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Bénédicte, placée en foyer, a un an: sa mère livre sa version

Son bébé lui a été «arraché» par les autorités: cette mère se confie

A peine venue au monde, Bénédicte a secoué le canton de Vaud. Il y a un an, la petite fille naissait par césarienne d'urgence avant d'être placée en foyer par les autorités qui souhaitaient la protéger. Une décision que sa mère et différents experts ne cessent de remettre en cause.
29.05.2024, 20:4630.05.2024, 00:01
Kari Kälin / ch media
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Bénédicte (nom d'emprunt) a un an ce jeudi. Elle est moins bavarde que les autres enfants de son âge: les médecins du Chuv de Lausanne ont diagnostiqué un retard de développement, qui affecte aussi sa motricité. Le journal 24 heures a fait état de la situation fin mars. Quelques jours après la naissance de la fillette en 2023, l'autorité vaudoise de protection de l'enfance a retiré à sa mère le droit de déterminer le domicile de Bénédicte – et l'a placée dans un foyer.

Affaire Bénédicte l'enfant placé
Bénédicte peu après sa naissance au Chuv de Lausanne.

Début avril, quelque chose de «grave» s'est produit, assure la tante de Bénédicte. Soudain, une grosse bosse est apparue sur la tête de l'enfant. Quelqu'un a-t-il été imprudent avec la petite fille?

«Elle peut difficilement s'être infligé elle-même cette blessure»
Sa tante.

Bénédicte ne pouvant ni ramper, ni s'asseoir, ni se tenir debout. Pourtant, l'éducatrice affirme que l'enfant s'est cogné la tête contre un mur. Elle n'a pas alerté de médecin.

Le sort de Bénédicte émeut la Suisse romande. Plus de 700 personnes ont signé une pétition réclamant que la fillette soit rendue à sa mère: vingt-trois personnalités, dont de nombreux professeurs et pédiatres, ont lancé le même appel via le Blick. L'ancien conseiller aux Etats Eric Rochat (PLD) l'a également signé. En ligne, il s'en prend durement aux autorités vaudoises.

Dans une lettre de lecteur, la pédopsychiatre à la retraite Odette Masson, qui a également signé l'appel, a constaté une défaillance institutionnelle en chaîne. Aucun des acteurs impliqués dans les domaines médical, social et juridique n'aurait remis en question les décisions des autres instances.

Dans une déclaration écrite à CH Media (éditeur de watson), la mère qualifie la situation de cauchemar:

«Cette séparation est horrible pour moi et pour Bénédicte»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

Elle espère qu'aucune femme qui vient de donner naissance à un enfant ne sera traitée de la sorte:

«Cette situation est indigne de la Suisse de 2024»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

Trouvée comme morte dans son berceau

La pression publique est restée sans effet jusqu'à présent. Dans une décision rendue fin février, le Tribunal fédéral a soutenu le placement de l'enfant en foyer. Il a tout de même accordé plus de temps de visite à la mère. Depuis, elle peut rendre visite à Bénédicte le mercredi (une heure et demie) et le jeudi (une heure) sous surveillance au foyer, et trois heures, seule, le samedi et le dimanche.

Au début, les autorités avaient limité le contact mère-enfant à deux épisodes hebdomadaires d'une demi-heure chacun. La raison: le manque de personnel au foyer. Les grands-parents de Bénédicte ainsi que sa tante se sont vu refuser l'accès pendant des mois:

«J'étais encore hospitalisée quand on m’a annoncé que mon bébé allait être envoyé en foyer, que toute ma famille serait interdite de visite sans aucune raison et que je ne pourrais voir mon bébé qui venait à peine de naître que 1h par semaine»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

L'histoire préoccupe depuis longtemps le monde politique. Les responsables se veulent rassurants. «Bénédicte va bien et se développe bien», a récemment déclaré au Blick le conseiller d'Etat vaudois compétent Vassilis Venizelos (Verts). Mais la mère et la famille de la fillette ne sont pas inquiètes sans raison, et le retard de développement est évident. Un professeur de neuropsychologie a récemment conclut:

«Il est impossible de dire que Bénédicte va bien. Son comportement social est inhabituel: cela ne fait aucune différence si elle interagit avec sa mère, sa tante, son éducatrice ou une personne inconnue, elle réagit de la même manière avec tous.»
Affaire Bénédicte l'enfant placé
Bénédicte sourit dans les bras de sa mère lors d'un trajet en train. La photo date du 11 mai.

Le neuropsychologue attribue cette situation au fait qu'elle réside dans un foyer. L'environnement éducatif qui y règne a un effet négatif sur le développement de Bénédicte, selon lui. Sa mère tient le même discours:

«Tous les médecins que j’ai consultés indiquent que Bénédicte souffrira encore de séquelles dues à la séparation mais il est impossible de savoir de quelles séquelles souffrira encore ma fille à cause de la séparation.»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

L'expert avait déjà averti en novembre dernier que Bénédicte devait retourner chez sa mère. En effet, être séparée de sa mère pourrait avoir de lourdes conséquences: les médecins ont diagnostiqué une dépression chez Bénédicte.

«Cette incertitude est insoutenable»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

Tout cela est-il dû au placement en foyer? «On ne peut pas établir ce lien avec certitude», a assuré le médecin cantonal vaudois Karim Boubaker au Blick. L'expert explique que d'innombrables facteurs peuvent expliquer un retard de développement – par exemple un accouchement avant le terme, des problèmes de développement pendant la grossesse ou des problèmes génétiques. Il a souligné que Bénédicte était en bonne santé, qu'elle ne souffrait pas et n'avait pas de maladie grave.

Ces mots ne suffisent pas à consoler la mère de Bénédicte. Elle porte l'arrêt du Tribunal fédéral devant la Cour européenne des droits de l'homme, se référant au droit au respect de la vie familiale. En décembre dernier, elle avait déjà déposé une plainte pénale. Et entre-temps, le Ministère public vaudois a ouvert une procédure pénale. Il enquête sur les circonstances du placement – et si le foyer s'est occupé correctement de Bénédicte.

«J’appelais le foyer tous les jours qui répétait que Bénédicte allait très bien!»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

Toutefois un incident dramatique s'est produit le 22 juin de l'année dernière. A 2 heures du matin, 10 jours après son entrée au foyer, une éducatrice a découvert Bénédicte, toute bleue et comme morte dans son petit lit. Le bébé a été transporté d'urgence au Centre hospitalier universitaire vaudois, où elle est restée près d'un mois.

«Le foyer m’a appelé un matin pour me dire qu’ils avaient retrouvé mon bébé en état de mort apparente! C’est la pire nouvelle que peut entendre une maman, ils ont été incapables de me dire que ce qui c’était passé, je n'ai pas pu voir tout de suite mon bébé car il fallait attendre l’autorisation de la DGEJ qui a continué à restreindre au maximum mon autorisation de voir mon bébé même à l’hôpital.»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

Née grâce à une PMA

La mère de Bénédicte a réalisé son désir d'avoir un enfant grâce à un don de sperme au Danemark. Elle a dû patienter cinq ans avant que la grossesse n'aboutisse, à l'âge de 39 ans. Le 30 mai de l'année dernière, Bénédicte est née par césarienne d'urgence à l'hôpital universitaire de Lausanne; sa mère était touchée par une prééclampsie à huit mois de grossesse.

Malgré ce début de vie difficile, tout semblait bien se passer au départ. La petite fille de 2.2 kg était allaitée par sa mère et n'avait pas besoin d'oxygène. Mais quatre jours après l'accouchement, sa mère s'est retrouvée aux soins intensifs parce qu'elle avait refusé de prendre des médicaments contre l'hypertension – selon les documents judiciaires. La mère conteste cette version de l'histoire.

A ses yeux, le calvaire avait déjà commencé avant cela. La mère de la fillette et de sa sœur, qui l'a accompagnée à l'hôpital, racontent leur vécu: le personnel hospitalier aurait fait des remarques méprisantes sur le don de sperme («Où est donc le père de l'enfant?»), ne montrait aucune empathie pour la situation difficile (césarienne d'urgence) et une sage-femme hostile lui aurait reproché de poser trop de questions sur le dosage du biberon.

«Personne ne voulait m’aider. Au lieu de m’aider, le personnel passait son temps à me faire des réflexions sur le fait que mon bébé n’aurait pas de père.»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

Le personnel se serait plaint que la mère portait mal le bébé, qu'elle ignorait les conseils et préférait se fier à des recherches sur Internet.

«Le personnel répétait en boucle qu’ils n’avaient pas à m’aider, que je devais me débrouiller toute seule»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

Une psychiatre de l'hôpital se serait entretenue pendant deux minutes avec la mère et aurait trouvé qu'elle parlait peu à l'enfant, émettant même des hypothèses sur une éventuelle maladie psychique.

«Elle n'a pas eu droit à un mot de réconfort après cette naissance difficile»
La sœur

«Au lieu de cela, la psychiatre a fait des remarques désobligeantes sur l'insémination artificielle et s'est inquiétée de l'absence d'un homme», raconte la sœur.

«Ma famille était scandalisée par le comportement du personnel envers moi, juste après cette équipe du CHUV a envoyé un signalement abusif en représailles aux critiques justifiées de ma famille, ce qui m’a fait perdre la garde de mon bébé en quelques minutes.»
Citation tirée de la lettre qui nous est parvenue de la mère.

Une équipe de médecins de l'hôpital universitaire qui s'occupe des cas d'abus et de négligence envers les enfants (CAN-Team) reprend les critiques du personnel et fait un rapport de danger le 2 juin. Le même jour, l'autorité vaudoise de protection de l'enfance retire à la mère le droit de déterminer le lieu de domicile de Bénédicte.

Le 5 juin 2023, alors que la mère est aux soins intensifs, une juge du district de Lausanne approuve provisoirement la décision – sans n’avoir jamais rencontré le nouveau-né ni sa mère. Bénédicte reste encore une semaine à la pouponnière avant d'être transférée au foyer de Lausanne.

La juge confirme sa décision en août et dira plus tard qu'elle n'a pas voulu s'opposer à l'autorité cantonale de protection de l'enfant. Aux yeux des autorités, la mère célibataire est fondamentalement incapable de s'occuper adéquatement d'un bébé, et il y aurait des problèmes dans le lien mère-enfant.

La tante de Bénédicte trouve ces accusations absurdes:

«Comment peut-on poser un tel jugement alors que la mère est manifestement affaiblie par la césarienne, qu'elle est traitée en soins intensifs et qu'elle n'a guère l'occasion de passer du temps avec son nouveau-né?»

Lorsque la mère quitte l'unité de soins intensifs le 7 juin 2023, Bénédicte se trouve dans le service des nourrissons. La mère ne peut presque plus voir son bébé. La tante de Bénédicte ne comprend pas que «ce sont justement ceux qui ont limité les contacts à ce point qui reprochent à la mère un lien insuffisant avec son enfant».

Un ancien conseiller aux Etats rappelle le scandal des enfants placés

«La relation mère-enfant pas assez développée» est l'argument central que l'autorité cantonale de protection de l'enfant met en avant pour ne pas confier Bénédicte à sa mère. Et c'est justement cet argument que l'ancien conseiller aux Etats Eric Rochat trouve scandaleux:

«Comment la mère peut-elle consolider la relation avec son enfant si l'accès à Bénédicte lui est à ce point limité d'office et en raison du manque de personnel dans le foyer? Les autorités devraient tout faire pour renforcer le lien entre la mère et la fillette. Elles ont fait exactement le contraire».

L'ex-élu rappelle le scandale des enfants placés et évoque les séquelles qu'un enfant peut subir lorsqu'il est séparé de sa mère.

Il est très rare que les autorités de protection de l'enfant et de l'adulte (APEA) placent des bébés en foyer directement après leur naissance. Le retrait du droit de déterminer le lieu de domicile est la mesure la plus radicale en matière de protection de l'enfant. L'APEA ne la prend que si, de son point de vue, des moyens moins contraignants ne suffisent pas à protéger le bien-être de l'enfant. Il s'agit souvent de problèmes de dépendance, de négligence, de violence ou d'abus.

Manon Schick, directrice de l'autorité vaudoise de protection de l'enfant (DGEJ), ne s'est pas exprimée sur le cas concret auprès de la RTS, invoquant le secret de fonction. Elle a argumenté sur un plan général et a déclaré que les parents ne peuvent souvent pas comprendre des décisions aussi difficiles et qu'un placement est toujours le dernier recours.

La direction de Schicks a également répondu à plusieurs questions de notre journal par des explications générales telles que: «la DGEJ a étendu les heures de visite sur ordre du Tribunal fédéral». Et:

«Bénédicte bénéficie d'un encadrement professionnel et d'un suivi médical»

Le cas révèle à quel point la perception des autorités et des parents concernés peut diverger. La mère a déclaré à 24 heures: «Je ne bois pas, je ne consomme pas de drogue. Je suis certes une mère célibataire, mais ma famille me soutient. C'est inhumain de me retirer mon enfant».

Pour la pédopsychiatre Odette Masson, une chose est claire, le temps presse:

«Plus un enfant est séparé longtemps de sa mère, plus les conséquences sont graves»

La médecin affirme que Bénédicte doit maintenant être confiée le plus rapidement possible à sa mère. La fillette aurait ainsi la chance de rattraper son retard de développement.

Malgré les circonstances défavorables, il y a aussi des signes positifs. «Quand Bénédicte passe du temps avec sa mère, elle va bien, elle sourit, elle est active», dit la tante. Elle espère que sa sœur pourra bientôt prendre Bénédicte seule en charge. Car il s'écoulera encore beaucoup de temps avant que la Cour européenne de Strasbourg ne rende sa décision, dont l'issue reste incertaine.

La maman clôt ainsi son courrier:

«J’espère que Bénédicte sera de retour le plus rapidement possible à la maison et que la justice condamnera lourdement les responsables de cette situation atroce ayant mis ma fille en danger de mort, cela ne réparera jamais tout le mal qui nous a été fait à Bénédicte et moi, mais j’espère que plus jamais aucune femme enceinte ni aucun bébé ne sera traité avec autant de cruauté, cette situation est indigne d’un pays comme la Suisse en 2024.»

Dans son intégralité, le courrier que la mère nous a adressé 👇

Lettre de la maman de Bénédicte, l'enfant placée

Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci

Des enfants avec des lapins WTF
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Des enfants avec des lapins WTF
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Un enfant part en voyage sur le tapis roulant à bagages
Video: watson
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