Suisse
Assurance maladie

L'assurance refuse de payer le traitement qui lui sauve la vie

C'est trop cher pour la caisse maladie, qui refuse de rembourser. Juridiquement, elle en a le droit.
C'est trop cher pour la caisse maladie, qui refuse de rembourser. Juridiquement, elle en a le droit.dr

«Sans ça, elle meurt»: l'assurance refuse de payer son traitement

Une Suissesse gravement malade réclame en vain à sa caisse maladie le remboursement d’un médicament qui non seulement la soulage, mais peut aussi prolonger sa vie. La Cour européenne des droits de l’homme vient pourtant de donner raison à l'assureur.
06.08.2025, 05:3706.08.2025, 05:37
Léonie Hagen / ch media
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Dans cette affaire, il est non seulement question de vie ou de mort, mais également de beaucoup d’argent. Une patiente suisse s'est battue contre son assurance pour savoir qui prendra en charge le coût d’un médicament qui pouvait prolonger sa vie.

La femme a poussé le dossier jusqu’à Strasbourg, où les juges européens ont donné raison à la caisse maladie. Cette décision soulève une question fondamentale: combien vaut une vie humaine?

Seul son index bouge

Et bien sûr, il s'agit de savoir qui paie pour cette vie. La patiente en question souffre d’amyotrophie spinale, une maladie génétique qui, dès la naissance, empêche la transmission des signaux nerveux vers les muscles, qui finissent par se dégrader progressivement. Incurable, la maladie ne peut être ralentie que par certains traitements.

Dans son cas, cela signifie que la jeune femme utilise un fauteuil roulant depuis son enfance. A 16 ans, elle a dû être alimentée par sonde gastrique. A 29 ans, elle a eu besoin d’une assistance respiratoire, et ses poumons doivent être vidés plusieurs fois par jour.

Son seul lien avec le monde est son index, qui lui permet de contrôler son fauteuil et son téléphone. Ce petit geste lui permet encore de mener son quotidien, de voir ses amies, de faire de la recherche à l’université. Mais en 2018, la force de ce doigt a commencé à décliner.

Un nouveau médicament pourrait la soulager

Le Spinraza, un nouveau médicament, pourrait ralentir, voire stopper la maladie. Mais chaque injection coûte 90 000 francs. La première année de traitement requiert six doses, puis deux par an.

C'est trop cher pour la caisse maladie, qui refuse de rembourser. Juridiquement, elle en a le droit, car si le médicament est autorisé, il ne figure pas sur la liste des traitements spéciaux fixée par la Confédération.

Cette liste détermine quels médicaments peuvent être remboursés pour chaque maladie rare. Il ne suffit pas qu’un médicament soit efficace, il doit aussi être approprié et rentable. Donc, apporter une valeur ajoutée suffisante pour son prix. La question est de savoir ce qui définit une telle valeur.

Pour sa liste, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) s’en remet à la science. Mais pour les maladies rares, il est difficile d’obtenir des données statistiques solides.

Un long combat devant les tribunaux

C’est ce que constate la patiente atteinte d’amyotrophie spinale. Celle-ci fait appel jusqu’au Tribunal fédéral, présente de nouvelles études scientifiques prouvant l’efficacité du médicament. La jeune femme récolte de l’argent pour financer une première dose sans aide de l’assurance, puis fournit des rapports d’experts démontrant qu’elle peut à nouveau bouger plusieurs doigts et parler plus distinctement grâce au traitement.

Mais les tribunaux finissent par rejeter tous ses arguments. Le nombre de patients étudiés étant faible, les résultats statistiques ne sont pas jugés significatifs. Les avis d’experts ne changent rien, car un cas individuel ne suffit pas à justifier une prise en charge généralisée.

Bien que l’efficacité du médicament ne soit pas contestée, les juges suisses rejoignent donc l’avis des assurances. C'est au printemps 2020 que le Spinraza est finalement ajouté à la liste des traitements spéciaux.

Mais cela n’aide guère la patiente concernée. Le remboursement n’est prévu que pour les patients de plus de 20 ans qui ne sont pas sous ventilation artificielle. Si elle veut poursuivre son traitement, elle devra continuer à le payer elle-même. Elle saisit alors la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à Strasbourg. Celle-ci, à quatre voix contre trois, estime que la décision de la caisse maladie ne viole aucun article de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Cour invoque la «marge d’appréciation nationale». Lorsqu’il s’agit d’équilibrer les intérêts individuels et collectifs dans un cadre légal, les Etats disposent d’une certaine liberté. C’est ce qu’elle affirme ici.

Un question de vie ou de mort

Pour l'avocat de la patiente, Philip Stolkin, ce verdict constitue une surprise. Pour lui, le cas est clair:

«Le médicament fonctionne. Si la patiente ne le reçoit pas, elle meurt»

Selon l'avocat, exiger des preuves allant au-delà du raisonnable ne sert qu’à masquer des considérations économiques qui priment sur la vie. «Nos tribunaux protègent les assurances plutôt que les gens, c'est une triste réalité. Mais que la CEDH cautionne cela m’a stupéfié.»

Selon lui, imposer de telles restrictions revient à décider de quelles vies valent la peine d’être sauvées et lesquelles ne le méritent pas. Or, il existe d’autres moyens pour l’Etat de lutter contre les prix exorbitants des médicaments, comme la caisse unique. Que la Suisse ne le fasse pas montre, selon Philip Stolkin, que les intérêts des banques, des assurances et de l’industrie pharmaceutique priment sur la dignité humaine.

«Le prix passe avant la dignité»

Des critères «arbitraires et discriminatoires»

L’OFSP s’en défend, le Spinraza figure désormais sur la liste des spécialités. Il ne s'agit pas là d'une opposition de principe au remboursement, dit l'Office, et «le prix n’est absolument pas» le problème. Ce qui est en jeu, ce sont les remboursements hors des critères définis. Et cela exige des preuves solides de l’efficacité, jugées dans cette affaire insuffisantes.

La fondation Pro Raris, qui défend les personnes atteintes de maladies rares, n’est pas d’accord. Pour elle, ces restrictions sont «totalement arbitraires et discriminatoires».

Ce cas ne crée certes pas de jurisprudence, mais il illustre ce que vivent beaucoup de patients. Les maladies rares ne sont comprises que par quelques spécialistes, et lorsqu’elles sont évaluées de manière plus générale, le risque est grand que les personnes concernées ne soient pas prises au sérieux.

Philip Stolkin entend porter l’affaire devant la Grande Chambre de la CEDH. Le vote de la Cour ayant été très serré, rien ne dit que cette dernière confirmerait la décision. Il espère un revirement, car pour lui, «il s’agit tout de même du droit à la vie, le droit humain le plus fondamental.»

Il reste deux mois à l'avocat pour déposer sa demande. Mais une décision pourrait se faire attendre un an ou plus. En attendant, la patiente reste livrée à elle-même.

Traduit de l'allemand par Joel Espi

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