Ines* a eu du mal à reconnaître son propre fils: Marco* se comportait de manière inhabituellement têtue et provocante, repoussant les limites. Sa voix était éraillée, comme s'il était enrhumé en permanence, il commençait à transpirer et avait les cheveux gras:
Tout indiquait une puberté. Pourtant, Marco* venait d'avoir sept ans. Comme le pédiatre l'a constaté peu après, les testicules de Marco* étaient aussi gros que ceux d'un enfant de douze ans. Diagnostic: pubertas praecox. Il s'agit du terme technique pour désigner une puberté trop précoce.
On parle de ce phénomène lorsque les attributs sexuels tels que les glandes mammaires se développent avant l'âge de huit ans chez les filles et que les testicules des garçons augmentent de volume avant l'âge de neuf ans. On estime qu'un enfant sur 5000 à 10 000 est concerné, les filles étant 5 à 20 fois plus souvent touchées que les garçons.
La courbe de croissance est le premier indice de la puberté précoce. Selon celle-ci, les garçons de l'âge de Marco* grandissent de 6 centimètres par an. Chez Marco*, c'était 5 centimètres en cinq mois. En extrapolant, cela aurait donné 14 centimètres de croissance en seulement un an. Les radios de la main gauche et du poignet ont révélé une croissance osseuse accélérée, ce qui est un signe de la «poussée de croissance pubertaire» déclenchée par l'augmentation des hormones de croissance et sexuelles.
Ines* était encore sous le choc après le diagnostic, lorsqu'en faisant des recherches sur Google, elle a de nouveau reçu un coup de massue, elle le raconte:
Pour elle et sa famille, un attente stressante débute alors afin d'obtenir un rendez-vous avec Urs Eiholzer, pédiatre et spécialiste en endocrinologie pédiatrique, responsable du Centre d'endocrinologie pédiatrique (CEPZ) à Zurich, une ressource clé pour les familles avec des enfants en puberté précoce. La plus jeune patiente de son cabinet n'avait que deux ans lorsqu'elle a eu ses règles.
Chez Marco*, Eiholzer a également confirmé le diagnostic de puberté précoce, bien qu'une IRM réalisée à l'hôpital universitaire de Zurich ait heureusement exclu la présence d'une tumeur cérébrale. «Plus de 70% des cas sont idiopathiques», explique le médecin.
La même semaine, Eiholzer prescrit à Marco* un médicament, le Lucrin, un bloqueur de puberté à injecter tous les trois mois. Ines* s'est d'abord sentie piégée: «Tout devait aller vite, car la puberté de Marco* progressait trop rapidement». Elle est plutôt sceptique vis-à-vis de la médecine traditionnelle et préfère d'abord essayer des méthodes alternatives. Mais comme il n'y a pas de possibilités dans ce cas, elle opte pour l'hormonothérapie: «Je ne voulais pas risquer de voir pousser une barbe à mon fils à neuf ans», dit-elle.
Maintenant, après les deux premières injections, les effets se font déjà sentir: la croissance de Marco* a pu être freinée, ses cheveux ne sont plus gras, sa sueur ne sent plus, la taille de ses testicules a même un peu diminué.
L'âge auquel les filles et les garçons atteignent la puberté a baissé au cours des dernières décennies. Cela s'explique principalement par un poids corporel en constante augmentation. En effet, «le poids est l'un des principaux moteurs d'une puberté précoce», explique Michael Hauschild, pédiatre au Chuv et président de la Société Suisse d'Endocrinologie et de Diabétologie Pédiatrique (SSEDP). En effet, plus il y a de tissu adipeux dans le corps, plus il y a de leptine dans le sang - et c'est entre autres cette hormone qui fait avancer la puberté.
Il s'agit notamment des retardateurs de flamme, des pesticides, du bisphénol A et des PFAS difficilement dégradables.
Il n'existe, toutefois, pas de preuves claires que ces substances interviennent directement dans le développement pubertaire: les études à ce sujet sont extrêmement disparates, comme l'a montré une grande méta-analyse réalisée par des chercheurs danois en 2022.
Il en va de même pour d'autres facteurs qui ont déjà été soulevés comme étant une des causes de la puberté précoce, comme la qualité du sommeil, le taux de mélatonine, l'augmentation du temps passé devant les écrans et la lumière bleue.
Parallèlement à une puberté plus précoce en moyenne, on diagnostique davantage de cas. Par exemple, au Danemark, on a constaté chez les filles une multiplication par près de cinq entre 2008 et 2014. Et le Covid-19 semble avoir renforcé cette tendance: pendant la pandémie, les cliniques en Turquie, en Italie et en Allemagne, par exemple, ont enregistré une augmentation allant jusqu'à 30%.
On ne peut que spéculer sur les causes. Michael Hauschild exclut que l'infection virale soit directement responsable. Ce sont plutôt les circonstances accompagnant la pandémie qui pourraient en être en cause. Ainsi, certains enfants ont mangé de manière moins saine et ont moins bougé pendant la pandémie. Résultat: davantage de surpoids. Une autre cause pourrait être le stress accru pendant la pandémie, car le stress accélère le vieillissement du corps. Hauschild appelle toutefois à la retenue dans l'interprétation:
Ou que l'augmentation observée aujourd'hui se situe simplement dans le cadre des fluctuations annuelles normales.
Urs Eiholzer est du même avis: «Les parents sont devenus beaucoup plus sensibles. Depuis la pandémie, nous recevons nettement plus de demandes, la plupart du temps parce que deux ou trois poils pubiens ont poussé chez l'enfant». Dans la grande majorité des cas, il s'agit d'une fausse alerte:
Celles-ci peuvent produire, en plus du cortisol, des hormones sexuelles masculines faibles, ce qui ne doit pas être traité. En Suisse, les cas de puberté précoce semblent être restés stables pendant la pandémie. «Il n'y a pas lieu de s'inquiéter», affirme Hauschild.
Le recul de l'âge de la puberté est également relativisé dans une perspective évolutionniste, comme l'ont suggéré dès 2006 Peter Gluckman et Mark Hanson, biologistes évolutionnistes de Nouvelle-Zélande et d'Angleterre. Selon eux, les premières règles des filles des sociétés de chasseurs-cueilleurs qui vivaient il y a 20 000 ans commençaient, selon les estimations, à un âge compris entre 7 et 13 ans. Cet âge a considérablement augmenté au cours de la révolution agricole et, surtout, pendant la révolution industrielle. Au XIXe siècle, lorsque les gens étaient soumis à des conditions de vie désastreuses - mauvaise alimentation, hygiène et santé - les filles n'avaient leurs règles qu'à 16 ou 17 ans.
D'un point de vue évolutif, il n'est donc pas inhabituel de commencer la puberté avant dix ans. Ce qui est exceptionnel aujourd'hui, c'est que le début de la puberté, c'est-à-dire la maturité biologique, ne coïncide pas avec la maturité psychosociale. Selon Gluckman et Hanson, ce phénomène est sans précédent dans les 200 000 ans d'évolution de notre espèce, comme ils l'ont noté dans la revue Trends in Endocrinology & Metabolism. A l'époque préhistorique, les filles devenaient sexuellement matures à un âge où elles pouvaient déjà fonctionner de manière autonome dans une société beaucoup moins complexe qu'aujourd'hui.
Vivre avec un corps qui grandit trop vite peut être pesant. Des études indiquent que les enfants concernés sont plus susceptibles d'avoir des problèmes psychologiques et d'adopter un comportement plus risqué, c'est-à-dire de consommer des drogues ou de l'alcool. Les filles ont tendance à souffrir davantage que les garçons. Par exemple, selon certaines études, elles sont plus souvent victimes de harcèlement que leurs camarades.
Mia* a eu plus de chance, bien que le pédiatre lui ait également conseillé, ainsi qu'à sa famille, de faire examiner sa puberté précoce dès l'âge de sept ans et demi, comme le raconte son père Markus*:
Sa fille était aussi souvent très émotive, ce que Markus* explique a posteriori comme un signe d'entrée dans la puberté.
Pendant des mois, la famille s'est rendue à plusieurs reprises au PEZZ pour mesurer et examiner Mia. Au début de l'année, les indices étaient clairs: «Ma fille a toujours été la plus grande de sa classe, mais elle a soudain connu une nouvelle poussée de croissance énorme», explique Markus*. En extrapolant sur une année, elle aurait grandi de 10 centimètres, alors que la normale serait de 6 centimètres à son âge. Mia* était donc en pleine croissance pubertaire. Ses glandes mammaires étaient clairement palpables et le test sanguin pour les hormones de fertilité s'est révélé positif.
Markus* raconte que Mia* n'est pas harcelée à l'école en raison de sa taille ou de la poursuite de son développement physique. Au contraire:
Mais lui et sa compagne étaient conscients que Mia* pourrait vite se sentir mal à l'aise si ses seins se mettaient soudainement à pousser ou si ses règles se déclenchaient - «alors qu'elle devrait pouvoir rester enfant encore quelques années», explique le père.
C'est cette pensée qui a finalement motivé le début du traitement avec le Lucrin, un bloqueur de puberté. Une chance qu'il existe un médicament aussi efficace et sûr contre la précocité, déclare Markus*. La fillette de huit ans a reçu sa première injection. «Bien sûr, le traitement représente une atteinte à l'intégrité physique de ma fille», explique le père.
*Dans cet article, les prénoms des enfants et des parents ont été changés.
Traduit et adapté par Noëline Flippe