Le Romand élu meilleur fromager du monde est un Haut-Savoyard: rencontre
Simon Miguet est sur un nuage. Son Gruyère AOP Vieux de la Fromagerie La Côte-aux-Fées, dans les montagnes neuchâteloises, vient d’être sacré champion du monde toutes catégories au Mondial du fromage et des produits laitiers de Tours, dans le centre de la France. Il exprime sa gratitude: «Je suis heureux pour La Côte-aux-Fées, pour les deux salariés qui travaillent à mes côtés, pour Anthony Margot, le fromager-affineur d’Yverdon avec qui je fais équipe, pour mes parents, pour la marque gruyère AOP».
Il apprend sa victoire par SMS
Le lauréat n’était pas dans la capitale des châteaux de la Loire lorsqu’il a appris la nouvelle.
Le tout nouveau champion mondial ne s’est pas contenté de l’or. Il a remporté une médaille d’argent pour son Val’ des Fées aux herbes et une de bronze pour son Gruyère AOP. On ne voudrait pas lui porter la poisse, mais cela a tout d’une consécration, à 34 ans seulement.
«Ça n’arrive qu’une fois dans une vie»
Les téléphones n’arrêtent pas de sonner. Les médias l'assaillent. Il y a ce particulier qui veut emmener avec lui le gruyère champion du monde à l’ambassade de Suisse à Paris. Simon Miguet répond aux sollicitations avec bonheur. Il savoure. «Après tout, ça n’arrive qu’une fois dans une vie, enfin, qui sait, peut-être pas», sourit-il. Mais il espère que «ça se calmera en début de semaine prochaine».
Ce célibataire – «je suis un cœur à prendre», s’amuse-t-il – sait trop ce qu’il doit au travail pour se laisser griser. Il y a un peu plus de deux ans, venant du Valais, il a repris «le lait», comme on dit dans le jargon de la profession. En clair, il est devenu le directeur de la fromagerie de La Côte-aux-Fées, un village de 400 habitants logé à 1000 mètres sur un plateau, aux confins du Val-de-Travers, à touche-touche avec le Jura vaudois et la France. Du vert à perte de vue. Un côté seul au monde.
«Mon dossier de candidature a convaincu»
«Mon dossier de candidature a convaincu les producteurs de lait locaux», ses partenaires au quotidien, raconte-t-il. La première année, le jeune patron n’a pas pris un seul jour de congé. Les journées de travail peuvent aligner 15 heures.
Simon Miguet est d’origine haut-savoyarde. Il a grandi dans une famille d’agriculteurs, à Allonzier-la-Caille, un village en retrait de l’A41 reliant Annecy à Genève. Des vaches, il passera aux pâtes de diverses consistances, Abondance, tomme de Savoie, Reblochon, obtenant sa maîtrise française de fromager.
Tel un compagnon, il entame un tour des Alpes, met le cap sur Verbier, en Valais. Ce n’est pas la jet-set qui l’attire, mais la Raclette AOP et «son excellent Bagne 1», dont il apprendra les secrets. Il prend ensuite la route des Haudères, sur la commune d’Evolène, dans le val d’Hérens. Au programme, fabrication traditionnelle de fromage à raclette et de tommes. Le «compagnon» se perfectionne. On fait de plus mauvais choix dans la vie.
Deux fois la patrouille des glaciers
Il profite des montagnes valaisannes pour s’adonner à son autre passion, le ski. «J’ai fait deux fois la patrouille des glaciers, dont une que je n’ai pas terminée.» Pas vantard, en plus.
Sa fromagerie produit environ 200 tonnes de gruyère AOP par an, «à raison de 15 à 22 pièces par jour», dit-il, sachant qu’il faut 380 à 390 kilos de lait (on compte en kilos et non pas en litres) pour fabriquer une meule. Les meules de gruyère – rien que du lait cru, la «religion» du patron, conforme au cahier des charges – séjournent trois mois sur les planches d'épicéa des caves de La Fromagerie de La Côte-aux-Fées avant de prendre la direction de Margot Fromages à Yverdon pour l’affinage final: 6 mois en tout pour le doux, 8 à 9 mois pour le mi-salé et dès 10 mois pour le salé. A quoi s’ajoute un 18 mois bien corsé pour les plus hardis et des spécialités comme le Val’ des Fées aux herbes primé à Tours.
Au téléphone, Anthony Margot, l'affineur d'Yverdon présent au mondial de Tours, est aux anges.
Dès l'annonce de la victoire, mardi, les appels d'importateurs ont afflué, dit-il. «J'en ai reçu de Russie, de France, d'Espagne, d'Allemagne et même des Etats-Unis, malgré les taxes douanières à 39%. Tous voulaient leur part du Gruyère AOP Vieux victorieux. C'est une très bonne publicité pour le Gruyère AOP, dont 13% de la production partent à l'exportation.»
Comme tout est tranquille ce jeudi en fin de matinée à La Côte-aux-Fées, le marketing fait nom – «fées» ne renvoie pas aux personnages des contes et légendes, mais à un mot de vieux français, «fayes», qui voulait dire «brebis», comme celle qu'on trouve sur les armoires du village.
En 2026, la commune fêtera ses 200 ans. Elle comptera un champion du monde. Ce couple de retraités arrivant tout exprès du Val-de-Travers situé en contrebas est «fier» de cette distinction qui rejaillit sur la région. Il achète «500 grammes» du fromage vainqueur, demandant à Martin, l'un des deux salariés de Simon Miguet, de l'emballer «sous-vide».
Cette dame vient en voisine se procurer, elle aussi, un morceau de la star. «Non seulement leurs fromages sont très bons, mais en plus, toute l’équipe est très sympathique», dit-elle, indiquant partir ce week-end chez des amis en Valais avec son nectar en poche – «ils ne vont pas aimer ça», ajoute-t-elle dans un clin d’œil.
«Maintenant que t’as la grosse tête...»
Dans l’excitation du moment, Simon Miguet ne retrouve pas ses clés de voiture. Les voici enfin. Il s'en va suivre des cours dans le canton de Fribourg. Des cours en vue d’obtenir son diplôme suisse de maître fromager. A peine en route, il croise le car postal qui relie La Côte-aux-Fées à Buttes, le village situé à l’extrémité ouest du Val-de-Travers. «Maintenant que t’as la grosse tête, tu ne t’arrêtes plus au feu rouge», le charrie le chauffeur du car postal, vitre baissée. «C’est le président de commune», explique Simon Miguet. On l'avait compris, ici, on fait des meules. Pas des melons.