Le prochain président des Etats-Unis s'appelle Donald Trump. Quelle est l'importance de cette élection pour nous?
Michael Hermann: Cette victoire a avant tout un impact sur l'ambiance générale. En Suisse aussi, on a suivi de près la campagne électorale au cours des derniers mois. Mercredi matin, on s'est réveillés avec une impression de déjà-vu.
Malgré tout, selon les sondages, une grande majorité de la population suisse s'oppose à Trump. La consternation est donc d'autant plus grande.
Dans quelle mesure?
Les citoyens américains ont choisi quelqu'un qui n'a pas voulu accepter sa défaite il y a quatre ans et qui a mis en œuvre tous les leviers pour manipuler l'issue du scrutin. Pendant son premier mandat, il a exprimé sa grande admiration pour les autocrates de ce monde.
L'élection aux Etats-Unis, l'une des plus grandes démocraties, d'un dirigeant dont on ignore s'il est plus proche des autocrates que de ses partenaires démocratiques, a de quoi inquiéter.
Le populisme a donc triomphé. Avec quel est impact sur notre culture politique?
Il y a un risque d'imitation. Cette victoire laisse penser qu'il est possible de récompenser un mauvais comportement au lieu de le punir. Donald Trump s'en est sorti, malgré son sexisme et son racisme.
Je vois toutefois une nuance importante. Avec Trump, c'est l'image d'hommes soi-disant forts qui a gagné. Et cette figure d'«hommes forts» a du mal à s'imposer dans le système politique helvétique.
Pourquoi?
Ne serait-ce que parce que nous avons sept conseillers fédéraux égaux. Une figure aux traits autoritaires ne peut jamais se mettre avantageusement en scène. Notre système et notre culture politique sont immunisés contre les personnalités trop dominantes. C'est Christoph Blocher qui s'est le plus approché de ce rôle - avec la fin que l'on sait. Et après sa destitution, le doyen de l'UDC n'a pas réussi un come-back à la Trump.
Mais l'UDC se voit tout de même boostée par cette victoire dans les urnes.
Oui. Dans un premier temps, sa victoire bénéficie aux forces de droite. Car le principe veut que celui qui gagne a raison. Mais cela devrait plutôt avoir un impact sur la manière de faire de la politique que sur les parts de suffrages. Même sans Trump, l'UDC exploite actuellement bien son propre potentiel.
Mais, à moyen terme, le vent pourrait tourner.
Pourquoi?
Trump est un signal d'alarme, surtout en Europe occidentale, où les gens ont un autre point de vue et où beaucoup le contestent. Le Parti socialiste a enregistré une forte augmentation de ses membres après sa victoire électorale en 2016. Cela va même plus loin: l'Europe a ensuite connu l'une de ses phases les plus progressistes.
Connaît-on déjà les conséquences politiques réelles pour la Suisse?
Avec Trump, et son irrégularité, le risque que les choses dérapent est bien réel, y compris sur le plan économique, d'autant plus qu'il a des majorités dans les deux chambres. Il ne se refuse désormais plus rien et, contrairement à 2016, il a écarté celles et ceux qui le critiquaient en interne.
Si Trump affaiblit l'Otan comme il l'a annoncé, l'Europe devra investir davantage dans la sécurité et l'armée. La Suisse devra-t-elle aussi contribuer?
La guerre en Ukraine plane effectivement au-dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès. Mais je doute que la Suisse se réarme davantage.
Pourquoi pas?
Le débat risque de s'enliser, comme cela s'est déjà vu à ce sujet. Beaucoup gardent à l'esprit que nous sommes au cœur de l'Europe, et très heureux d'avoir des pays amis autour de nous.
Le lobby militaire est par ailleurs moins puissant que de nombreux autres. Il y a beaucoup d'intérêts et d'idées divergentes. Surtout en cette période où la Confédération doit faire des économies.
Donc l'arrivée au pouvoir du «pote» de Poutine n'aura pas de conséquences pour la Suisse?
Il y a un risque bien réel que la Russie se sente encouragée à poursuivre son avancée dans l'ouest de l'Ukraine. Surtout si Trump met sa menace à exécution et réduit son soutien financier à Kiev. Le cas échéant, des millions de personnes supplémentaires fuiraient le pays, ce qui aurait de très graves répercussions pour la Suisse.
Cela augmenterait également la pression en Suisse sur les Ukrainiens en quête de protection.
En effet. Aujourd'hui déjà, les partis bourgeois souhaitent serrer la vis et pouvoir renvoyer ces réfugiés sous certaines conditions. L'UDC va le plus loin dans ce sens.
Si la nouvelle administration américaine encourage indirectement la Russie à progresser en Ukraine, la question des réfugiés s'aggravera chez nous. C'est aussi simple que cela. Et une hausse de la migration n'a jamais fait de mal à l'UDC sur le plan politique.
(Adaptation française: Valentine Zenker)