Bénédicte (nom d'emprunt) a un an ce jeudi. Elle est moins bavarde que les autres enfants de son âge: les médecins du Chuv de Lausanne ont diagnostiqué un retard de développement, qui affecte aussi sa motricité. Le journal 24 heures a fait état de la situation fin mars. Quelques jours après la naissance de la fillette en 2023, l'autorité vaudoise de protection de l'enfance a retiré à sa mère le droit de déterminer le domicile de Bénédicte – et l'a placée dans un foyer.
Début avril, quelque chose de «grave» s'est produit, assure la tante de Bénédicte. Soudain, une grosse bosse est apparue sur la tête de l'enfant. Quelqu'un a-t-il été imprudent avec la petite fille?
Bénédicte ne pouvant ni ramper, ni s'asseoir, ni se tenir debout. Pourtant, l'éducatrice affirme que l'enfant s'est cogné la tête contre un mur. Elle n'a pas alerté de médecin.
Le sort de Bénédicte émeut la Suisse romande. Plus de 700 personnes ont signé une pétition réclamant que la fillette soit rendue à sa mère: vingt-trois personnalités, dont de nombreux professeurs et pédiatres, ont lancé le même appel via le Blick. L'ancien conseiller aux Etats Eric Rochat (PLD) l'a également signé. En ligne, il s'en prend durement aux autorités vaudoises.
Dans une lettre de lecteur, la pédopsychiatre à la retraite Odette Masson, qui a également signé l'appel, a constaté une défaillance institutionnelle en chaîne. Aucun des acteurs impliqués dans les domaines médical, social et juridique n'aurait remis en question les décisions des autres instances.
Dans une déclaration écrite à CH Media (éditeur de watson), la mère qualifie la situation de cauchemar:
Elle espère qu'aucune femme qui vient de donner naissance à un enfant ne sera traitée de la sorte:
La pression publique est restée sans effet jusqu'à présent. Dans une décision rendue fin février, le Tribunal fédéral a soutenu le placement de l'enfant en foyer. Il a tout de même accordé plus de temps de visite à la mère. Depuis, elle peut rendre visite à Bénédicte le mercredi (une heure et demie) et le jeudi (une heure) sous surveillance au foyer, et trois heures, seule, le samedi et le dimanche.
Au début, les autorités avaient limité le contact mère-enfant à deux épisodes hebdomadaires d'une demi-heure chacun. La raison: le manque de personnel au foyer. Les grands-parents de Bénédicte ainsi que sa tante se sont vu refuser l'accès pendant des mois:
L'histoire préoccupe depuis longtemps le monde politique. Les responsables se veulent rassurants. «Bénédicte va bien et se développe bien», a récemment déclaré au Blick le conseiller d'Etat vaudois compétent Vassilis Venizelos (Verts). Mais la mère et la famille de la fillette ne sont pas inquiètes sans raison, et le retard de développement est évident. Un professeur de neuropsychologie a récemment conclut:
Le neuropsychologue attribue cette situation au fait qu'elle réside dans un foyer. L'environnement éducatif qui y règne a un effet négatif sur le développement de Bénédicte, selon lui. Sa mère tient le même discours:
L'expert avait déjà averti en novembre dernier que Bénédicte devait retourner chez sa mère. En effet, être séparée de sa mère pourrait avoir de lourdes conséquences: les médecins ont diagnostiqué une dépression chez Bénédicte.
Tout cela est-il dû au placement en foyer? «On ne peut pas établir ce lien avec certitude», a assuré le médecin cantonal vaudois Karim Boubaker au Blick. L'expert explique que d'innombrables facteurs peuvent expliquer un retard de développement – par exemple un accouchement avant le terme, des problèmes de développement pendant la grossesse ou des problèmes génétiques. Il a souligné que Bénédicte était en bonne santé, qu'elle ne souffrait pas et n'avait pas de maladie grave.
Ces mots ne suffisent pas à consoler la mère de Bénédicte. Elle porte l'arrêt du Tribunal fédéral devant la Cour européenne des droits de l'homme, se référant au droit au respect de la vie familiale. En décembre dernier, elle avait déjà déposé une plainte pénale. Et entre-temps, le Ministère public vaudois a ouvert une procédure pénale. Il enquête sur les circonstances du placement – et si le foyer s'est occupé correctement de Bénédicte.
Toutefois un incident dramatique s'est produit le 22 juin de l'année dernière. A 2 heures du matin, 10 jours après son entrée au foyer, une éducatrice a découvert Bénédicte, toute bleue et comme morte dans son petit lit. Le bébé a été transporté d'urgence au Centre hospitalier universitaire vaudois, où elle est restée près d'un mois.
La mère de Bénédicte a réalisé son désir d'avoir un enfant grâce à un don de sperme au Danemark. Elle a dû patienter cinq ans avant que la grossesse n'aboutisse, à l'âge de 39 ans. Le 30 mai de l'année dernière, Bénédicte est née par césarienne d'urgence à l'hôpital universitaire de Lausanne; sa mère était touchée par une prééclampsie à huit mois de grossesse.
Malgré ce début de vie difficile, tout semblait bien se passer au départ. La petite fille de 2.2 kg était allaitée par sa mère et n'avait pas besoin d'oxygène. Mais quatre jours après l'accouchement, sa mère s'est retrouvée aux soins intensifs parce qu'elle avait refusé de prendre des médicaments contre l'hypertension – selon les documents judiciaires. La mère conteste cette version de l'histoire.
A ses yeux, le calvaire avait déjà commencé avant cela. La mère de la fillette et de sa sœur, qui l'a accompagnée à l'hôpital, racontent leur vécu: le personnel hospitalier aurait fait des remarques méprisantes sur le don de sperme («Où est donc le père de l'enfant?»), ne montrait aucune empathie pour la situation difficile (césarienne d'urgence) et une sage-femme hostile lui aurait reproché de poser trop de questions sur le dosage du biberon.
Le personnel se serait plaint que la mère portait mal le bébé, qu'elle ignorait les conseils et préférait se fier à des recherches sur Internet.
Une psychiatre de l'hôpital se serait entretenue pendant deux minutes avec la mère et aurait trouvé qu'elle parlait peu à l'enfant, émettant même des hypothèses sur une éventuelle maladie psychique.
«Au lieu de cela, la psychiatre a fait des remarques désobligeantes sur l'insémination artificielle et s'est inquiétée de l'absence d'un homme», raconte la sœur.
Une équipe de médecins de l'hôpital universitaire qui s'occupe des cas d'abus et de négligence envers les enfants (CAN-Team) reprend les critiques du personnel et fait un rapport de danger le 2 juin. Le même jour, l'autorité vaudoise de protection de l'enfance retire à la mère le droit de déterminer le lieu de domicile de Bénédicte.
Le 5 juin 2023, alors que la mère est aux soins intensifs, une juge du district de Lausanne approuve provisoirement la décision – sans n’avoir jamais rencontré le nouveau-né ni sa mère. Bénédicte reste encore une semaine à la pouponnière avant d'être transférée au foyer de Lausanne.
La juge confirme sa décision en août et dira plus tard qu'elle n'a pas voulu s'opposer à l'autorité cantonale de protection de l'enfant. Aux yeux des autorités, la mère célibataire est fondamentalement incapable de s'occuper adéquatement d'un bébé, et il y aurait des problèmes dans le lien mère-enfant.
La tante de Bénédicte trouve ces accusations absurdes:
Lorsque la mère quitte l'unité de soins intensifs le 7 juin 2023, Bénédicte se trouve dans le service des nourrissons. La mère ne peut presque plus voir son bébé. La tante de Bénédicte ne comprend pas que «ce sont justement ceux qui ont limité les contacts à ce point qui reprochent à la mère un lien insuffisant avec son enfant».
«La relation mère-enfant pas assez développée» est l'argument central que l'autorité cantonale de protection de l'enfant met en avant pour ne pas confier Bénédicte à sa mère. Et c'est justement cet argument que l'ancien conseiller aux Etats Eric Rochat trouve scandaleux:
L'ex-élu rappelle le scandale des enfants placés et évoque les séquelles qu'un enfant peut subir lorsqu'il est séparé de sa mère.
Il est très rare que les autorités de protection de l'enfant et de l'adulte (APEA) placent des bébés en foyer directement après leur naissance. Le retrait du droit de déterminer le lieu de domicile est la mesure la plus radicale en matière de protection de l'enfant. L'APEA ne la prend que si, de son point de vue, des moyens moins contraignants ne suffisent pas à protéger le bien-être de l'enfant. Il s'agit souvent de problèmes de dépendance, de négligence, de violence ou d'abus.
Manon Schick, directrice de l'autorité vaudoise de protection de l'enfant (DGEJ), ne s'est pas exprimée sur le cas concret auprès de la RTS, invoquant le secret de fonction. Elle a argumenté sur un plan général et a déclaré que les parents ne peuvent souvent pas comprendre des décisions aussi difficiles et qu'un placement est toujours le dernier recours.
La direction de Schicks a également répondu à plusieurs questions de notre journal par des explications générales telles que: «la DGEJ a étendu les heures de visite sur ordre du Tribunal fédéral». Et:
Le cas révèle à quel point la perception des autorités et des parents concernés peut diverger. La mère a déclaré à 24 heures: «Je ne bois pas, je ne consomme pas de drogue. Je suis certes une mère célibataire, mais ma famille me soutient. C'est inhumain de me retirer mon enfant».
Pour la pédopsychiatre Odette Masson, une chose est claire, le temps presse:
La médecin affirme que Bénédicte doit maintenant être confiée le plus rapidement possible à sa mère. La fillette aurait ainsi la chance de rattraper son retard de développement.
Malgré les circonstances défavorables, il y a aussi des signes positifs. «Quand Bénédicte passe du temps avec sa mère, elle va bien, elle sourit, elle est active», dit la tante. Elle espère que sa sœur pourra bientôt prendre Bénédicte seule en charge. Car il s'écoulera encore beaucoup de temps avant que la Cour européenne de Strasbourg ne rende sa décision, dont l'issue reste incertaine.
La maman clôt ainsi son courrier:
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci