Y a-t-il de plus en plus de morts dans les Alpes?
Les montagnes valaisannes sont-elles devenues plus meurtrières? La longue liste de communiqués de police annonçant des accidents mortels au cours de l'été écoulé pourrait le faire croire. Derrière cet effet d'accumulation se cache-t-il une vraie tendance?
Jetons un coup d'oeil aux chiffres. Entre juin et septembre 2025, 20 randonneurs et alpinistes ont perdu la vie en Valais. Un nombre équivalent à celui observé lors de la même période de 2024 et légèrement inférieur à 2023 (25 morts). Les été précédents, marqués en partie par la pandémie, affichent des valeurs nettement plus faibles, tandis que la période 2015-2019 se révèle plus contrastée.
Secrétaire général de l'Association suisse des guides de montagne (ASGM), Pierre Mathey souligne l'importance de considérer une période suffisamment longue, un laps de temps trop court ne permettant pas de dégager des tendances fiables.
«Des facteurs comme la météo, l’état du terrain ou la quantité de neige peuvent avoir un impact direct sur la fréquentation des activités de montagne, ainsi que sur la nature et la gravité des accidents», précise-t-il. Cela explique les importantes fluctuations observées d'une année à l'autre.
Reste qu'au niveau national, le nombre d'accidents est à la hausse. On dénombre actuellement quelque 45 000 cas par an, environ 80 desquels connaissent une issue fatale. Ce nombre a plus que doublé depuis le début des années 2000, indique le Bureau de prévention des accidents (BPA). En cause: la hausse de la fréquentation des sports de montagne.
Manque de préparation
Pierre Mathey évoque également une croissance de la fréquentation, notamment à la suite de la pandémie, qui a suscité un regain d'intérêt pour les activités en montagne. «Cela a entraîné une hausse du nombre de pratiquants, y compris de personnes moins expérimentées», affirme-t-il.
Problème: «Une partie de ces nouveaux arrivants ne prennent plus le temps d’apprendre, de se former ou d’engager un professionnel», déplore-t-il.
Cela se reflète parfois dans l'équipement, qui n'est pas toujours en adéquation avec la difficulté de la course, poursuit le secrétaire général de l'ASGM: «On observe notamment une augmentation des personnes procédant seules ou non encordées».
Cette tendance inquiète les professionnels de la montagne depuis quelque temps déjà, rapportait le Nouvelliste fin août. Au cours de l'été écoulé, 13 alpinistes évoluant de cette manière ont trouvé la mort dans le canton, selon les calculs du quotidien valaisan - c'est plus de la moitié du bilan total. Pierre Mathey estime toutefois qu'il est trop tôt pour tirer des conclusions.
Les spécialistes interrogés par le Nouvelliste pointent les mêmes problèmes identifiés par Pierre Mathey. En résumé: de plus en plus de personnes veulent brûler les étapes, ce qui se fait à détriment de la préparation. «Les messages de préventions ne sont visiblement pas assez orientés sur l'importance de se former et de se faire guider, du moins lorsqu'on commence son activité», insiste le secrétaire général de l'ASGM. «En montagne, l'autonomie s'apprend. C'est très difficile de le faire en autodidacte».
A cela s'ajoute la digitalisation des sources d’informations, laquelle peut avoir des conséquences néfastes. Pierre Mathey illustre:
L'influence des réseaux sociaux n'est pas à sousestimer. Le documentaire du youtubeur français Inoxtag, montrant sa quête de l'Everest, en est l'un des exemples les plus récents et débattus.
La crise climatique fragilise la montagne
Autre élément: le dérèglement climatique, qui impacte les régions montagneuses de manière particulièrement marquée. «On peut dire que l'alpinisme devient de plus en plus exigeant en raison de l'augmentation des dangers objectifs», nous indiquait, en juillet dernier, Rolf Sägesser, responsable formation été auprès du Club Alpin Suisse (CAS).
«Le réchauffement climatique complique la pratique, surtout en été. Il provoque des changements très rapides, rend les orages plus violents, etc.», confirme Pierre Mathey. «En revanche, les chiffres des accidents ne permettent pas d'affirmer que la montagne est devenue plus dangereuse à cause de ces évolutions. Celles-ci ne se reflètent pas dans le nombre de victimes», nuance-t-il.
«A l'heure actuelle, on ne peut pas dire qu'il y a eu tant de victimes uniquement à cause des changements induits par la crise climatique», lui fait écho Yannick Diebold, guide de montagne.
Le guide de montagne affirme toutefois que cette situation affecte clairement son travail: «Nous devons changer nos pratiques et nous craignons davantage pour notre sécurité», racontait-il dans nos colonnes cet été.
Tous les accidents ne s'équivalent pas
Si la tendance (globale) semble donc être à la hausse, il convient de distinguer les accidents en fonction de la discipline. «L’alpinisme implique souvent des terrains techniques, voire hostiles, l’usage de cordes, de crampons et d'autre matériel, ainsi qu'une connaissance approfondie de la haute montagne», explique Pierre Mathey. «Les risques objectifs y sont plus élevés, pensons aux chutes de pierres, aux crevasses ou aux avalanches».
La randonnée, en revanche, se pratique généralement sur des sentiers balisés. Si elle implique moins d’exposition aux dangers objectifs, elle n’est pas exempte de risques, complète-t-il. Les chutes, les erreurs d’orientation ou les malaises liés à l’effort ou à la chaleur en sont des exemples. Les derniers chiffres de la Suva le démontrent: au cours des 15 dernières années, le nombre d'accidents de randonnée en montagne a doublé, selon l'assureur.
Dans un cas comme dans l'autre, la surestimation de ses capacités personnelles peut jouer un rôle fondamental, dit Pierre Mathey. Et de conclure: