Quatre jours à peine après la catastrophe naturelle qui a frappé le village de Blatten, le débat est de retour dans la presse alémanique: faut-il vraiment continuer à entretenir coûte que coûte les villages d’altitude? Le rédacteur en chef de la NZZ am Sonntag a interpellé ses lecteurs sur la «volonté de financer le mythe des Alpes», pointant des «sommes astronomiques» dépensées pour les ouvrages de protection. Il évoque des propositions d’économistes suggérant de laisser certains vallons à l’abandon, estimant que la politique «tombe dans le piège de l’empathie».
Un commentaire malvenu pour Francesco Walter, président de la commune alpine d’Ernen (VS). Il a réagi par une lettre cinglante, évoquant sa déception et sa colère. Nous l’avons joint par téléphone.
Monsieur Walter, qu’est-ce qui vous a tant mis en colère?
Francesco Walter: Il faut imaginer ce que vivent les habitants de Blatten. Ils ont tout perdu, ils sont encore sous le choc. Même le cimetière a été enseveli. On ne peut pas comprendre ce qu’ils ressentent.
Mais pourquoi vouloir vivre dans des zones où un éboulement peut survenir à tout moment?
Ce n’est pas une question de volonté. C’est ici que nous vivons, que nous avons grandi, où notre histoire est ancrée depuis des siècles. Déjà à l’époque, on savait où construire, et où il ne fallait pas. Il est vrai que le développement touristique a parfois fait oublier ces précautions. Mais aujourd’hui, nous avons des cartes de dangers, des forêts de protection, des installations contre les éboulements. Nous savons gérer les risques.
Le changement climatique ne rend-il pas ces dangers plus fréquents?
Pas pour le moment. Ce qui s’est passé à Blatten arrive une fois tous les cent ans. Au 16ᵉ siècle, par exemple, un éboulement à Biasca a recouvert le village tessinois et formé un barrage naturel, qui a cédé quelques années plus tard, causant une inondation meurtrière dans la plaine de Bellinzone.
Ce genre d'évènement peut donc se reproduire à tout moment?
Oui. C'est comme un tremblement de terre à Bâle: ça peut arriver.
A la place, les bâtiments sont construits de manière à être aussi résistants que possible aux tremblements de terre. Des mesures préventives ont également été prises pour plusieurs millions de francs au lac de Sihl afin de protéger Zurich.
A Blatten, le glacier et la montagne se sont quand même effondrés.
Oui, mais les zones à risque étaient surveillées, les habitants ont été évacués à temps.
La solidarité envers les régions de montagne s’effrite-t-elle?
Heureusement, non. La générosité des gens après des événements comme celui-ci le montre.
Mais est-il raisonnable d’investir dans des ouvrages de protection plus chers que les maisons qu’ils protègent?
Imaginez que vous viviez là, que votre famille y ait toujours été, que vous ayez rénové votre maison vous-même… Vous êtes attaché à votre lieu de vie. Et si le danger devient trop grand, c’est au président de commune de dialoguer avec les habitants, de chercher des solutions. Ce débat ne doit pas être mené de manière froide et abstraite dans les médias.
Comment, alors, faut-il mener ce débat?
Avec retenue, d’abord.
Les gens sur place connaissent leur réalité. Ils savent aussi à qui s’adresser pour les expertises.
Et selon vous, les villages alpins ont-ils un avenir?
Absolument. Les gens d’ici entretiennent les forêts de protection, qui maintiennent les alpages, ce qui évite que les crues n’emportent tout sur leur passage et limite les dégâts en plaine. Nous avons aussi des spécialistes qui gèrent les barrages et produisent de l'électricité. Ils ne pourraient pas faire l’aller-retour depuis Zurich tous les jours. Et il y a aussi tous ceux qui travaillent dans le tourisme, dont profite tout le pays. Nous sommes interdépendants en Suisse.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder