La nouvelle a choqué en Suisse alémanique. Ancien conseiller aux Etats et ex-président de l’EPFZ, Fritz Schiesser a passé près de deux mois en détention provisoire cet été.
Selon le ministère public vaudois, cité par la NZZ am Sonntag qui a révélé l’affaire il y a une semaine, il est soupçonné de complicité dans une tentative d’extorsion visant la Fondation de famille Sandoz, qu’il a présidée jusqu’il y a quelques années.
Victime d’une escroquerie sentimentale, Fritz Schiesser semble avoir été manipulé et dépouillé par une personne avec laquelle il entretenait une relation intime. Il a néanmoins passé deux mois derrière les barreaux, dont 23 heures par jour isolé dans une cellule, avec seulement une heure de promenade quotidienne, conformément au régime ordinaire de la détention provisoire.
Une telle durée paraît particulièrement sévère, d’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un criminel chevronné, mais d’un citoyen jusque-là sans histoire. Agé de 71 ans et souffrant de problèmes cardiaques selon ses propres déclarations, Fritz Schiesser a annoncé lundi que cette épreuve l’avait conduit à un séjour hospitalier.
L'avocat bâlois Andreas Noll qualifie la détention provisoire de «boite noire de la justice suisse». Selon ce pénaliste, cette mesure est trop largement utilisée et dure trop longtemps:
Expert en exécution des peines, Benjamin Brägger rappelle également que «la détention provisoire devrait demeurer une exception», se référant au Code de procédure pénale, qui stipule que «la personne prévenue reste en liberté». Celle-ci n’est admissible qu’en cas de risque de fuite, de récidive ou de collusion.
Dans le cas de Fritz Schiesser, le ministère public invoquait le risque de collusion, autrement dit la possibilité qu’il détruise des preuves ou influence des témoins. La loi permet de maintenir la détention provisoire jusqu’à ce que les éléments soient sécurisés, et à la fin des auditions. Et comme le soulignent plusieurs avocats, deux mois représentent déjà une longue durée.
Spécialiste du système pénitentiaire vaudois, Benjamin Brägger note cependant que le canton de Vaud recourt bien plus fréquemment que les autres cantons helvétiques à la détention provisoire, et pour des périodes plus étendues.
Le 31 janvier 2023, 37,3% des personnes incarcérées dans le canton étaient en détention provisoire, contre 26,8% au niveau national. Sa durée moyenne atteignait 98 jours, soit deux fois et demie plus que la moyenne suisse (39 jours). Benjamin Brägger observe:
L'avocat Andreas Noll relève également que plus la détention provisoire se prolonge, plus elle érode la présomption d’innocence. Il explique:
Il note que les juges eux-mêmes peuvent être influencés, au détriment des prévenus.
La détention provisoire est non seulement lourde psychologiquement, mais elle représente aussi un fardeau financier considérable pour la collectivité. Chaque journée coûte environ 500 francs par détenu.
Selon Andreas Noll, les juges et les procureurs invoquent trop facilement le risque de collusion:
Pour Andreas Noll, le constat est clair:
Tous les autres pays européens ont depuis longtemps recours à des alternatives, comme par exemple le bracelet électronique avec surveillance GPS en temps réel.
Traduit de l'allemand par Joel Espi