Suisse
Economie

«Mangez plus de gruyère!» Les fromagers suisses ont peur

Des vaches romandes sont victimes de Trump

Le gruyère, déjà considéré comme un produit de luxe, n’est pas épargné par les tarifs douaniers de Trump. Les producteurs s’attendent à une baisse de 60% des ventes aux Etats-Unis et s’adaptent en vendant des vaches.
03.09.2025, 05:3103.09.2025, 07:54
Gruyère suisse et droits de douanes des Etats-Unis
Jean-Philippe Yerly, producteur laitier à Echarlens.Image: Stefan Bühler
Stefan Bühler / ch media
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Il se tient devant sa ferme à Echarlens, village fribourgeois de 800 habitants, et laisse son regard se perdre sur le paysage gruérien: le lac de la Gruyère, les collines rondes, et, au loin, le sommet du Moléson. Jean-Philippe Yerly est l’un des quelque 1600 paysans qui produisent le lait du fromage préféré des Suisses. Et qui, ces mois-ci, ressentent jusque dans leurs étables les caprices de Donald Trump.

Le malheur s’annonçait déjà en janvier. Tandis que le nouveau président étasunien prêtait serment à Washington, les affineurs romands avertissaient leurs producteurs de lait:

«Ils nous ont dit qu’il fallait, si possible, réduire nos effectifs de vaches, vendre aux bouchers ou aux négociants – et ne surtout pas les augmenter. Ils ont prévenu que nous serions peut-être bientôt obligés de diminuer la production.»
Jean-Philippe Yerly

Les affineurs – troisième maillon de la chaîne après les éleveurs et les fromagers – achètent les meules de trois mois, les entreposent et les font mûrir quelques mois, parfois plus d’un an. Ils se chargent aussi de la vente: en Suisse, où plus de 16 000 tonnes se sont écoulées l’an passé, et à l’export, dont 7000 tonnes vers l’Union européenne (UE) et 4300 vers les Etats-Unis.

Grâce â leurs réseaux internationaux, ils sont les antennes des producteurs. Ce sont eux qui, avec l’organisation de la filière Gruyère AOP, ont sonné l’alerte face à la politique douanière de Donald Trump. A juste titre.

Kevin Vonlanthen est l’un d’entre eux. Nous le rencontrons un lundi ensoleillé de fin août à la gare de Bulle (FR), où l’on inaugure le «train de la fondue», qui circule désormais entre Bulle et Berne. Le slogan qu’il arbore:

«Ne faites pas les choses à moitié – sauf pour la fondue»

Le gruyère, plus onéreux que jamais

Tout le gratin du monde fromager romand est présent: Urs Schwaller, ancien conseiller aux Etats, Didier Castella, directeur cantonal de l’agriculture, et Pierre-Ivan Guyot, président de Gruyère AOP. Discours, sourires, dégustation de gruyère et de vacherin.

Gruyère suisse et droits de douanes des Etats-Unis
Kevin Vonlanthen, affineur de gruyère, devant le train Moitié-Moitié à Bulle.Image: Stefan Bühler

Kevin Vonlanthen, lui, ne fait pas de speech. Mais au cours de notre conversation, il raconte comment ces derniers mois ont bouleversé son activité. Car l’affinage demande temps et patience:

«Nous laissons généralement vieillir nos meules entre cinq et neuf mois, mais ça peut aller jusqu’à 18».

La durée de l’affinage dépend de mille facteurs: la qualité de la meule, l’herbe que les vaches ont consommée ou encore les technique du fromager. «Comme pour le vin, certaines sont meilleures jeunes, d’autres gagnent avec l’âge.» Impossible donc de s’adapter aux brusques revirements d’un président imprévisible.

En avril, Donald Trump a porté les droits de douane à 31%. Début août, à 39%. Les importateurs américains ont aussitôt annulé leurs commandes: le gruyère, déjà perçu comme produit de luxe, est devenu hors de prix. Kevin Vonlanthen fait le calcul: au magasin, le kilo qui coûtait 45 à 50 dollars atteint désormais 70 à 90. Résultat: il redoute une chute de 60% des ventes aux Etats-Unis en 2025, soit 7% de la production totale de gruyère.

Que faire? Réduire le prix? Pierre-Ivan Guyot, président de Gruyère AOP, a un avis tranché:

« Certainement pas. La qualité, le prix et la quantité – ce sont nos piliers. Et qualité et prix ne se négocient pas.»

De par sa qualité, le gruyère est recherché dans le monde entier. Le modèle est rentable aussi bien pour les éleveurs de vaches que pour les fromagers et les affineurs. Restent donc deux options: produire moins de lait, ou utiliser l’excédent pour fabriquer d’autres produits.

Recycler ou réduire

Pour René Pernet, fromager à Peney-le-Jorat (VD), cette dernière option n’offre pas de débouchées:

«Avec 500 litres de lait, je fais une meule et demie de gruyère ou 3500 yogourts. Les circuits n’existent pas pour écouler une telle quantité.»

Reste donc la réduction de la production laitière. En juillet, la filière Gruyère AOP a réduit les quantités de 3%. En août, nouvelle baisse de 5%. Une mesure qui touche paysans, fromagers et affineurs de la même manière. «Nous faisons preuve de solidarité», déclare René Pernet.

Mais dans l’étable de Jean-Philippe Yerly, cela crée des vides. Cette année, il a dû vendre 20 vaches. «J’en ai obtenu un bon prix», reconnaît-il, «surtout en Suisse orientale, par exemple en Thurgovie, où la demande de vaches laitières est forte». Là-bas, la production est moins dépendante du marché américain et donc moins affectée par le coup de massue de Donald Trump. Mais pour l’éleveur gruérien, ce n’est qu’une maigre consolation:

«Quand je dois vendre du bétail, mon exploitation perd de sa substance».

Tant que Donald Trump maintiendra ses tarifs astronomiques, une ombre planera sur le pays du gruyère. Alors Jean-Philippe Yerly, René Pernet et Kevin Vonlanthen, l’éleveur, le fromager et l’affineur, s’unissent pour lancer un appel à leurs concitoyens: privilégiez le gruyère face aux fromages étrangers.

Ou, comme le proclame le train de la fondue: «Ne faites pas les choses à moitié – sauf pour la fondue».

Adapté de l’allemand par Tanja Maeder

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