Nanoparticules, microplastiques, perturbateurs endocriniens, pesticides, particules fines et bien d'autres encore. Ne serait-ce pas simplement notre vie qui serait devenue toxique? Les tentatives d'évaluation réaliste des risques mettent toutes en lumière le même problème: un manque criant de vue d'ensemble. C'est précisément à cette lacune qu'essaie de pallier Benedikt Warth de l'Université de Vienne, en étudiant l'effet d'ensemble des influences environnementales nocives.
Un chimiste alimentaire peut-il encore savourer ce qu'il mange?
Benedikt Warth: Absolument, oui. Et je mange de tout. Les aliments, du moins en Europe, n'ont jamais été aussi sûrs. On en sait plus qu'avant et on a des normes strictes.
En même temps, il n'y a jamais eu autant de substances artificielles dans notre nourriture, non?
Oui. Mais dans de nombreux cas, elles sont mieux contrôlées que les substances toxiques naturelles présentes dans et sur les plantes ou produites lors de la cuisson.
Mais le corps a déjà eu des millénaires pour trouver un moyen de gérer les toxines naturelles.
Il est vrai qu'il a de merveilleux mécanismes de désintoxication, notamment via le foie. Sinon, on aurait un gros problème, car on s'expose chaque jour à des dizaines de milliers de produits chimiques. Mais cela ne signifie pas pour autant que le corps s'y soit habitué. Beaucoup d'entre elles, comme les aflatoxines des moisissures, sont toujours cancérigènes.
De nombreuses autres toxines végétales, comme les alcaloïdes tropaniques (réd: que l'on trouve par exemple dans les liserons et qui peuvent se mélanger aux récoltes de millet) et les alcaloïdes pyrrolizidinaux (que l'on peut trouver dans le thé, les épices et le miel) présentent aussi un risque pour la santé.
Est-ce qu'un bon nettoyage des légumes peut aider?
C'est surtout important pour réduire la quantité de micro-organismes en surface.
Lorsque vous mangez, vous ne pensez donc pas à la quantité de microplastiques, de PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées), de nanoparticules et de pesticides que vous ingurgitez?
Non! On sait désormais beaucoup de choses sur nos aliments. Il faut bien sûr prendre au sérieux les produits chimiques que l'on absorbe par la nourriture, les poumons et la peau, mais les plus grands risques restent les excès de nourriture ou d'alcool et le tabagisme. Il faut toujours commencer par agir sur ces grandes causes. Les autres risques sont tout aussi sérieux, mais cela ne doit pas nous paralyser au point de restreindre notre alimentation.
N'y a-t-il aucun avantage à ne manger que des légumes bio?
Du point de vue de la sécurité alimentaire, il n'y a aucun avantage. En revanche, il y a des avantages écologiques, car certains pesticides nuisent aux micro-organismes du sol et aux insectes. Mais en ce qui concerne une alimentation saine, je n'ai pas encore connaissance d'un avantage prouvé.
On ne consomme pas moins de pesticides et on ne diminue pas le risque de cancer, comme le disent des études?
Le risque de pesticides est moindre, c'est vrai. Mais, comme il n'y a eu aucun traitement fongicide ni herbicide, il se peut aussi que les produits bio contiennent davantage de toxines nocives de moisissures.
De nombreux pesticides dangereux ont heureusement déjà été interdits.
Qu'en est-il donc des travaux qui affirment que, selon le type de production, les agriculteurs ont un risque de maladie de Parkinson plus élevé et parfois une fertilité plus faible parce qu'ils manipulent beaucoup de produits chimiques? En France, en Italie et en Allemagne, Parkinson est reconnue comme maladie professionnelle.
L'exposition globale aux produits chimiques peut contribuer fortement aux maladies comme Parkinson. Mais la qualité des données de ces études n'est souvent pas optimale. Elles sont actuellement difficiles à reproduire et souvent basées sur des questionnaires. On devrait systématiquement prélever du sang ou de l'urine sur ces personnes et les comparer à d'autres groupes professionnels sur une plus longue période.
Il se peut aussi que les agriculteurs soient davantage exposés aux toxines des moisissures ou à d'autres nuisances. Tous les facteurs doivent être pris en compte. Jusqu'à présent, on n'avait pas les moyens techniques de le faire.
Vous utilisez pour cela un spectromètre de masse et analysez donc plusieurs substances à la fois. Comment cela fonctionne-t-il?
Grâce à la spectrométrie de masse, on peut détecter et distinguer avec fiabilité une grande variété de produits chimiques, même à de très faibles concentrations. On mesure actuellement plusieurs centaines de substances en seulement quinze minutes. C'est beaucoup plus rapide et précis qu'avec d'autres méthodes.
D'après vos relevés, qu'est-ce qui est donc vraiment dangereux?
On a des indices, mais on doit d'abord les vérifier à plus large échelle.
On a reçu plus d'un millier d'échantillons de sang et d'urine de femmes du nord de l'Italie des années 1980. C'était une région très industrialisée à l'époque. Les échantillons ont été conservés à -80 degrés et on les analyse pour y détecter des centaines de substances différentes. On compare les valeurs des femmes qui ont développé un cancer du sein avec celles qui sont restées en bonne santé. Mais cela prendra encore deux ou trois ans.
Vous écrivez sur votre site que les gènes ne comptent que pour 10 à 30% de risque pour les maladies chroniques, le reste provenant de causes externes. Cela semble extrême!
Je ne partage pas cet avis. Des méta-études épidémiologiques en sont arrivées à cette conclusion.
Il faut un déclencheur comme une mauvaise alimentation ou des toxines venant de l'extérieur. Puis cet éveilleur rencontre des gènes vulnérables. Mais les efforts en matière de prévention sont une grande chance, car on est en effet à la merci de nos gènes.
Que faites-vous vous-même pour réduire les risques extérieurs?
Je mange varié et j'essaie d'éviter les excès en général.
Que pensez-vous des polluants éternels, les PFAS? L'humanité est-elle en train de s'empoisonner elle-même?
On a commis de graves erreurs par le passé. On s'y expose tous, et on les trouve par ailleurs dans les échantillons de sang de tout un chacun. Les risques ont déjà fait l'objet de recherches relativement solides, qui ont débouché sur les premières valeurs limites dans les aliments et l'eau potable. Mais la discussion se focalise maintenant un peu trop unilatéralement sur les PFAS. Je considère qu'il y a d'autres facteurs tout aussi importants.
Lesquels?
Il y en a beaucoup! Il est important de ne pas se focaliser singulièrement sur certaines substances ou groupes de produits chimiques, mais d'étudier systématiquement leur ensemble, l'exposome. Cela exige un changement de paradigme et de gros investissements dans l'infrastructure de mesure.
Un précédent cri d'alarme avait été lancé à propos des bisphénols dans les bouteilles en plastique.
Oui, ils ont été partiellement remplacés par d'autres bisphénols qui ne sont pas forcément moins problématiques du point de vue toxicologique.
Un célèbre magazine allemand de défense des consommateurs a encore récemment trouvé du bisphénol A en 2024 dans chacune des 21 boîtes de maïs analysées. Quel est le rôle de l'emballage? Devrions-nous renoncer complètement aux boîtes de conserve?
Dans de tels tests, l'échantillon est souvent trop petit. En temps normal, les concentrations sont très faibles, et si l'on se nourrit de manière variée et pas uniquement avec des produits en boîte, ça ne pose pas de gros problèmes à mon avis.
Les microplastiques sont-ils si mauvais que ça?
C'est un sujet à la mode. Mais les méthodes de mesure pour cela n'en sont qu'à leurs débuts. Les données actuelles sont souvent difficiles à comparer.
Les microplastiques et les cosmétiques peuvent contenir des perturbateurs endocriniens, que notre corps confond avec des hormones et qui seraient à l'origine de maladies métaboliques, telles que l'hypertension et le diabète. Que faut-il donc penser des études qui mettent cela en évidence?
Les perturbateurs endocriniens ont une influence indéniable sur de très nombreuses maladies. On le constate notamment pour le cancer du sein. Mais c'est également vrai pour les maladies métaboliques, l'infertilité et la puberté précoce.
La conclusion de ces travaux laisse souvent perplexe: on y lit que «le risque peut être accru» ou qu'«il est accru», mais il n'est pas dit dans quelle mesure ça l'est.
Les études amènent en effet souvent plus de questions que de réponses. Là encore, la technique de mesure est souvent limitante: on ne se concentre que sur quelques perturbateurs isolés, au lieu d'en considérer 200 à la fois, comme notre équipe le fait actuellement.
L'aspect de combinaison dans l'exposition à une substance étrangère en même temps qu'à d'autres joue un rôle. Et le moment où cela se produit est également important, par exemple, le contact avec certaines substances dès la vie intra-utérine peut avoir un impact plus conséquent.
Comment essayez-vous de réduire l'influence de ces sources de perturbations hormonales dans votre quotidien?
Outre une alimentation variée et faite maison, on veille également à ce que nos enfants se mettent à utiliser des cosmétiques le plus tard possible, sans pour autant que cela leur pose un problème social. On peut réduire beaucoup de choses.
Idem pour la crème solaire, certains bloqueurs d'UV que l'on s'étale sur le corps contiennent également des perturbateurs endocriniens. Il ne faut pas tomber dans l'extrême, d'un côté comme de l'autre.
Pour les novices, plus facile à dire qu'à faire. Quels sont les composants des cosmétiques que vous déconseillez à vos enfants?
J'aurais du mal à répondre précisément, car les fabricants n'indiquent pas toujours tous les ingrédients et l'effet combiné joue là encore un rôle. Ce qui compte, c'est donc de se limiter à une exposition raisonnable.
Les particules fines causeraient aussi beaucoup de maux, allant de la paralysie cérébrale aux atteintes à la santé mentale.
Les données sont déjà relativement fiables pour les particules fines. Et leurs effets s'avèrent parfois dramatiques. Mais leur nature a une influence. Elles peuvent s'accompagner de plus ou moins de produits chimiques, comme par exemple les composés aromatiques polycycliques cancérigènes contenus dans la fumée.
En Suisse, la qualité de l'air s'est fortement améliorée au cours des dernières décennies. Mais en tant que citoyen, on a plutôt l'impression de respirer un air plus toxique.
L'Europe est très privilégiée par rapport à d'autres endroits du monde. Beaucoup de nos problèmes sont des «problèmes de riches», et on devrait commencer par prendre un peu de recul. En ce qui concerne nos leviers d'action, commençons par arrêter de fumer, diminuer notre consommation d'alcool, cuisiner plus et faire davantage d'exercice physique.
(Adaptation en français: Valentine Zenker)