Lorsque la Suisse les découvre en ce début 2022, les sœurs Dittli font forte impression. Dans leurs trentième et trente-et-unième années, elles incarnent le vent nouveau de la politique. Sur les photos officielles, elles apparaissent collées l’une à l’autre, telles des jumelles inséparables. Mêmes cheveux blonds mi-longs, même tenue convenable, même sourire de premières communiantes. On dirait deux ambitieuses récemment embauchées dans un cabinet d’avocats du Colorado.
Valérie, la plus jeune, accède cette année-là au gouvernement vaudois. Laura, l’aînée, est élue quelques mois plus tard au Conseil d’Etat de Zoug, où l’une et l’autre, encartées au Centre, ont grandi. Elevées dans une ferme bio, elles ont toutes deux étudié le droit à Lucerne. La voie royale. Bien joué, les frangines.
Trois ans plus tard, la benjamine du gouvernement vaudois est dans la tourmente. Après l’ascension irrésistible, le conseil de classe. Un renvoi? Une rétrogradation? Rien? Ce vendredi 21 mars, Valérie Dittli devrait être fixée sur son sort. Une conférence de presse est convoquée à 11 heures au Château Sainte-Maire, siège du Conseil d’Etat vaudois, à Lausanne.
L’affaire la concernant a été jugée suffisamment déstabilisatrice pour qu’on fasse appel à une star de l’expertise indépendante, Jean Studer, comme l'indiquait la RTS début mars. L’ancien conseiller d’Etat neuchâtelois et président de la Banque nationale suisse de 2012 à 2019 était appelé il y a plusieurs mois déjà à mettre son nez dans de supposés dysfonctionnements affectant le Département des finances et de l’agriculture (DFA), confié en 2022 à Valérie Dittli.
Mais pourquoi avoir nommé une jeune femme, pas même alors 30 ans et n’ayant jamais siégé dans un exécutif cantonal, à la tête d’un département clé, les Finances? A l'époque, il semblerait qu'aucun des trois PLR portés au gouvernement n'ait voulu du poste, pourtant une chasse-gardée libérale-radicale. C’est surtout qu’il n’était pas prévu au programme que Valérie Dittli soit élue au Conseil d’Etat.
En 2022, la Zougoise devenue vaudoise est censée jouer les utilités dans une alliance bourgeoise qui compte bien récupérer la majorité occupée par la gauche rose-verte depuis deux mandatures. Personne n’imagine la centriste, dont le parti ne compte aucun représentant au Grand Conseil, capable de se hisser à l’exécutif. Sur les plans, ce destin est promis à l’UDC Michael Buffat, en compagnie de trois PLR. Mais la «gamine» le devance au second tour. Buffat est battu.
L’effet Dittli a fonctionné au-delà du prévisible. Sa formidable ascension vaudoise a commencé six ans plus tôt, en 2016, à son arrivée à Lausanne pour y effectuer un doctorat en droit. Deux ans plus tard, elle frappe à la porte de la section vaudoise de ce qui s’appelle encore le Parti démocrate-chrétien, qui deviendra Le Centre en 2021.
C’est le coup de foudre. Ou plutôt l’apparition miraculeuse. Le souffle de la vie entre dans un parti à l’agonie. La vice-présidente du Centre Vaud, Jacqueline Bottlang, confiait il y a deux ans à watson:
Valérie Dittli est à ce point indispensable qu'elle prend la tête du parti en 2020, à 28 ans. Elle y fait le ménage parmi les «vieux mâles», qui n'ont pas compris que le temps était venu pour eux de passer la main. La Zougoise est une bombe vitaminée. Avec elle, l’orange du PDC retrouve des couleurs. Doctorante en droit, des origines paysannes, décrite comme bonne vivante: les bobos et les ruraux valident. La Dittli a tout pour plaire. Son petit accent suisse-allemand lui confère une touche d’exotisme bienvenu, dans les limites confédérales admises.
Elle tape dans l’œil du PLR. Le «parti-directeur» du canton de Vaud, qui s’imagine roi à la ville comme aux champs, lui propose une alliance pour le Conseil d’Etat. Tope-là! On connaît la suite: son élection en juillet 2022 au gouvernement, puis, au premier trimestre 2023, une première affaire, soulevée par la RTS, celle de ses déménagements fiscaux entre Lausanne et le village zougois de ses parents, Oberägeri.
Au fil de son parcours politique vaudois, fait d’un échec en 2021 quand elle et son parti n’obtiennent aucun siège au conseil communal de Lausanne, la jeune femme a changé plusieurs fois de domicile fiscal.
Valérie Dittli aurait-elle joué la comédie de l’attachement à la terre vaudoise et mené Le Centre par le bout du nez, au mépris des statuts du parti? Pour le PLR, maître à bord du Conseil d’Etat, il est trop tard pour faire machine arrière. La Zougoise est pour beaucoup sa créature. Il va devoir l’assumer jusqu’au bout, pense-t-on.
Deux ans ont passé depuis l’alerte sur son «tourisme fiscal», auquel deux experts, l’un mandaté par Valérie Dittli elle-même, l’autre, labellisé indépendant et sollicité par le Parti socialiste, ne trouveront rien d’illégal – mais là n’était pas la question principale.
Aujourd’hui, c’est vraiment sérieux, comprend-on. Si peu parient sur une démission de Valérie Dittli, beaucoup s’attendent à un remaniement qui vaudrait sanction pour l’actuelle cheffe des Finances. Ses collègues pourraient lui retirer les comptes publics, un scénario parmi d’autres. Ceux-ci seraient alors repris par la présidente du gouvernement, Christelle Luisier.
Sur un plan politicien, l’action de Valérie Dittli aux Finances, qui plus est privée du soutien de son parti, absent du Grand Conseil, aura peut-être agacé les deux piliers du Conseil d’Etat que sont le PLR et le PS. Ils lui feraient payer son interventionnisme, elle qui a un droit de regard sur l'ensemble des départements et leurs dépenses. Si l’inexpérience est pardonnable, vouloir changer l’ordre établi l’est moins, entend-on.
Selon les dernières informations du Temps, Valérie Dittli serait relativement épargnée par l'expertise de Jean Studer qui sera dévoilée vendredi. Marinette Kellenberger, la directrice générale de la fiscalité, s'en sortirait en revanche moins bien. Elle serait poussée vers une retraite anticipée, passant du même coup pour la méchante. Dès l'été 2024, la haut fonctionnaire aurait «instruit» à charge, et pour partie à tort, contre la ministre des Finances, d'après notre confrère. Qui fait part de l'hostilité des trois ministres PLR envers la centriste, comme si leur «créature» leur avait échappé.
Dans une interview à 24 Heures parue jeudi en fin d'après-midi, Valérie Dittli laisse planer le doute sur son maintien à la tête des comptes publics. Concernant son état de santé – elle s'était fait porter pâle mardi lors de la séance du Grand Conseil –, elle indique avoir pris du repos sur les conseils de son médecin, après une chute de pression lundi. Elle sera présente ce vendredi à la conférence de presse, précise-t-elle.
L’UDC, qui ne siège pas au gouvernement, a sorti le bol de pop-corn. Le conseiller national vaudois Yvan Pahud émet une hypothèse:
Les réponses aux dernières interrogations ce vendredi dès 11 heures.