Près d’un quart du temps de travail du personnel médical est aujourd’hui absorbé par la paperasse et d’autres tâches administratives. Résultat, le contact direct avec les malades s’amenuise. Le phénomène inquiète le secteur, d’autant que la situation se dégrade. Entre les nouvelles normes de qualité, la multiplication des rapports et l’introduction du dossier électronique du patient, la charge de travail explose… sans bénéfice concret pour les soins.
Les nouvelles obligations saturent le quotidien médical. Dans un ouvrage consacré à la réforme du système de santé, le professeur Andreas Kistler plaide pour supprimer les «bullshit jobs» et toutes ces tâches inutiles (Die Kostenexplosion im Gesundheitswesen, 2025 NZZ Libro.). Ce serait une cure d’amaigrissement radicale, recentrée sur l’essentiel.
Pour cela, il faudrait toutefois repenser le système: les tâches qui aujourd'hui apportent peu ou aucun bénéfice médical, mais sont exigeantes en temps et en personnel, ont été créées par le système lui-même. Il en va ainsi des codeurs, qui saisissent les symptômes des patients pour permettre la facturation de forfaits plus élevés, des décisions de prise en charge par les assurances, des contrôleurs chargés d'optimiser les tarifs ou encore des responsables qualité, qui veulent embellir les hôpitaux avec des certifications.
Le professeur Kistler met le doigt sur un vrai malaise: l’inflation administrative n’a rien d’inéluctable, elle est le fruit de décisions humaines. Les indicateurs de qualité exigent toujours plus de comptes rendus, la pression financière renforce encore les contraintes, et le dossier numérique, censé simplifier les choses en centralisant toutes les données médicales, se révèle selon de nombreux médecins plus lourd et moins pratique que les bons vieux dossiers papier.
Contre cette bureaucratie, les médecins commencent à réagir. Dans son rapport annuel actuel, la Société suisse de chirurgie viscérale (SSCV) consacre un large chapitre au thème de la bureaucratie. Des chirurgiens de toutes les régions du pays y critiquent cette évolution. Ainsi, Andrea Donadini, CEO de la Swiss Surgical Practice à Lugano, déplore que même les interventions de routine nécessitent une «flotte de formulaires»:
Ce qui l'inquiète surtout, ce sont les conséquences:
Et ce n’est là que le début d’une longue litanie de tâches et de formulaires. À terme, c’est la confiance dans le personnel soignant et dans sa capacité à assumer ses responsabilités qui s’effrite.
Ce que les médecins déplorent n’est pas un hasard, mais une volonté politique: en 2019, le Parlement a créé les bases légales pour une Commission fédérale de la qualité. Juste avant la pause estivale, celle-ci s’est défendue de ses résultats encore inexistants, expliquant qu’il fallait d’abord collecter des données avant d’édicter mesures et directives.
Une refonte du système paraît illusoire à brève échéance. Mais les avancées technologiques devraient au moins permettre d’alléger la charge administrative, notamment au moyen d’un dossier électronique du patient réellement opérationnel.
Traduit et adapté par Noëline Flippe