L'administration américaine met désormais la science sous pression: elle gèle les fonds de recherche et affaiblit les institutions scientifiques. Des disciplines entières - de la recherche sur le climat à celle sur le genre - sont censurées et vidées de leur substance. La collecte et l'échange international de données, dont les données sanitaires sur le virus hautement pathogène de la grippe aviaire qui circule actuellement, ont été interdits.
Selon la NZZ am Sonntag, l'administration Trump a en outre envoyé des questionnaires aux universités du monde entier. Objectif: vérifier si les projets financés par Washington suivent la ligne politique du gouvernement. Un questionnaire a atterri dans la boîte aux lettres de l'Ecole polytechnique de Zurich (EPFZ) pour un projet en particulier. On ignore le sujet de celui-ci, mais les questions portent sur la diversité, l'égalité, l'inclusion, le climat et l'environnement – des thèmes que Trump veut bannir.
Cela pourrait n'être qu'un début. Selon la NZZ am Sonntag, quatorze projets financés par des fonds américains sont en effet actuellement en cours à l'EPFZ, l'institution recevant en moyenne 2,5 millions de francs de subventions américaines par an. L'EPFL, l'école polytechnique fédérale de Lausanne, a aussi reçu près de 1,2 million en 2024:
D'autres universités suisses bénéficient également de fonds américains: pour cinq projets à Bâle, neuf à Genève et quinze à Berne. L'université de Zurich reçoit chaque année un million de dollars des US National Institutes of Health. Mais jusqu'à présent, seule l'EPFZ a été contactée par les autorités d'Outre-Atlantique.
Une chose est claire: les hautes écoles doivent trouver une manière de gérer cette intervention en provenance de l'étranger. Swissuniversities, la conférence des rectorats, mène déjà une enquête interne. Mais c'est long et complexe, nous affirme-t-on. Une déclaration est attendue au plus tôt la semaine prochaine.
Les EPF discuteront, elles aussi, de l'utilisation de ces fameux questionnaires. Il faudra d'abord analyser les bases légales, les institutions pourront ensuite agir en conséquence, explique Gian-Andri Casutt, responsable de la communication du Domaine des EPF, qui comprend, outre les entités de Zurich et Lausanne, l'Institut Paul Scherrer, l'Eawag, l'Empa et le WSL.
La conseillère nationale PLR Simone de Montmollin, présidente de la Commission parlementaire de la science, de l'éducation et de la culture (CSEC), met en garde contre des réactions précipitées: «Tant que nous ne savons pas qui est concerné et par quoi, nous ne devrions pas réagir de manière excessive». Sa position est toutefois claire:
Et d'affirmer encore que les institutions helvétiques devraient plutôt chercher des fonds ailleurs.
Mais certains politiciens suisses accueilleraient favorablement la diminution des études sur le genre ou des publications sur les dangers du réchauffement climatique. Alors, la Suisse est-elle à l'abri de l'influence du Parlement? Réponse de la conseillère nationale:
Elle croit donc à une sorte d'autorégulation entre ces deux éléments. «Cela ne doit pas être dicté brutalement». Et c'est parfois aussi la volonté populaire qui justifie une étude - par exemple après la votation sur la loi sur le climat.
Du côté du Secrétariat d'Etat à la formation, à la recherche et à l'innovation (SEFRI), on rappelle que la Constitution garantit la liberté de l'enseignement et de la recherche scientifiques. De plus, ce sont les hautes écoles elles-mêmes qui décident à quelles coopérations internationales, elles participent. «Cela vaut également pour les projets pour lesquels elles reçoivent des fonds étrangers».
Presque en même temps que la publication du questionnaire en provenance des Etats-Unis, l'EPFZ a adopté une déclaration dans laquelle elle indique ne plus réagir officiellement sur les conflits géopolitiques. Une commission ad hoc dirigée par la professeure de bioéthique Effy Vayena planchait sur ce document depuis juillet 2024. Elle précise:
Selon elle, la meilleure contribution possible consiste à mener à bien les missions de recherche, d'enseignement et de transfert de connaissances. Statuer sur des crises géopolitiques complexes ne fait pas partie de cet objectif principal.
Les propos du président de l'EPFZ, Joël Mesot montrent qu'il existe bel et bien des risques, qu'il souhaite éviter: alors que les membres de la communauté sont libres de former et d'exprimer leurs propres opinions politiques, l'université, en tant qu'institution, a la responsabilité claire d'accomplir ses tâches principales «hors de tout débat géopolitique».
L'Ecole zurichoise n'est pas la seule à penser de la sorte. A Lausanne, même son de cloche: l'EPFL écrit «qu'il n'est pas de notre devoir de réagir aux décisions politiques prises aux Etats-Unis ou n'importe où dans le monde».
Par le passé, l'EPFZ s'était déjà exprimée à propos de certains conflits. Et plus récemment, en mars 2022, quelques jours après que Vladimir Poutine a lancé son «opération spéciale». A l'époque, elle avait publié un message accompagné du slogan Solidarité avec l'Ukraine:
Dans les faits, pratiquement tous les lieux de science ont réagi à l'attaque russe, contraire au droit international. Même le centre de recherche nucléaire de Genève, le Cern, fondé comme un projet de paix, a cessé sa collaboration avec l'agresseur.
L'EPFZ renoncera-t-elle à toute prise de position à l'avenir, même dans des cas aussi évidents? Oui, du moins sous cette forme:
Mais cette velléité de neutralité suscite aussi des critiques. Par exemple, de la part de la conseillère nationale socialiste Anna Rosenwasser, engagée pour l'inclusion et membre, elle aussi, de la CSEC:
Car celle-ci établit des faits qui servent de base à l'analyse, à la prise de décision et à la formation de l'opinion. Pour la parlementaire, la décision de l'EPFZ ne relève en rien d'un souci d'objectivité: «Cela revient plutôt à rejeter délibérément toute responsabilité». L'institution alémanique et d'autres en Suisse jouissent d'une bonne réputation dans le monde entier:
La présidente de la CSEC au Conseil des Etats, Mathilde Crevoisier, affirme, elle, que les hautes écoles sont bien sûr libres d'opter pour une stricte neutralité, mais que «le problème reste de savoir si elles le font par peur de représailles politiques». Selon elle, ce risque existe bel et bien dans un contexte de la baisse des fonds publics alloués à l'éducation.
Antonio Loprieno est professeur d'histoire des institutions et ancien recteur de l'université de Bâle. Il a un point de vue plus nuancé et estime que l'EPFZ a raison de convoquer une commission pour clarifier la situation:
Il invoque la trop grande quantité de groupes d'intérêts à représenter, et des enjeux relationnels trop importants.
Lorsqu'il ne s'agit pas de politique, mais de liberté académique en revanche, les universités devraient se soulever: «Celles qui en ont les moyens ne devraient pas se laisser intimider, et je pars du principe qu'en Suisse, elles peuvent se le permettre», déclare Loprieno. Car il a du mal à réaliser ce qui se passe actuellement avec l'administration Trump:
Les universités ne doivent cependant pas absolument et fermement afficher leur position, ce qui reviendrait justement à faire de la politique. L'enseignant estime que «l'EPF peut se positionner clairement dans sa réponse et souligner qu'il s'agit d'une intervention massive qui influence la collaboration future. De mon expérience, les réponses ponctuelles aux tentatives de pression sont plus efficaces que les grandes déclarations publiques».
En revanche, les Académies suisses des sciences ont cosigné une communication en février: il s'agit d'une prise de position de All European Academies (ALLEA), la fédération européenne. Elle demande aux gouvernements et aux institutions de «renforcer les efforts en cours pour protéger la liberté académique et l'autonomie des institutions scientifiques».
Yves Flückiger, le président des Académies suisses des sciences, a approfondi le sujet dans un article posté sur LinkedIn. Selon lui, il est également temps pour les institutions de recherche suisses de démontrer «leur soutien indéfectible à la liberté académique en tant que garante du progrès scientifique, base des innovations futures et condition indispensable à la lutte contre les fake news».
Adaptation française: Valentine Zenker