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Covid: «Soit le monde des bisounours, soit des mesures énergiques»

Interview

«Soit le monde des bisounours, soit des mesures énergiques»

22.11.2021, 05:5922.11.2021, 06:45
Pour le virologue de l'EPFL Didier Trono, membre de la Task Force scientifique, «à force de rassurer les gens, avec des affiches en couleur et des injonctions inoffensives, nous n'avons clairement pas ...
Pour le virologue de l'EPFL Didier Trono, membre de la Task Force scientifique, «à force de rassurer les gens, avec des affiches en couleur et des injonctions inoffensives, nous n'avons clairement pas été assez persuasifs». Image: shutterstock / keystone / montage watson
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Aujourd'hui, lundi 22 novembre, l'Autriche assigne toute sa population à résidence pour (au moins) 10 jours. Le 1er février prochain, la vaccination devrait être rendue obligatoire dans ce même pays. Pour Didier Trono, virologue et membre de la Task Force scientifique de la Confédération, «la stratégie de communication avec la population a été trop timide, insuffisamment professionnelle» pour que la gravité de la situation soit entendue. Reste que des mesures impensables, il y a encore quelques semaines, ont été décidées juste avant Noël non loin de chez nous.

A quelques jours d'une votation sur la loi Covid sous haute tension, le plan de bataille sanitaire du Conseil fédéral est au centre de tous les regards. Alain Berset s'était d'ailleurs défendu de tout calcul politique sur les ondes de la RTS la semaine dernière: «Vous croyez vraiment que c’est parce qu’il y a une votation dans dix jours qu’on ne prend pas des mesures supplémentaires?»

Beaucoup de questions se posent encore. Comment organise-t-on une vaccination obligatoire comme en Autriche? A quoi ça peut bien servir de confiner les personnes vaccinées? La Suisse va-t-elle forcément y passer? Quid de la 3e dose pour tous? On fait le point avec le responsable du laboratoire de virologie et de génétique à l'EPFL.👇

L'Autriche veut imposer la vaccination dès le 1er février alors que la flambée des cas nous fait face aujourd'hui. Véritable stratégie ou volonté d'effrayer?
Didier Trono: Pour que la vaccination obligatoire puisse être effective au 1er février 2022, il faut évidemment anticiper, ne serait-ce qu'en termes d'infrastructures. Dans deux mois, les Autrichiens ne pourront plus se balader librement sans être vaccinés, ils doivent pouvoir s'organiser un minimum et être à même de terminer leur cycle de vaccination.

La décider, c'est une chose, mais comment s'organise une vaccination obligatoire, concrètement?
Nous avons tendance à envisager cette mesure comme quelque chose d'extraordinaire dans sa mise en pratique. Alors que c'est plutôt simple en réalité: une fois passé le 1er février, ce sera comme rouler trop vite sur l’autoroute, griller des feux rouges ou ne pas attacher sa ceinture de sécurité. J’imagine aussi qu’il y aura beaucoup d’endroits qui ne seront accessibles que sur présentation du certificat de vaccination.

Vous ne semblez pas vous émouvoir plus que ça de cette décision autrichienne drastique…
Vous savez, on aimerait tous, et cela depuis le début, que la pandémie puisse se combattre sans que soit nécessaire un véritable effort commun, sans avoir à prendre des décisions courageuses, parce que potentiellement impopulaires, sans risquer de créer des tensions au sein de la population. On aurait préféré que tous prennent naturellement conscience de la gravité de la maladie et de l'importance du vaccin.

«A un moment donné, au pied d'une cinquième vague agressive, soit on continue de vivre dans le monde des bisounours, soit on prend des mesures énergiques»

L'Autriche l’a fait. C'est une décision politique délicate, mais importante. L'avenir nous dira si son gouvernement a eu raison.

Nous aurions pu éviter tout ça?
Il est assez irritant de savoir que la solution existe, mais que nous ne l’avons pas exploitée pleinement. La vaccination est la seule porte de sortie de la pandémie sans casse démesurée, et ça ne changera pas. Le message n'est pas passé. Prendre la décision de l'imposer, c'est vouloir à tout prix ne pas se retrouver avec un hiver identique à celui de 2020.

Si le message n'est pas bien passé, c'est qu'il n'a pas été si bien propagé?
A force de rassurer les gens, avec des affiches en couleur et des injonctions inoffensives, nous n'avons clairement pas été assez persuasifs. Cette maladie est grave. Nous devrions expliquer plus clairement ce qu'est un vaccin, comment il fonctionne, son importance. De manière concrète, franche, sans détour, ni poésie.

«Le Covid est tellement plus dangereux que les vaccins! Et je crois que la population ne l'a pas assez officiellement entendu»

Les gens qui doutent sont peut-être plus réceptifs aux cas de symptômes graves liés à la vaccination?
On devrait discuter plus frontalement de la question des effets secondaires. En étant spécifique, en martelant lorsque c’est le cas que l'information est erronée, en utilisant des statistiques sur leur fréquence, leur véritable gravité, la possibilité de leur contrôle. Cette pandémie est une catastrophe sanitaire contre laquelle on se doit d'être à la fois proactif et rapidement réactif. Contre le Covid-19, on ne sensibilise pas avec tact, on informe efficacement. La stratégie de communication avec la population a été trop timide, insuffisamment professionnelle.

Aujourd'hui, pourquoi les Autrichiens ont-ils décidé de confiner aussi les personnes vaccinées, elles qui ont obéi aux recommandations gouvernementales?
Je crois que c’est avant tout parce qu’une politique à géométrie variable était trop difficile à appliquer. L'Autriche est actuellement dans une situation épidémiologique très fragile. Les taux de vaccination ne décollent pas, les soins intensifs entrent une nouvelle fois dans une phase critique, et ils ont rapidement compris, sur le terrain, qu'ils n'étaient pas en mesure de n'appliquer le confinement qu'aux personnes non-vaccinées. D'un point de vue sanitaire, ce pays, comme d’autres, se trouve à un carrefour crucial.

Un carrefour où, en Autriche, la rigueur sanitaire a pris largement le pas sur les potentielles répercussions sociales.
Sur le plan sanitaire, les récentes décisions autrichiennes seront efficaces. Socialement, c'est autre chose. Il est clair que tout cela n'a rien de très agréable mais, encore une fois, soit on agit, soit on laisse la catastrophe s'étendre indéfiniment.

«Il sera intéressant de découvrir le nombre de récalcitrants qui camperont toujours sur leurs positions en Autriche dans quelques semaines»

Aujourd'hui, la Suisse reste immobile au milieu d'une Europe qui sévit ou envisage de le faire. Nous allons y venir aussi?
Si l’on regarde les courbes, l'Autriche a trois semaines d'avance sur nous. Rien n’est dit que la Suisse va continuer à lui ressembler, mais on n’a pas de raison de penser qu’elle est très différente, surtout au vu de l’incidence des nouveaux cas et au taux de vaccination dans certains cantons, très similaires à ceux de nos voisins de l’Est. En plus de l’importance de convaincre les quelque 1,2 millions d’adultes éligibles mais pas encore vaccinés en Suisse, il conviendrait d’administrer au pas de charge la 3e dose à tous ceux qui en ont déjà reçu deux, car on sait maintenant que la protection contre l’infection faiblit dès 6 mois après la 2e dose.

«Trois doses, c'est la règle»

«Trois doses, c’est la règle avec d’autres vaccins pour obtenir une immunité protectrice robuste et plus durable. Israël a montré le chemin: ayant vacciné une grande partie de sa population en début d’année, ce pays a vu l’infection faire un retour alarmant en fin d’été. Ils ont immédiatement administré une 3e dose, et l’incidence des cas s’est effondrée.»

Face à cette cinquième vague, le message doit être sans ambiguïté. Jusqu’à 20% des personnes touchées par le Covid développent des symptômes de longue durée, pour certains extrêmement invalidants. Laisser se propager l’infection jusqu’à ce que l’on atteigne une bonne immunité collective, au-delà des dégâts humains immédiats dans les populations à risque, s’accompagnerait à long terme de séquelles bien plus générales.

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source: sda / jonathan hayward
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