Le bras de fer continue entre, d’un côté, les requérants et les associations qui défendent leurs intérêts, et de l’autre, Juraparc, fournisseur des repas au centre fédéral d'asile de Vallorbe (VD), et le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM).
Rembobinons. Lundi 20 février dernier, une photo prise par un requérant au centre fédéral d'asile de Vallorbe est partagée sur Facebook par l'association Droit de rester Neuchâtel. Un post qui avait suscité l'indignation.
On y voyait une fourchette avec des grains de riz à droite de l’image, et à gauche, ce que les requérants décrivaient comme des vers.
Une polémique qui a poussé Juraparc à faire analyser la nourriture. Persuadé que les résultats des deux laboratoires seraient négatifs, le restaurant a aussi reproduit la recette des plats qui ont été servis aux requérants, avec le même riz. Juraparc n'a relevé aucune anomalie, et voulait ainsi démontrer que les stries sur les grains de riz étaient parfaitement normales et pouvaient faire penser à des vers.
Les résultats des laboratoires semblent donner raison à Juraparc, qui assure par ailleurs que la nourriture est cuisinée chaque jour en fin de matinée, avec des produits frais, reçus le jour même. Les plats sont livrés dans la foulée au centre fédéral d'asile de Vallorbe.
Juraparc précise que ses employés mangent les mêmes menus que les personnes hébergées à Vallorbe, idem pour le personnel du SEM et de l'ORS, prestataire mandaté par le SEM. Selon le communiqué de Juraparc, après la découverte de ce qui a été présenté comme des vers, «les menus de tests, la fourchette incriminée et photographiée, ainsi que les plaques de riz basmati ont immédiatement été protégés, et conservés pour analyse comme le veut la procédure des services de l’hygiène».
Le requérant qui a pris la photo nous indique que lorsque son assiette et sa fourchette ont été emportés, il ne sait pas ce que le personnel en a fait. Un autre requérant, qui a eu accès à la cuisine, assure que les plaques de riz n'ont pas toutes été protégées et emportées pour analyse, car une partie du riz a été jetée à la poubelle. Celui qui a pris la photo persiste et signe. Il maintient qu'il s'agissait de vers.
L'ORS a par ailleurs présenté des excuses aux requérants via des affichettes, avant même de connaître les résultats des analyses. «Normal» pour Fabien Honsberger. «Quand bien même les résultats prouvent que ce n'était pas des vers, s'il y a eu des déceptions, il faut présenter des excuses.»
Le SEM, de son côté, nous a transmis un des rapports des analyses effectuées en laboratoire. Les résultats montrent que sur les 250 menus, ce sont seulement 40 grammes de riz qui ont été analysés.
D'autres requérants nous ont interpellés sur les images fournies par Juraparc, qui dit utiliser toujours le même riz, du même fournisseur. Les images sont censées prouver que le riz, qui a été cuisiné une seconde fois de la même manière que lors de l'incident, est bel et bien strié. De leur côté, les requérants assurent que le riz recuisiné par Juraparc n'est pas le même que celui qui leur est habituellement servi, et qu'ils ont mangé le 20 février dernier.
Ils nous ont aussi envoyé une autre photo prise ce fameux midi du 20 février, à la lumière, qui n'avait pas été publiée sur Facebook ou dans la presse.
Vers ou grains de riz? Puisque la nourriture a été analysée en laboratoire, nous, nous avons décidé de soumettre la photo à deux experts des vers et du riz. Pour Sam, un pêcheur du lac Léman qui utilise de tels vers dans son activité, ces «spécimens» sont trop petits [pour en être]. «Certes, à première vue, on dirait des vers de farine, mais en général, ils sont plus longs.» Pour Tania, une cuisinière lausannoise qui travaille le riz basmati au quotidien, le verdict est différent. «Bien cuit, [le riz] n'a pas cet aspect-là, et un grain ne peut pas se tordre comme ça.»
Le SEM nous assure que la direction actuelle du centre n'a pas reçu de plaintes au sujet d'une nourriture «qui aurait régulièrement le goût d'aliments laissés hors du frigo», comme nous le racontaient des requérants ainsi que Denise Graf, retraitée d'Amnesty international, dans notre premier article.
«Les requérants ont toutefois déjà mentionné que la nourriture ne correspondait pas à leurs habitudes alimentaires.» Un constat partagé par Juraparc, qui nous indique n'avoir jamais eu de plaintes au sujet de l'hygiène.
Juraparc nous précise être régulièrement contrôlé par les services d'hygiène du canton, qui sont passés faire un contrôle après cet épisode. «Tout est vérifié, de A à Z, et nous n'avons jamais eu de souci, jamais eu de fermeture», ajoute Fabien Honsberger. «Nous n'avons rien à nous reprocher.»
Pour Louise Wehrli, militante de Droit de rester Neuchâtel, cette affaire est symptomatique de l'accueil réservé à la parole des requérants d'asile. Sur les réseaux sociaux, les articles concernant cette affaire ont d'ailleurs suscité des commentaires haineux et injurieux à l'égard des requérants.
La militante de Droit de rester Neuchâtel souligne qu'indépendamment des résultats des laboratoires, «le simple fait que les requérants croient qu'on leur donne des repas infestés de vers montre qu'il y a de gros problèmes à Vallorbe, et pas uniquement depuis cette histoire. Nous tirons la sonnette d'alarme depuis des années, il y a une ambiance vraiment difficile là-bas».
La militante tend à prouver ses dires en nous expliquant que les requérants n'ont pas le droit d'emporter de la nourriture de l'extérieur, ce que le SEM a pourtant démenti, nous assurant que certains aliments, comme le pain, sont autorisés dans les parties communes.
Elle soupire. «Les requérants ne sont pas pris au sérieux, leurs plaintes ne sont pas prises en compte, c'est ce qui fait qu'on en arrive là aujourd'hui. C'était la goutte d'eau.»