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Les tours de guet, système d’alarme de l’ancienne Confédération

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«Le seigneur des anneaux» s'est inspiré de ce système Suisse

Les tours de guet des siècles passés remplissaient la fonction que l’on confie aujourd’hui aux sirènes: du Rhin au Léman, une série de feux permettait de mobiliser les troupes en quelques heures seulement.
29.07.2023, 08:0429.07.2023, 16:42
Thomas Weibel / musée national suisse
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Feu d’alarme dans le film Le retour du roi, troisième volet de la trilogie cinématographique Le seigneur des anneaux.Vidéo: YouTube/CLINT PACINO

Le monde fantastique du Seigneur des anneaux, création de l’écrivain britannique J. R. R. Tolkien, est déchiré par des combats entre le bien et le mal. Après cette scène tirée du dernier volet de la trilogie cinématographique, Théoden rassemble ses guerriers. Auteur de fantasy, Tolkien était aussi et surtout médiéviste et linguiste. Il connaissait donc très bien les tours de guet, ce système d’alarme de la fin du Moyen Age qui couvrait de longues distances.

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Les «signaux» vaudois

Dans l’ancienne Confédération, les feux d’alarme au sommet des montagnes provoquaient la mobilisation des troupes. Visibles les unes des autres, des tours de guet allumaient leur feu l’une après l’autre afin de donner le signal tout au long de la chaîne. Dans le canton de Vaud, les sommets sur lesquels se trouvaient de telles tours sont encore appelés «signal». Ces réseaux se sont fortement développés aux 17e et 18e siècles et pouvaient s’étendre sur des centaines de kilomètres.

Le canton de Lucerne comptait 17 tours, Zurich 23, Fribourg 33, la Thurgovie 51, tandis que le réseau des 156 Chutzen du canton de Berne s’étirait même du Rhin au Léman. Certains toponymes comme le signal de Sauvabelin ou de Chexbres témoignent aujourd’hui encore de l’importance des tours de guet. On retrouve le nom Hochwacht (terme allemand pour une tour de guet) dans les cantons de Berne, d’Argovie, de Lucerne, de Zoug, de Zurich, de Thurgovie, de Saint-Gall et d’Appenzell Rhodes-Extérieures.

Carte des tours de guet du canton de Zurich, XVIIe siècle.
https://www.e-manuscripta.ch/zuzneb/content/zoom/20574?lang=fr
Carte des tours de guet du canton de Zurich, 17e siècle.Image: Bibliothèque centrale de Zurich

Au début, on allumait un arbre

Les tours de guet comptent parmi les dispositifs militaires les plus anciens de l’humanité. Les cantons s’en servaient pour assurer la sécurité de leur territoire en temps de guerre. Les premiers dispositifs étaient composés d’un arbre visible loin à la ronde, entouré de paille et de bois mort, auquel on mettait le feu. Plus tard, ils prirent la forme d’une pyramide de trois ou quatre sapins aux troncs enfoncés dans le sol, espacés de six mètres les uns des autres. L’ensemble pouvait atteindre 20 m de haut.

Entre les sapins, un plancher installé à hauteur d’homme supportait une pile de bois atteignant le sommet de la structure. Un puits au centre faisait office de cheminée, et la quantité de bois prévue permettait au feu de brûler pendant au moins une heure. Enfin, l’ensemble était recouvert de paille pour garder le bois au sec.

Alarme au mortier

A partir du 15e siècle, les tours de guet, placées à une altitude ne dépassant généralement pas 1500 m, constituaient des systèmes d’alarme sophistiqués. Elles se composaient d’une cabane ou d’une tour habitée, d’un instrument de visée appelé Richtdünkel servant à localiser avec précision les maillons de la chaîne les plus proches (afin qu’un feu d’alarme ne soit pas confondu avec un feu ordinaire), d’une marmite basculante remplie de résine ou de poix suspendue à une structure en forme de potence, d’un mortier et de bois sec.

La nuit, l’alarme était donnée par la lueur du feu, en journée par des signaux de fumée, et par temps de brouillard au mortier, comme l’attesta l’ingénieur et architecte militaire zurichois Johannes Haller dans son Defensional de 1620.

Sobrieté pour les gardes

La construction et l’entretien de ces tours incombaient le plus souvent aux communes sur le territoire desquelles elles étaient implantées. Les communes devaient également fournir le personnel de garde, à qui l’on imposait sobriété et comportement honorable, une consommation de tabac modérée et, bien entendu, la défense de la tour de guet. Lors d’une déclaration de guerre du Conseil de Berne, par exemple, les gardes postés sur la tour de la cathédrale firent cinq fois le tour de la terrasse supérieure en brandissant des torches.

Les canons disposés sur les tours des remparts de la ville tirèrent trois coups, et les cloches des églises se mirent à sonner le tocsin. Des feux d’alarme furent ensuite allumés sur le Gurten, le Bantiger et le Harzerenhubel, bientôt suivis par d’autres feux tout au long de la chaîne. L’écrivain bernois Rudolf von Tavel décrivit la scène de manière saisissante dans son roman Ring i der Chetti en 1931, comparant la succession de feux à une constellation d’étoiles rouges.

Troupes prêtes en cinq heures

En temps de guerre, une réaction rapide est cruciale pour avoir la maîtrise de la situation. En partant du principe qu’il faut dix minutes pour allumer un feu d’alarme, trois heures suffisaient pour transmettre l’alarme de Berne à Zurzach, en Argovie, à la frontière avec l'Allemagne. La transmission de Berne à Genève prenait deux heures et demie, tandis qu’il fallait compter une heure et 40 minutes de Berne à Guttannen, à l'extrême sud-est du canton. Cloches et tambours prenaient ensuite le relais au sein des villes et villages. De cette manière, l’alarme pouvait être diffusée dans tout le territoire de l’ancien canton de Berne en l’espace de trois heures, et les troupes pouvaient être prêtes au départ en cinq heures.

Soldats genevois mobilisés à la frontière en 1871.
https://www.historic.admin.ch/media/image/e887312d-f979-4352-9cad-439bded5e1eb
Soldats genevois mobilisés à la frontière en 1871.Image: VBS / DDPS - Albert von Escher

Les feux d’alarme furent employés pour la dernière fois en 1870, dans le contexte de la guerre franco-allemande, lorsque le Conseil fédéral fit appel à cinq unités de l’armée, soit quelque 37 000 hommes, pour sécuriser notamment les postes-frontières de Schaffhouse à l’Ajoie. De nos jours, les tours de guet servent tout au plus encore de points de référence de la mensuration nationale. Elles sont toutefois prisées des randonneurs pour les panoramas qu’elles offrent.

Tour de guet d’Albis, 1935, photographiée par Leo Wehrli.
https://ba.e-pics.ethz.ch/catalog/ETHBIB.Bildarchiv/r/70984/viewmode=infoview
Tour de guet d’Albis, 1935, photographiée par Leo Wehrli.Image: ETH Bibliothek Zurich
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