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«S'il me percutait, j'étais mort»: Un chasseur romand raconte

François Bonvin est un chasseur valaisan, qui pratique la discipline depuis 2020.
François Bonvin chasse depuis 2020 en Valais. Image: dr

«S'il me percutait, j'étais mort»: Un chasseur romand raconte

Après l'annonce du décès tragique d'un chasseur dans le canton de Vaud, l'un de ses confrères valaisans nous parle des rudiments du métier, de la réputation d'une activité vivement critiquée et surtout des dangers qui guettent les pratiquants. Témoignage.
04.12.2024, 19:08
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Le vendredi 29 novembre, la chasse au sanglier à Oulens-sous-Echallens (VD) a viré au drame. Un chasseur de 64 ans a perdu la vie, abattu par un collègue.

Un drame qui touche de plein fouet la communauté des chasseurs et chasseresses, que François Bonvin a bien sûr vu passer dans la presse romande. Ce chasseur de 37 ans a obtenu son permis de chasse en 2020 et use ses bottes dans les montagnes valaisannes. Le natif de Crans-Montana (VS), véritable passionné par la discipline, a créé une application (Huntsquad) pour favoriser la communication lors de battue et a fondé un site (Hunt and Eat Well) pour parler de la discipline.

Une pratique qui n'est pas de tout repos. Il raconte les dangers à surveiller et la gestion d'une réputation entachée.

La réputation

Que vous inspire ce tragique accident?
François Bonvin: Je l’ai vécu de loin. J’ai vu défiler les différents sujets diffusés par les médias. Ça m’a surtout inspiré que cette malheureuse situation allait nous retomber dessus, qu’on allait nous coller une étiquette et en profiter pour nous taper dessus. Alors qu'on ne sait rien des circonstances de l'événement.

Profiter de vous taper dessus? Vous aviez peur de voir la communauté des chasseurs en pâtir après cet accident?
Ces dernières années, les chasseurs subissent énormément d’attaques. On doit tout le temps se défendre. Les accidents mortels peuvent arriver comme dans de nombreuses activités, même si tout est mis en œuvre pour que cela n'arrive pas. Pour nous, ces accidents compliquent un peu plus la tâche et demandent énormément d'efforts pour les associations et pour la communication autour de la branche.

«Les actes positifs des chasseurs sont rarement relayés alors que chaque situation négative fait la une des journaux»

Dans la communauté des chasseurs, le bad buzz est exponentielle. Nos faits et gestes sont scrutés par les détracteurs de la chasse.

C'est difficile à supporter à la longue?
Je dois constamment justifier une pratique qui est au final, un droit. Quand vous expliquez aux gens les règles à appliquer lorsque vous chassez, qu'on ne peut pas tirer sur n'importe quoi, tout d'un coup, les gens trouvent cela plus légitime.

La réputation des chasseurs semble vous peser sur le moral.
On souffre de cette mauvaise image qui nous colle à la peau. C'est lié aux films, aux caricatures. Le sketch des Inconnus, par exemple, nous a fait énormément de mal.

Mais la population a conscience que c'est du second degré?
Dans la tête des gens, la fiction a pris le pas sur la réalité.

Pour vous, comment se déroule une journée de chasse?
En Valais, nous pratiquons beaucoup la chasse au chamois, elle est sportive, presque d'élite. Elle se pratique en haute altitude et elle peut se révéler très dangereuse, avec parfois des morts. Elle est exigeante. Je m'entraîne avec assiduité pour cette chasse. On est donc loin des Inconnus.

François Bonvin, chasseur valaisan.
François Bonvin.Image: dr

La sécurité

Selon vous, la sécurité est-elle négligée sur le terrain?
En Suisse, la formation pour le permis dure deux ans et un examen de tir est également demandé. Les chasseurs suisses sont très bien formés.

«C'est pour ça que cet accident est un cas isolé. C'est tellement rare»

Mais pour être précis, il y a deux aspects de la sécurité; il y a la sécurité de la pratique de la chasse et sa propre sécurité. Jusqu'où tu peux aller pour tirer ton chamois. Sur le terrain, c'est individuel; c'est toi qui décides d'escalader cette falaise pour tirer le chamois ciblé et ensuite le récupérer. Et si tu glisses, tu tombes, c'est ta propre décision. C'est le jeu.

Vous avez des exemples?
Je chasse dans un endroit cerné par les falaises et les chutes de pierre sont légion. C'est très dangereux. Mais c'est un choix personnel. A nouveau, c'est moi qui décide d'aller dans ces endroits.

C'est un processus différent pour chasser dans les falaises?
Il y a la chasse à l'approche pour tirer le chamois, par exemple.

Et quelles sont les autres méthodes?
Il y a aussi la chasse à l'affût. Avec cette méthode, vous vous postez et vous attendez. Pour les cervidés, par exemple, c'est la dernière méthode nommée.

Et pour les novices, comment définir la chasse à l'approche?
C'est une chasse très active. Vous vous postez et vous jumelez la montagne, ensuite vous ciblez un chamois qui peut être potentiellement prélevé. Vous allez commencer à l'approcher le plus possible pour vous mettre dans la meilleure condition tir pour le prélever dans les meilleures conditions. Il faut aussi savoir que le tir doit abattre l'animal. Il ne faut surtout pas le blesser.

Quelles sont les morts les plus fréquentes lors de la pratique de la chasse?
En Valais, les incidents les plus fréquents, c'est un chasseur qui déroche. On a peu d'accidents, pour le nombre de chasseurs qu'on est (réd: 2553 permis de chasse en 2023, selon le canton du Valais), les drames sont particulièrement rares.

«En Suisse, la sécurité est le mot d'ordre»

Vous avez déjà senti que vous étiez proche de l'irréparable lorsque vous chassiez?
J'ai vécu des situations périlleuses lorsque je traversais des couloirs. Une fois, un chamois que je jumelais a fait tomber un caillou qui a roulé sur 150 m et se dirigeait sur moi, atteignant une grosse vitesse. J'étais caché derrière un rocher, je me suis aplati, et le caillou m'est passé juste au-dessus. S'il me percutait, j'étais mort.

François Bonvin pratique la chasse dans les territoires valaisans.
François Bonvin lors d'une sortie. Image: dr

Le permis

Le permis est si compliqué que ça à décrocher?
Il est très difficile, très complexe. Le permis suisse est l'un des plus difficiles au monde. Il est si difficile qu'il nous permet d'aller chasser n'importe où à travers le globe, tant l'exigence est élevée.

Mais pourquoi est-il si difficile à l'obtenir?
En termes de formation, d'examen et de règles. On a par exemple de nouvelles règles, comme le fait de ne plus prélever de chamois de deux ans et demi, en Valais. En Suisse, c'est deux ans d'examen. En France, par exemple, c'est deux semaines. Ensuite, on a une patente de chasseur.

«Il ne faut pas se leurrer, on n'a pas envie de voir d'autres chasseurs avec des fusils faire n'importe quoi»

L'instinct du chasseur

Le tir de traque a été plébiscité lors du tragique accident du 29 novembre. La méthode est interdite en Suisse?
Non, elle n'est pas interdite. Et normalement, avec ce procédé, il n'y a jamais d'accident.

Comment cet accident a donc pu arriver?
En France, lors d'accidents similaires, la majorité sont des tirs ricochets. Il ne faut jamais sous-estimer le ricochet. Mais c'est très difficile à déterminer, je ne comprends pas cette histoire, non plus. Il faut attendre le rapport de la police avant de faire des conclusions hâtives.

«Vous faites gaffe, surtout dans la forêt. Vous vous déplacez avec l'arme toujours sécurisée»

Dès que quelqu'un est dans le champ de vision, comment réagit-on?
Dès qu'il y a un danger potentiel, comme la présence d'une personne, on se doit de sécuriser l'arme le plus rapidement possible. Vous devez toujours être attentif.

En tant que chasseur, il n'y a pas une peur d'être pris pour un animal?
Non, jamais. Il faut savoir, quand on est chasseur, on aiguise rapidement son oeil. On a une façon de voir la nature que les autres n'ont pas. Vous savez, on anticipe beaucoup quand on chasse. A moins qu'on soit posté dans un endroit plusieurs heures, on est toujours alerte. L'état de léthargie (psychologique) n'existe pas.

L'un des chasseurs impliqués dans la tragédie du 29 novembre avait 80 ans. N'est-ce pas trop vieux?
Je connais des chasseurs de 80 ans qui sont plus réveillés que des trentenaires. Je chasse parfois avec des anciens et ils sont très réactifs. Ce qu'on dit chez les chasseurs, l'année où il pose le permis de conduire, il pose le fusil aussi. Vous perdez tout en même temps. Mais en ayant chassé avec des personnes de 94 ans, ils sont les premiers à dire qu'il faut les mettre sur une chaise. Ils viennent plus pour partager un moment, pour l'ambiance. Le fusil n'est même pas chargé.

Avec le boom de la randonnée, du trail en montagne n'est-ce pas devenu difficile, voire dangereux de chasser?
Le fantasme de la zone de chasse qui est vierge, ça n'existe plus. Où nous chassons, il y a toujours des gens. Mais là où on va, c'est peu fréquenté. Cependant, où je chasse, c'est proche des pistes, on peut y voir des marcheurs. On analyse sans cesse la situation.

Les agressions

Les gens sont-ils vindicatifs lorsqu'ils vous aperçoivent?
Ils ne comprennent pas notre état d'esprit pendant la chasse. Ils pensent qu'on est assoiffé de sang, qu'on va tout tirer. J'ai vu près d'une cinquantaine de chamois pendant les deux premières semaines de la chasse, mais j'en ai tiré deux. La population pense que c'est un processus instinctif, alors que c'est tout le contraire. Il y a tellement de règles à prendre en compte. Ce n'est pas une chasse primaire.

Des gens vous ont déjà agressé?
C'est drôle, mais lorsqu'on regarde les commentaires sur internet, ils sont très agressifs. Mais une fois en face, les personnes sont très gentilles, très curieuses.

Vous n'avez jamais vécu une agression verbale ou physique?
Une fois, une femme est passée en vélo électrique et m'a hurlé que j'étais un assassin. Sinon, les gens voient que je suis jeune et que je ne suis pas la caricature des Inconnus. Il y a souvent de bonnes discussions.

«Parfois, quand on ramène la bête, des parents demandent si leur enfant peut observer l'animal»

Ils (réd: les parents) nous demandent parfois d'expliquer la mort de l'animal et le processus de la chasse. Au final, quand les gens comprennent que nous chassons pour nous nourrir, les préjugés disparaissent.

Un chasseur à cheval piétine un militant anti-chasse en Angleterre
Video: watson
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