Le refus du train de nuit Bâle-Malmo cache une réalité oubliée
La semaine passée, le Conseil national a définitivement enterré le développement du train de nuit Bâle-Malmö. Là où la gauche y a vu un frein au développement de la mobilité verte, la droite s’est félicitée d’avoir épargné au contribuable une dépense inutile pour un train non rentable.
Derrière ce clivage gauche-droite classique, simplifié à l’extrême, pour ne pas dire caricatural, se cache cependant une toute autre réalité, qui n’a été que peu médiatisée, et qui n’a pourtant rien à voir avec les arguments tant (trop) entendus des deux côtés.
Franc-Parler
Chaque dimanche matin, watson invite des personnalités romandes à commenter l'actu ou, au contraire, à mettre en lumière un thème qui n'y est pas assez représenté. Au casting: Nicolas Feuz (écrivain), Anne Challandes (Union Suisse des Paysans), Roger Nordmann (conseiller stratégique, ex-PS), Damien Cottier (PLR), Céline Weber (Vert'Libéraux), Karin Perraudin (Groupe Mutuel, ex-PDC), Samuel Bendahan (PS), Claude Ansermoz (ex-rédacteur en chef de 24 Heures), Ivan Slatkine (président de la FER) et la loutre de QoQa.
Premièrement, il convient de rappeler qu’un train n’est pas par définition plus écologique qu’un autre moyen de transport. Si le train est développé sur une ligne peu fréquentée, et alimenté par de l’électricité produite avec des centrales à charbon ou des centrales nucléaires… on est en droit de douter de l’aspect écologique de ce dernier. Entre outre, comme l’admettent les CFF eux-mêmes sur leur site:
On peut donc légitimement se demander si c’est bien le rôle du contribuable de subventionner une ligne de train a priori déficitaire, et qui sera largement utilisée par des personnes partant en vacances, et dont on peut supposer qu’elles ont les moyens de financer leurs loisirs. L’Etat comme agence de voyages tous frais payés, ça interroge.
Mais alors j’en arrive au deuxième point. En effet, d’où vient l’argent pour ces trains de nuit? Contrairement à ce qu’on a pu lire et entendre, il ne s’agit pas de l’argent du contribuable, ou en tous cas pas de l’argent qui viendrait des impôts que nous payons. Il s’agit en réalité des recettes que la Confédération engrange, en vertu de la loi sur le CO2, entrée en vigueur le 15 mars 2024, en mettant aux enchères des droits d’émission pour les aéronefs.
Pour faire simple: lorsqu’un avion vole avec du kérosène, il émet du CO2. Avec la nouvelle loi sur CO2, les compagnies aériennes doivent acheter des droits d’émission de CO2. Et, toujours en vertu de la loi sur le CO2, la Confédération doit investir l’argent provenant de ces droits d’émission, soit dans le développement de trains de nuit (de préférence sur des lignes où ils peuvent concurrencer l’avion…), soit dans le développement de kérosène de synthèse (des kérosènes qui n’émettent pas de CO2), soit enfin dans les mesures permettant d’améliorer l’efficacité des aéronefs pour que ces derniers émettent moins de CO2.
En biffant simplement la subvention pour le train Bâle-Malmö, une majorité du Parlement a donc refusé de subventionner un train, mais ce n’est pas pour autant que l’argent sera économisé, contrairement à ce que peut penser le citoyen. L’argent ne fera que rester plus longtemps dans le fond, en attendant d’être dépensé ailleurs.
Sauf si le Parlement refuse d’appliquer la loi qu’il a lui-même élaborée et qui n’a fait l’objet d’aucun referendum. Et dans ce cas, ce ne serait plus juste le train qui déraille, mais une majorité du Parlement qui bafoue ses lois.
