Les opposants à l'autoroute peuvent remercier les femmes. Sans elles, le conseiller fédéral Albert Rösti aurait confortablement gagné la campagne de votation. Selon le sondage post-électoral des journaux Tamedia, 56% des hommes se sont prononcés en faveur d'une extension des autoroutes. En revanche, 61% des femmes se sont opposées à cette demande, entraînant ainsi le rejet du projet.
Les différences politiques entre les genres sont fréquentes, comme le montre la recherche, en particulier sur les questions de politique sociale et sociétale où les femmes se montrent plus ouvertes et votent de manière plus unie. Et les jeunes femmes ont plus volontiers tendance à voter pour des partis de gauche. Toutefois, une différence de 15 points de pourcentage entre les hommes et les femmes, comme c'est le cas pour l'autoroute, est rare.
Selon une étude de l'institut de sondage gfs.bern, les femmes se sont imposées bien plus souvent que les hommes depuis 1971. Dans pas moins de douze votations, elles ont fait pencher la balance. Pour la politologue Cloé Jans dans le Tages-Anzeiger, les exemples étudiés montrent que les femmes se sentent moins liées à un parti politique que les hommes - c'est sur les thèmes qui leur tiennent vraiment à cœur qu'elles se laissent plus facilement mobiliser.
Dans les années 80, l'homme est considéré comme le chef du foyer et de la société, pendant que la femme s'occupe du ménage. A son mariage, elle perd ses libertés fondamentales. Un geste aussi anodin qu'ouvrir un compte en banque ne peut se faire sans l'aval de son époux. Une situation à laquelle le nouveau droit matrimonial et successoral de 1985 doit remédier.
Un comité de droite conservatrice, dirigé par le conseiller national de l'UDC Christoph Blocher, lance un référendum, arguant que le juge s'immiscerait désormais dans le lit conjugal. La résistance est acharnée, mais en vain. Alors que 52% des hommes rejettent la proposition, 61% des femmes votent en faveur. Pour la première fois, les femmes remportent une votation en leur faveur.
C'est une époque marquée par le changement. Le débat politique est dominé par le dépérissement des forêts et par la naissance, en mai 1983, du Parti des Verts. En décembre de la même année, le Parlement refuse à la conseillère nationale socialiste Lilian Uchtenhagen l'accès au Conseil fédéral. Elle aurait été la première femme à intégrer le gouvernement suisse.
Au début des années 90, les dérapages de l'extrême droite font tristement partie du quotidien en Suisse. En août 1989, le chef du groupe néonazi suisse «Front patriotique» crache sur une femme noire à la télévision suisse SRF. Quelques mois plus tôt, des membres du même groupe ont chassé des étrangers dans les rues de Zoug lors d'une «chasse aux Tamouls». Les agressions contre les demandeurs d'asile sont récurrentes.
En réaction, la pression politique pour des règles plus strictes s’accentue. Sans les femmes, la population n’aurait pas accepté la norme pénale antiraciste en 1994. Les hommes rejettent le projet avec un taux d’acceptation de seulement 47%. Les femmes, quant à elles, votent clairement en faveur, avec 64% de oui. «Les hommes ne voulaient pas se laisser interdire la parole à la table des habitués. Les femmes en avaient assez», résume avec pertinence le politologue Claude Longchamp.
A la surprise générale, la population approuve en 2008 une initiative populaire du groupe «Marche Blanche». Cette initiative populaire demande l'imprescriptibilité des actes d'ordre sexuel commis sur des enfants. Bien que le Parlement et le Conseil fédéral rejettent l'initiative pour des raisons d'état de droit et que les partisans ne se manifestent guère, seuls six cantons disent non.
Ce sont à nouveau les femmes qui aident l'initiative à percer. Contrairement aux hommes (52% de non), elles se prononcent en faveur de l'initiative avec une part de 58%. L'étude post-électorale en trouve aussi la raison possible: le sentiment subjectif d'être concerné a joué un grand rôle dans la décision de vote. Les auteurs de l'étude écrivent que les femmes ont voté parce que le sujet les touche plus fortement.
Parfois, les femmes parviennent aussi à contrecarrer les plans dans un bastion masculin. Comme en 2014, lorsqu'elles ont fait échouer l'achat de l'avion de combat Gripen dans les urnes. Pour le bastion masculin qu'est l'armée, c'est un coup dur. Seules 42% des femmes sont favorables à ce projet de 3 milliards, contre 53% des hommes.
Le ministre de la Défense Ueli Maurer n’a probablement pas aidé à la cause. Pendant la campagne de votation, il laisse une impression mitigée. Lors d’un événement à Zoug en avril 2014, il fait une comparaison qui provoque autant de rires que de critiques. Maurer demande au public combien d’objets utilisés depuis trente ans ils possèdent encore chez eux. Puis, il répond lui-même:
Cette remarque arrache un sourire au public masculin conservateur, mais elle passe beaucoup moins bien auprès de la gente féminine.
Un exemple d’une approche différente est donné quelques années plus tard par Viola Amherd. Première femme ministre de la Défense en Suisse, elle parvient en 2020 à faire accepter par votation l’achat de nouveaux avions de combat. Les femmes s’opposent également à cette initiative, mais leur résistance est moins marquée cette fois-ci, permettant aux hommes d’assurer une victoire extrêmement serrée avec seulement 8000 voix d’avance. Si Ueli Maurer avait été encore en poste, cela n’aurait probablement pas suffi, selon les analystes par la suite.
Traduit et adapté par Noëline Flippe