Suisse
Vaud

Roger Nordmann: «Je souffre de voir le canton de Vaud souffrir»

Roger Nordmann
Image: watson

«Non, les salaires des fonctionnaires ne sont pas trop élevés»

Candidat à la complémentaire du Conseil d'Etat vaudois, le socialiste Roger Nordmann est déjà à l'attaque dans l'interview qu'il a accordée à watson. Crises politiques et financières, malaise des enseignants, imposition des super-riches: il dévoile sa vision.
17.12.2025, 05:3417.12.2025, 08:22

Vous briguez un siège dans un Conseil d’Etat en pleine crise et vous avez de grandes chances d’hériter de la santé et de l'action sociale, un département à fuir. Pourquoi vous infliger pareille corvée?
Roger Nordmann:

«Tout simplement, je souffre de voir mon canton souffrir»

Ensuite, pour un poste de conseiller d’Etat, il faut avoir le cuir dur et savoir être capable de construire des ponts. Je pense en être capable. Enfin, le DSAS (Département de la santé et de l'action sociale) n’est pas à fuir. Au contraire, il est très important pour la population! Au moment de décider de ma candidature, je dois cependant avouer que j’ai eu un moment de doute, face à la difficulté de la tâche.

Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans la course?
Je me suis dit: si moi je n’ose pas, qui osera? Bien sûr, c’est un défi. Mais la politique est aussi faite de situations difficiles, et il faut bien s’en occuper. Je me suis beaucoup penché sur la situation financière déficitaire du canton. A mon avis, il y a un chemin pour s’en sortir. Les Vaudoises et les Vaudois en ont assez des crises institutionnelles et financières. L’exaspération est présente dans tous les milieux. Il est nécessaire de rétablir une culture du dialogue.

Le dialogue n’est pas au mieux entre la gauche et la droite au Conseil d’Etat?
Non, il n’est vraiment pas au mieux. Cela ne veut pas dire qu’il faut effacer les vraies différences politiques entre la gauche et la droite. Mais cela ne doit pas nous empêcher de trouver des convergences.

«Or, le Conseil d’Etat, autant que j’ai pu l’observer, était arrivé ces derniers mois à une phase où tout dialogue était cassé»

Il est donc très positif de constater les premiers signes de déblocage.

Lesquels?
Eh bien le fait que le Conseil d’Etat, majoritairement de droite, ait accepté de revoir sa position sur les baisses de salaires. Dans une telle situation, aucun camp ne peut imposer entièrement sa volonté à l’autre, en particulier dans le canton de Vaud.

Pour bien comprendre votre position, vous prônez moins d’économies, quitte à avoir un peu plus de déficits qu’initialement prévus par le Conseil d’Etat?
Ça, c’est ce qui va se discuter maintenant pour le budget 2026.

«L’enjeu, pour la suite, c’est d’avoir un plan à moyen terme pour ramener les finances cantonales au petit équilibre»

Il faudra des recettes nouvelles. Dans le même temps, il y a des gains d’efficacité à faire. J’ai donné l’exemple des identifications électroniques que les citoyens doivent donner pour avoir accès aux prestations en ligne de l’Etat. Une simplification des systèmes est possible, avec des économies à la clé.

Pas de coupes structurelles dans les services publics, alors?
Il faut être très clair ici. On ne va pas faire de coupes inconsidérées dans les services publics. On a besoin de bonnes écoles, d’un bon système de santé, avec des urgences qui fonctionnent aussi dans la Vallée de Joux et dans le Pays-d’Enhaut.

«Il n’y a aucune raison de démanteler l’Etat»

Alors d'où viennent les problèmes?
Les baisses fiscales décidées depuis 2017 coûtent désormais 550 millions de francs par an au canton. L’argent qui manque aujourd’hui dans le budget de l’Etat est dû à ces diminutions de recettes. La crise vient de là. Il faudra trouver un consensus entre des recettes qui plaisent plus à la droite et des méthodes qui conviennent plus à la gauche.

Comment?
Il faudrait tasser un peu la croissance de la courbe des charges et renforcer un peu celle des recettes, de manière à les faire converger.

Si la droite a accordé des baisses fiscales aux plus riches du canton, c’est aussi parce qu’elle a estimé qu’il y avait un risque de fuite des grandes fortunes. Moins de grandes fortunes, c’est moins d’impôts qui rentrent, non?
Je crois qu’on exagère beaucoup ce risque. Il faut savoir que le canton de Vaud est l’un des endroits les plus attractifs du monde. On a le système de l’impôt au forfait pour les étrangers très fortunés sans activités lucratives, pour lesquels le canton de Vaud fait du dumping fiscal.

«Même s’il ne s’agit pas d’y aller au marteau, c’est plutôt de ce côté-là qu’il faudrait faire un petit effort que du côté de la classe moyenne, étranglée par les primes d’assurance maladie»

On pourrait aussi imposer un peu plus les gains immobiliers. Pas de fuite à craindre ici. Les immeubles ne se déplacent pas.

On sent les Vaudois nostalgiques du «couple» Maillard-Broulis au Conseil d'Etat, un PS et PLR. Ils incarnent une sorte d’âge d’or d’un canton qui se portait bien. Si vous êtes élu, qui sera votre Broulis?

«Plutôt que de fonctionner en binôme, je préfère agir en équipe»

Cela dit, si ma personnalité est différente de celle de Pierre-Yves Maillard, nous avons tous deux le même souci du bien commun et la même disposition à faire de bons compromis.

Il y a la crise des finances cantonales, mais il y a aussi la crise liée à l’affaire Dittli, qui touche d’ailleurs à la question des impôts. Quel est votre avis sur le «cas Dittli»?
Je ne vais pas me prononcer sur les affaires du passé, je n’ai de loin pas tous les éléments pour le faire. Il y a des procédures judiciaires et administratives en cours. Et nous sommes à une bonne année des élections générales de 2027, le peuple tranchera.

Votre démission en février du Conseil national n’était-elle pas motivée par votre intérêt pour le Conseil d’Etat? En démissionnant vous permettiez à Benoît Gaillard, votre remplaçant, d’accéder sans élection au Parlement fédéral, et cela vous permettait de vous préparer pour les cantonales de 2027. Sauf que les choses se sont précipitées avec la démission de Rebecca Ruiz.
D’abord, en effet, je ne savais pas du tout qu’il y aurait une élection complémentaire. Et puis, lorsque je siégeais encore à Berne, j’avais laissé entendre que je laisserais volontiers ma place à des forces nouvelles quand j’en aurais terminé avec la commission d’enquête sur Credit Suisse. Je ressentais un peu de lassitude dans mon mandat de parlementaire fédéral. Honnêtement, au bout de 20 ans, j’avais fait le tour. En démissionnant du Conseil national, je n’étais pas du tout sûr de me présenter au Conseil d’Etat.

«Je commençais à y réfléchir, c’est vrai, mais pour 2027. Comme quoi la vie est faite d’imprévus...»

Pensez-vous aussi que le DSAS, le Département de la santé et de l'action sociale que vous dirigerez peut-être si vous êtes élu, devrait être coupé en deux, avec d’un côté la santé, de l’autre l’action sociale, sachant que ce département, qui réunit à lui seul 40% du budget cantonal, est réputé très lourd?

«Je suis un peu sceptique vis-à-vis de cette idée, car il y a beaucoup d’interactions entre l’action sociale et la santé»

Pensons aux aides fournies pour payer les primes d’assurance maladie. L’aide est apportée par l’action sociale, mais son application renvoie au domaine de la santé. Les deux secteurs sont très imbriqués. De toute façon, c’est une discussion théorique, car je n’imagine pas que le Conseil d’Etat veuille aborder ce point à une année du renouvellement général.

Quelles sont vos sources de revenu depuis votre démission du Conseil national?
Mes sources de revenu sont la présidence du conseil d’administration de Planair, une entreprise d’ingénierie spécialisée dans la transition énergétique; ma présence au conseil d’administration du Groupe E, un producteur et distributeur d'électricité suisse; enfin mes mandats de conseil. J’ai touché mon dernier salaire de conseiller national mi-avril.

Pensez-vous que l’Etat-providence pourra toujours être financé?
Oui, je le pense. Parce qu’il y a quand même un gain de productivité dans la société. Chaque année, grâce aux nouvelles technologies, on est plus efficaces et on produit plutôt plus. Et puis, les gens sont conscients de l’importance de la sécurité sociale. Dans les années 1990, certains prédisaient la faillite de l’AVS pour 2010. Ces tentatives de faire paniquer la population se sont avérées infondées, notamment en raison de la croissance due aux accords bilatéraux. Et la population a accepté de renforcer le financement de l’AVS.

«La question centrale, me semble-t-il, c’est celle de la concentration des richesses, contre laquelle il faut lutter pour dégager des moyens supplémentaires en vue de la redistribution»

La taxation des revenus des très grandes fortunes est un enjeu global. Mais le canton dispose d’une marge de manœuvre.

Les salaires dans la fonction publique vaudoise sont-ils trop élevés par rapport au secteur privé?
Non. Clairement non. Si vous regardez l’évolution du budget cantonal entre 2014 et 2026, sur douze ans, donc, vous remarquerez que la masse salariale dans le secteur public a augmenté de 23%, alors que la production de richesses dans le canton s’est accrue de 34%.

«Il n’y a donc pas du tout d’explosion de la masse salariale dans la fonction publique»

Il y a même un certain nombre de fonctions où l’Etat a de la peine à recruter car il n’est pas vraiment compétitif, dans les métiers de l’ingénierie par exemple. Je suis de toute façon contre ce petit jeu malsain qui consiste à opposer les entreprises privées et le secteur public. Nous avons besoin des deux.

Cela dit, si vous aviez été membre du Conseil d’Etat vaudois, auriez-vous été d’accord de diminuer une partie du salaire de certains enseignants pour faire des économies?
Non. Le Conseil d’Etat n’a d’ailleurs finalement pas réussi à imposer cette mesure. Aucune entreprise ne baisse le salaire de ses collaborateurs, sauf en cas de catastrophe absolue. C’est très démotivant. Surtout si les diminutions de salaires apparaissent comme arbitraires. La chose peut être envisagée dans un cadre de négociations qui recevrait l’approbation du personnel.

Des enseignants font part de leurs difficultés au travail: beaucoup de missions leur sont confiées, les incivilités sont là, le burn-out menace. Sur la question de l’autorité à l'école, êtes-vous plutôt laxiste ou plutôt adepte de la rigueur?

«Je ne suis pas vraiment un laxiste. Je suis pour une certaine tenue, pour une certaine rigueur»

Mais si je suis élu, il est très peu probable que j’hérite du Département de l'enseignement et de la formation professionnelle (dirigé par Frédéric Borloz), qui n’est pas vraiment ma spécialité.

A propos de sécurité, la police municipale de Lausanne a fait l’objet de vives critiques cet automne, suite aux révélations de messages racistes en son sein et en raison des soupçons de bavures qui pèsent sur elle. Quel jugement portez-vous là-dessus?
Comme tout un chacun, j’ai été choqué par ces messages racistes. Mais je ne connais pas les détails, et je pense qu’il faut laisser à la justice le soin de faire son travail. Plus largement, la police est un service public très important pour garantir la sécurité, qui est un droit fondamental pour chacune et chacun. En matière de sécurité, on se rend compte que les recettes simplistes ne marchent pas. Le travail de la police est essentiel mais il est compliqué.

«Et c’est par exemple pour recruter de bons gendarmes qu’il faut des conditions de travail attractives»

Une question qui s’adresserait plutôt à Isabelle Moret, la cheffe de l’Economie du canton de Vaud, mais comme vous êtes féru de technologies nouvelles, elle peut vous intéresser: comment réagissez-vous à l’annonce de la venue de la start-up française Mistral AI spécialisée dans l’intelligence artificielle sur le campus de l’EPFL?
C’est une très bonne nouvelle, même s’il ne s’agirait pour l’heure que de l’ouverture de bureaux et non pas de l’implantation d’une usine, par exemple.

«Mistral AI est super-intéressante, car elle propose que les données des clients restent chez eux, ce qui, potentiellement, préserve mieux la confidentialité»

C’est donc une chance pour le canton de Vaud qu’une telle entreprise s’installe, même partiellement, à Lausanne.

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