Conditions météorologiques extrêmes, maladie dévastatrice, contraintes d'approvisionnement, explosion des prix sur le marché mondial: l’ère du berlingot de jus d’orange bon marché touche à sa fin. Les deux géants oranges de la grande distribution, Coop et Migros, ne font pas exception. Leurs gammes ont toutes connu des hausses de prix considérables ces deux dernières années.
C'est en Floride, aux Etats-Unis, que les graines de la discorde ont été plantées. Autrefois fleuron de la production, l’agrumiculture du «Shining State» - dont les plaques d'immatriculation des véhicules sont toujours fièrement ornées de deux oranges - a été réduite à néant. En cause? Une maladie incurable qui décime les vergers: le huanglongbing (HLB), aussi appelé «maladie du dragon jaune».
Derrière ce nom aux consonances presque maléfiques, une infection transmise par un insecte vecteur, le psylle, qui empêche les fruits d’arriver à maturité. Une fois l'arbre infecté, il n'y a rien à faire. L'arbre meurt en quelques années. Voire en quelques mois.
Il n'existe actuellement aucun remède contre cette maladie qui est apparue en Chine au début des années 20 avant de se propager en Amérique. L'unique solution consiste à d'arracher l'arbre. Et si les laboratoires du monde entier se démènent pour développer un arbre résistant, la recherche est lente, car les orangers mettent jusqu'à huit ans pour porter des fruits. Au rythme où progresse l'épidémie, la solution menace d'arriver trop tard.
Au cours des vingt dernières années, la production des célèbres orangeraies de Floride, qui fournissaient autrefois la majorité du jus américain, a ainsi diminué de 92%. Le peu de fruits qui restent sur les arbres se retrouve emporté par les ouragans, de plus en plus destructeurs dans cet Etat.
Si la Floride est la plus durement touchée, le psylle a été détecté dans sept des dix principaux pays producteurs d'oranges, décimant des plantations entières dans plus d'une cinquantaine de pays. A commencer par le plus grand importateur mondial, le Brésil. L'an dernier, le taux d’infection du psylle y est passé de 20% à environ 42%, après que l'insecte a développé une résistance aux traitements par produits chimiques.
A cela s'ajoutent des sécheresses à répétition et des intempéries liées au réchauffement climatique, ainsi qu'une hausse des coûts de production. Le résultat était inévitable. En 2024, le cours du jus d’orange a atteint des sommets historiques.
Bien que l'Europe et l'Australie soient désormais les seuls endroits au monde encore préservés de la maladie du dragon, les scientifiques craignent qu'il s'agisse d'une question de temps avant les orangeraies européennes ne soient touchées à leur tour. Au point que certains producteurs et distributeurs réfléchissent déjà à se rabattre sur des alternatives: jus de pomme, de raisin ou d’abricot, plus accessibles et moins dépendants des aléas climatiques.
En Suisse, la hausse du prix du jus d'orange est déjà une réalité pour les consommateurs. Chez Coop et Migros, les gammes d’entrées de prix comme M-Budget et Prix Garantie ont vu leurs tarifs s’envoler de près de 35% l'été dernier, passant de 1,90 franc à 2,60 francs le litre pour le jus d'orange M-Budget. Celui de Prix Garantie, lui, s'élève même à 2,95 francs.
Un coût auquel le jus d'orange s'est stabilisé depuis, mais nos grands distributeurs ne sont pas à l'abri des aléas du marché et des fournisseurs, comme nous l'a confirmé Coop par le biais de son porte-parole.
«En collaboration avec nos fournisseurs, nous mettons tout en œuvre pour pouvoir offrir à notre clientèle du jus d'orange de la qualité souhaitée. Actuellement, la disponibilité est assurée», tient encore à rassurer Coop.
Au milieu de la crise mondiale des oranges, Migros se veut également rassurante. L'entreprise, dont le Brésil demeure le principal fournisseur d'oranges à jus, nous assure prendre des «mesures proactives» pour garantir la sécurité de l'approvisionnement et la qualité des produits. «Grâce à ces mesures, Migros reste déterminée à offrir à sa clientèle les meilleurs produits, même en période difficile», assure-t-elle.
En attendant, le jus d'orange demeurant un produit très apprécié, le géant orange dit «surveiller en permanence le marché pour suivre ses derniers développements».
Si sa place semble assurée sur les étals des supermarchés, il est aussi possible que le jus d’orange, autrefois star incontestée du petit-déjeuner, perde un jour de lui-même son intérêt aux yeux des consommateurs.
Aux Etats-Unis, le déclin est déjà amorcé, selon Andrés Padilla, expert américain en approvisionnement en agrumes chez Rabobank, une banque au service du secteur agricole, dans The Atlantic. Snobé au profit d'autres boissons comme le thé, le café, les sodas, les boissons énergisantes et les eaux en bouteille - souvent perçues comme des alternatives plus saines et moins sucrées - notre bon vieux jus d'orange serait-il entré dans son crépuscule?