Dimanche, la Suisse a voté, pour trois objets sur quatre, contre la volonté du Parlement et du Conseil fédéral: les électeurs ont dit non à l'extension des autoroutes, à la révision du droit du bail concernant la sous-location et la résiliation pour besoin propre.
Les électeurs ont non seulement voté contre le Conseil fédéral, mais aussi aux côtés de la gauche, alors que les élections de 2023 ont vu une progression des partis de droite. Comment l'expliquer? Pour en savoir plus, nous sommes allés discuter avec Sean Müller, professeur assistant en sciences politiques à l'Université de Lausanne.
Le peuple a désavoué le Conseil fédéral pour trois objets sur quatre, dimanche. Comment expliquer ce résultat?
Sean Müller: En ce qui concerne l'élargissement des autoroutes, la droite s'est mis le doigt dans l'œil. Les citoyens ont eu du mal à comprendre pourquoi la Confédération insiste qu'il faut économiser, tout en étant prête à dépenser 5,3 milliards de francs pour les infrastructures autoroutières. De même, certains n'ont pas apprécié les arguments contraires de la droite sur les terres cultivables: en septembre, lors de l'initiative sur la biodiversité, ces partis avaient argumenté que des terres cultivables importantes ne devaient pas disparaître.
Qu'est-ce qui a fait pencher la balance en faveur du non aux deux projets concernant les loyers?
Ici, les partisans n'ont pas réussi à clairement démontrer pendant la campagne de votation la raison pour laquelle il fallait agir. Dans le cas de la sous-location, beaucoup n'ont pas compris pourquoi la droite, d'habitude opposée à plus de bureaucratie et de réglementation, se réfugiait d'un coup derrière cet argument. En ce qui concerne la résiliation propre, la gauche s'est mobilisée avec succès en argumentant que les loyers sont déjà trop élevés. Cette approche fonctionne aussi auprès des électeurs de droite, car la crise du pouvoir d'achat est réelle. Les gens se rendent compte que tout devient plus cher.
En résumé?
La gauche a réussi à convaincre largement et ses arguments ont pénétré jusqu'aux électeurs de droite. C'est une prouesse déjà accomplie cette année pour d'autres campagnes de votations, par exemple avec la 13e rente AVS.
Dans neuf des douze votations, une majorité du peuple s'est rangé derrière les recommandations socialistes. Le PLR et le Centre ont remporté six votations sur douze, l'UDC seulement quatre.
En octobre 2023, les électeurs ont élu un parlement plus à droite que le précédent. Mais la gauche gagne les votations en 2024. Comment cela est-il compatible?
Le processus de décision lors des élections et des votations est différent.
C'est pourquoi il n'est pas contradictoire de voir un citoyen voter UDC aux élections parce qu'il est contre l'immigration, mais qu'il glisse un bulletin contre l'extension des autoroutes lors des votations. Mais il serait tout de même un peu exagéré de décrire 2024 comme une année de succès total pour la gauche.
Pourquoi pas?
Nous avons voté sur des textes soumis au référendum. Mais 93% des projets décidés par le Parlement ne passent pas par cette case et ne sont pas soumis au peuple. Nous ne votons que sur la «pointe de l'iceberg».
Malgré tout, cette année a vu le peuple désavouer le Conseil fédéral et le Parlement à de nombreuses reprises. Fait-on de la politique à Berne sans tenir compte de la volonté du peuple?
Le droit de référendum est utilisé en Suisse pour environ 7% du total des décisions. Et comme notre Parlement est plus actif qu'auparavant, il y a aussi plus de référendums. Comme les chances de succès sont restées à peu près les mêmes, il y a aussi plus de défaites parlementaires.
Mais il est vrai que, sur certaines thématiques, je me demande si le Parlement représente vraiment la volonté du peuple.
A quoi pensez-vous?
Par exemple sur le frein à l'endettement. Au Parlement, il y a un consensus sur le fait que la Suisse a un «problème de dépenses» et non un problème de recettes. Beaucoup de parlementaires de gauche acceptent et reprennent, eux aussi, ce discours.
Un deuxième exemple est celui de l'armée. Tous les membres du Parlement, de la gauche à la droite, sont d'accord pour dire que la Confédération doit augmenter les dépenses de l'armée. Mais selon les sondages récents, l'armée ne fait pas partie des priorités de la population. Ce sont les questions sociales qui la préoccupent: l'inflation, les coûts de l'énergie, la hausse des primes d'assurance maladie, les loyers élevés. Je pense que les électeurs décideraient différemment des membres qu'ils ont envoyés au Parlement s'ils pouvaient voter à leur place, qu'il s'agisse de dépenses supplémentaires pour l'armée ou sur la nécessité de ces dépenses.
Quel est votre pronostic quant au déroulement des votations en 2025?
Si la gauche poursuit sa stratégie actuelle, 2025 pourrait à nouveau être une année de réussite pour elle. L'erreur de calcul commise par l'Office fédéral des assurances sociales et révélée en août leur est favorable.
Pour le camp rose-vert, il est devenu plus facile de discréditer les prévisions et les chiffres du Conseil fédéral. Cela a peut-être déjà été péjoré la droite pour ce «non» à l'extension des autoroutes: les prévisions du département du conseiller fédéral Albert Rösti ont suscité beaucoup de scepticisme, ce qui a encouragé la gauche.
Notre politique peut-elle vraiment avancer si le peuple rejette sans cesse les décisions du Parlement et du Conseil fédéral?
C'est une question légitime. Si le Parlement utilise les feed-back du peuple pour forger des projets qui plaisent aux deux camps, alors oui. C'est ce qui s'est passé avec le financement uniforme des traitements ambulatoires et hospitaliers (EFAS). On a réussi à faire entrer la gauche dans le bateau. Mais si la majorité parlementaire continue à s'opposer systématiquement lors de référendum, nous ne pourrons pas avancer.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci et Alexandre Cudré