12 300 francs à vie. Voici ce que le conseiller d'Etat genevois Antonio Hodgers devrait toucher par mois, après son départ de l'exécutif. Un montant qui a fait polémique en Romandie la semaine dernière. Car si Genève, comme beaucoup d'autres cantons romands, a décidé de supprimer les rentes à vie pour les conseillers d'Etat, le politicien est entré à l'exécutif cantonal en 2013, quand les rentes à vie étaient encore l'usage général en Suisse romande.
Au total, si Antonio Hodgers, 49 ans, reste en vie encore 40 ans — ce qu'on lui souhaite — l'Etat de Genève pourrait lui verser plus de cinq millions de francs, à quelques adaptations près.
Combien le contribuable romand doit-il débourser pour ces rentes à vie? Cela varie d'un canton à l'autre. Malgré ce qu'on pourrait penser, ce n'est pas le canton du bout du lac qui débourse le plus pour ses anciens élus, mais Fribourg, et de loin: plus de 6 millions de francs. Suivent ensuite Genève (3 millions), Vaud (2,8 mio), Neuchâtel (2,2 mio), le Valais (1,5 mio) et le Jura (1,4 mio). Berne ferme la marche loin derrière, à un demi-millions.
Pour la plupart des cantons, les rentes à vie sont versées aux seuls anciens membres du Conseil d'Etat, à deux exceptions près. A Genève, les ex-magistrats de la Cour des comptes la touchent également. A Fribourg, cela concerne aussi les préfets et juges cantonaux, ce qui explique notamment l'écart important entre ce canton et les autres.
Et si on regarde les mêmes chiffres adaptés à la taille de la population, c'est pourtant le Jura qui régale le plus, suivi de près par Fribourg. Neuchâtel suit, puis Genève, le Valais et Vaud. Berne ferme la marche avec 40 centimes théoriques alloués par habitants pour les rentes de son Conseil d'Etat.
Au-delà des sommes versées, combien de personnes touchent-elles ces rentes? C'est à Fribourg qu'il y a le plus de bénéficiaires, suivi de Vaud, de Genève, de Neuchâtel, du Jura et enfin, du Valais.
D'un canton à l'autre, les critères permettant l'accès à cette rente et la méthode de calcul sont variables. A Genève, par exemple, il fallait siéger huit ans à l'exécutif cantonal ou douze à la Cour des comptes, pour pouvoir empocher les sommes requises sur le départ. En Valais, après une législature, les conseillers d'Etat touchaient une rente de 80 000 francs par an, puis 100 000 pour deux, et 120 000 dès trois législatures.
Dans le canton de Vaud, un conseiller d'Etat doit exercer au moins 10 ans volontairement, et 5 ans s'il n'est pas réélu, pour toucher sa rente. Il s'agit du seul canton romand où les rentes à vie n'ont pas été abolies et ces conditions sont toujours actives.
En cas de décès, les survivants ont le droit de récupérer la rente à laquelle le politicien avait droit. Le nombre de personnes touchant ces rentes dans les chiffres fournis par les autorités cantonales correspond donc aux anciens conseillers d'Etat, mais aussi à leurs survivants (veufs, veuves et orphelins). A Genève par exemple, sur les 28 rentiers, 8 sont des survivants. A Vaud, sur les 30, on en compte 13.
Mais l'abolition des rentes, ça ne veut pas dire qu'on arrête de les verser du jour au lendemain. Les élus entrés dans l'exercice de leur fonction avant l'application de la loi les reçoivent encore. Les dates d'application en détail:
A Neuchâtel, les premiers conseillers d'Etat qui rentreront dans le nouveau régime sont ceux qui entrent en fonction... lundi prochain.
A l'inverse, le canton de Berne est le seul où ce régime n'a jamais eu lieu. Les membres de l'exécutif cantonal y cotisent pour le deuxième pilier comme tout autre employé de l'Etat et «la rente dépend de sommes que la personne a cotisé à la caisse de pension au moment où elle quitte ses fonctions», indique le canton de Berne.
Car oui, la raison initiale pour laquelle les rentes à vie existent, c'est l'absence de cotisations au deuxième pilier pour les politiciens de milice en Suisse. Les parlementaires fédéraux, par exemple, n'en touchent pas, et sont «payés» à coup d'indemnités et de défraiements. «Le mandat de conseiller d'Etat a évolué», note Pascal Sciarini, professeur en sciences politiques à l'Université de Genève.
Avec la professionnalisation de la vie politique, les rentes coûtent désormais plus cher. «Cela change la donne. Dans un contexte où les finances cantonales sont mises à mal, le montant de ces rentes finit par déranger», estime le professeur.
Quelques règles existent pour limiter ces «privilèges» que le peuple a décidé de supprimer dans la majorité de la Suisse romande. Cette année, Antonio Hodgers touchera 11% de moins sur ses 12 300 francs, car la règle à Genève est de réduire de 1% la rente par année jusqu'à 60 ans. Le Valais a une disposition similaire, de 2% par an jusqu’à 58 ans.
La rente est également réduite jusqu'à la retraite en fonction des revenus du politicien après sa vie au Conseil d'Etat. A Genève et Fribourg, c'est le cas lors de l'occupation d'un emploi public. Mais il est possible de toucher la rente et d'être rémunéré au privé. A Neuchâtel, en Valais et dans le Jura, les anciens conseillers d'Etat voient leur pension réduite si leurs revenus provenant d'une activité lucrative dépassent ceux des élus en fonction, qu'ils proviennent du secteur privé ou public.
Abolir les rentes, cela ne veut pas dire que les conseillers d'Etat vont quitter leur fonction les poches vides. De nombreux cantons ont pris des dispositions complémentaires, à base de primes et d'indemnités jusqu'à toucher leur retraite.
A Berne, ils touchent 65% de leur salaire durant trois ans. Dans le Jura, le ministre a droit à une indemnité correspondant à 55 000 francs nets par année de mandat, basé sur l'indexation des salaires des employés de l'Etat. A Neuchâtel, les rentes ont été remplacées par des primes allant jusqu'à l'équivalent de neuf mois de salaire lors du départ. En outre, le salaire des membres de l'exécutif cantonal a augmenté de 10 000 francs par an.