Quitter la prostitution est bien plus qu'une réorientation professionnelle: cette activité marque la situation financière, l'environnement social, le rythme quotidien des personnes qui la pratiquent.
Carina Germann travaille pour l'Armée du Salut et accompagne les travailleuses du sexe qui veulent quitter le milieu. Elle explique:
Elle reçoit désormais le soutien du canton de Berne: le gouvernement bernois alloue cette année 164 000 francs au programme de sortie de la prostitution.
En 2018, elle a lancé à Berne un projet pilote, Rahab, qui a rapidement pris de l'ampleur. Aujourd'hui, Rahab dispose d'un pourcentage de poste de 260% et travaille avec seize bénévoles. Depuis le début du projet, 67 personnes au total souhaitant quitter la prostitution ont été prises en charge. Rien que depuis janvier, l'organisation a reçu dix nouvelles demandes. Rahab se heurte donc régulièrement à ses limites, selon Germann, la responsable du service:
Le canton de Berne soutient déjà des offres similaires comme le centre bernois pour le travail du sexe Xenia ou la fondation Contact avec son programme «la Strada». Mais ces deux organisations se concentrent sur l'amélioration des conditions de vie et de travail des travailleuses du sexe. Cela comprend par exemple des conseils juridiques ou de santé. Avec Rahab, le canton finance pour la première fois un projet qui se concentre explicitement sur la sortie de la prostitution.
Berne n'est pas un cas isolé. Depuis trois ans, les milieux chrétiens en particulier tentent de mobiliser des fonds publics pour des programmes de sortie de la prostitution. Au niveau suisse, l'ancienne conseillère nationale bernoise Marianne Streiff-Feller (PEV) a demandé que la Confédération finance des offres d'aide pour les travailleuses du sexe souhaitant quitter la prostitution. Elle a échoué sur une question de forme: la réglementation de la prostitution relève de la compétence des cantons. Depuis lors, le PEV se focalise sur ces derniers.
Le parlement de Bâle-Ville a accepté une intervention qui demande également des moyens pour les programmes de sortie du travail du sexe. Le gouvernement doit faire une proposition en ce sens dans le courant de l'année. Un projet pilote de ce type a déjà été mis en place dans le canton de Zurich. Depuis 2022, le canton alloue des fonds à une poignée d'organisations d'inspiration chrétienne qui souhaitent accompagner les travailleuses du sexe dans leur démarche de sortie.
Leurs approches sont controversées, entre autres parce que les exigences sont élevées. Une réintégration durable demande beaucoup de temps, de compétences et d'argent. Lors de l'attribution des fonds, les milieux spécialisés ont affirmé qu'il était difficile de garantir ces resources, surtout avec des bénévoles. En conséquence, il est très probable que les personnes accompagnées retournent tôt ou tard à la prostitution. En Suisse, on estime que 20 000 personnes travaillent dans la prostitution.
Au cours des sept dernières années, Rahab a accompagné 67 personnes. Deux tiers d'entre elles ne sont plus actives dans la prostitution. Mais seule la moitié des personnes accompagnées par Rahab s'en sortent sans aide financière. Le reste reçoit soit de l'aide sociale, soit des fonds d'autres institutions – y compris de l'Armée du Salut elle-même.
L'intégration dans le marché du travail est particulièrement compliquée, explique Lelia Hunziker. Elle dirige le Centre national pour la traite des femmes et la migration des femmes (FIZ). Les personnes qui ont besoin d'accompagnement manquent souvent de compétences linguistiques et professionnelles pour obtenir des emplois mieux rémunérés. Elles passent d'une situation précaire à une autre – dans le nettoyage, la restauration, la production. Elles y perçoivent de bas salaires et doivent éventuellement recourir à l'aide sociale. Cela peut avoir des conséquences négatives sur leur propre statut de séjour ou compromettre le regroupement familial.
Dans de tels cas, le retour à la prostitution peut aussi signifier plus de liberté, dit Lelia Hunziker. La liberté de travailler de manière flexible, de soutenir sa propre famille, et de vivre là où on le souhaite.
Considérer la sortie de la prostitution comme l'objectif principal pose le risque de nier aux personnes concernées leur liberté de décision et de renforcer encore la stigmatisation autour de la prostitution. Lelia Hunziker rappelle que c'est une décision difficile:
«Nous sommes au courant de cette problématique», rétorque Carina Germann. Elle précise que contrairement à d'autres, le centre d'accueil de l'Armée du Salut ne fait pas de prosélytisme:
Le centre d'accueil oriente aussi ses clientes vers d'autres services spécialisés comme Xenia. «Nos mandants sont et restent nos clientes», explique Carina Germann.
Le canton de Berne ne voit pas dans Rahab une concurrence aux offres existantes pour les travailleuses du sexe. Il est judicieux de garantir une offre diversifiée, écrit la direction des affaires sociales. Toutes les organisations sont tenues de fournir leurs prestations de manière indépendante sur le plan confessionnel. Le canton procède aussi à des contrôles à ce niveau.
Mais les sommes allouées ne changeront pas grand-chose. Dans le canton de Zurich, le bilan a été modeste:
Il faut tout simplement plus de moyens pour qu'elles soient efficaces. Il serait logique et judicieux de mieux soutenir les organisations qui ont déjà de l'expérience dans le conseil aux travailleuses du sexe, conclut-elle.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci