower Labs à Stallikon (ZH).Image: Pascal Mora

La Suisse ne sera donc jamais la «Silicon Valley des drones»?
Non.

«La Suisse n’est pas la "Silicon Valley des drones", elle est la "Switzerland des drones", et elle devrait assumer cette identité»

C’est un pays où les drones, la robotique et d’autres technologies sont fabriqués de manière fiable et avec une grande qualité, et auxquels les clients du monde entier font confiance. C’est aussi pour cette raison que nous produisons ici.

Uniquement en Suisse?
Jusqu’à présent, oui. Mais avec le passage à la production en série, nous nous rapprocherons probablement des grands marchés, notamment des Etats-Unis, ne serait-ce que pour réduire les coûts de transport et les droits de douane.

La Suisse risque-t-elle de manquer le virage de l’innovation militaire en robotique et en drones?
Je pense que les ingénieurs et les entreprises suisses peuvent apporter une contribution importante, mais l’essentiel se joue ailleurs.

Où exactement?
Aux Etats-Unis, en Chine et bien sûr en Ukraine. Trois éléments stimulent l’innovation: une urgence immédiate, une menace existentielle et la nécessité de trouver des solutions créatives pour survivre physiquement ou économiquement.

«En Ukraine, ces trois facteurs sont réunis»

Les entreprises européennes et américaines y testent donc leurs drones. Dans un tel contexte, la protection des données et la régulation de l’espace aérien ne préoccupent personne.

Et pourquoi les Etats-Unis et la Chine?
Les drones et les robots font déjà partie intégrante de la guerre moderne, et leur importance ne fera que croître.

«Les grandes puissances sont engagées dans une course, non seulement en matière d’armement, mais aussi pour l’hégémonie dans la Big Tech et l’intelligence artificielle»
STALLIKON, 03.12.2025 - Alex Pachikov, Co-Gründer von Sunflower Labs mit den Drohen und den sogenannten "Hive", also der "Garage" der Drohne, fotografiert vor dem B ...
Alex Pachikov devant le bâtiment administratif de l’entreprise.Image: Pascal Mora

Et dans le domaine civil des drones, où est-ce que tout se joue?
En Chine, aux Etats-Unis et en Afrique. Et tout peut aller très vite. Il y a encore un an et demi, personne ne prenait Zipline au sérieux. L’entreprise livrait par drones des poches de sang, des vaccins et d’autres fournitures médicales au Ghana et au Rwanda. Les distances sont longues, les gens meurent vite et il n’y a pas partout des pistes d’atterrissage.

«Ce n’était probablement pas un modèle rentable. Pourtant, aujourd’hui, ils ont effectué 1,6 million de livraisons et se sont également imposés aux Etats-Unis.»

Amazon n’avait pas une longueur d’avance?
Au départ, oui. Mais Amazon n’a pas pu tester et perfectionner ses systèmes avec autant de liberté et sous une pression comparable à celle de Zipline. Il y a encore quelques mois, ils livraient quelques centaines de colis par drones aux Etats-Unis.

«Aujourd’hui, ils construisent 20 000 drones de transport et doublent leur volume tous les deux mois»

Serait-ce imaginable en Suisse? Un ciel rempli de drones-livreurs de pizzas?
Pas de sitôt, je le crains (il sourit). Ici, il suffit qu’un robot-livreur tombe d’un trottoir et les expériences sont interrompues.

«C’est regrettable, car la Suisse dispose de toutes les conditions nécessaires pour rester dans la course mondiale de la robotique.»

Mais?
Mais cela ne fonctionnera que si la politique et l’économie reconnaissent les drones et la robotique comme des industries stratégiques et leur accordent l’espace nécessaire pour innover et produire.

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