Sam McCallister n'avait pas vraiment la dégaine pour être invitée à siroter un thé au palais de Buckingham. Tignasse blonde peroxydée, lèvres gonflées au gloss, chewing-gum mastiqué avec férocité, boots en croco, cuir et imprimé léopard à gogo, broche Chanel à strass et faux sac à main Vuitton. Trop bling, trop kitsch, trop irrévérencieuse. Y compris pour ses propres collègues de la BBC. «Je ne veux pas être snob, mais elle est très Daily Mail», se gausse un collaborateur, dès que la féroce productrice a le dos tourné.
Comme quoi, les apparences sont trompeuses. Car sans la hargne de cette farouche «blondasse» aux griffes laquées de noir, interprétée à l'écran par l'actrice Billie Pipper, les caméras de la chaîne britannique ne se seraient jamais introduites dans les salons feutrés de Buckingham Palace pour l'«interview de la décennie». Celle du prince le plus problématique de l'histoire royale moderne, emporté par le prédateur sexuel Jeffrey Epstein dans sa chute.
Un prince Andrew candide, bégayant, colérique et trop gâté, campé avec une justesse déroutante par l'acteur Rufus Sewell. Ses prothèses de menton ne lui ôtent pas une once d'authenticité. Au contraire. On oublierait presque que ce n'est pas le duc d'York qui s'emporte contre une employée ayant mal disposé ses ours en peluche ou justifie son passé avec une maladresse douloureuse.
C'est qu'il nous donnerait presque mal au ventre, cet enfant coincé dans un corps de 60 ans. Un prince pleurnichard qui susurre le nom de sa «mummy» toutes les deux phrases - et que le réalisateur Philip Martin ne s'est pas risqué à afficher. Dans Scoop, la reine est invisible. Ce qui n'empêche d'être partout. Omniprésente et d'autant plus écrasante.
Toutefois, la véritable vedette du film n'est pas la famille royale. C'est d'abord le récit du combat acharné de Sam McAlister contre une armée de communicants. Un bras de fer et des heures de négociation entamés dès 2018 pour obtenir un entretien honnête, sans blabla ni «ligne rouge» du duc d'York. Entièrement consacré à ses relations avec le milliardaire condamné Jeffrey Epstein, décédé en août 2019 dans une cellule de New York.
La pression monte. Sam McAlister persiste. Andrew craque. L'interview censée sauver sa réputation est agendée au 14 novembre 2019. Tous les protagonistes du drame en ont conscience: cette petite heure de télévision a le pouvoir de tout changer.
On attendait avec un poil d'appréhension de voir comment Gillian Anderson allait se débrouiller dans le rôle de la journaliste Emily Maitlis. Encore une fois, la prestation est impitoyable. A l'image de la veste kaki de la présentatrice de Newsnight, la rigueur est militaire. Le détail poussé au millimètre. Mots, intonations, couleurs, expressions, coutures. Tout y est. Nous voilà projetés dans cette même confusion bizarre lorsqu'en 2019, le prince Andrew, le vrai, achève de creuser sa tombe publique.
Après le succès mondial de The Crown et le joyeux scandale d'Harry&Meghan, on avait peine à croire que Netflix puisse creuser plus profondément dans les plaies de la monarchie britannique. Le géant américain vient de nous prouver qu'il est capable d'aller plus loin. Plus vif, plus mordant, plus précis, Scoop a l'effet d'un coup de cutter. Un rappel douloureux de l'épisode le plus mortifiant de la famille royale... à déguster absolument.
(«Scoop», réalisé par Philip Martin, avec Gillian Anderson, Keeley Hawes, Billie Piper et Rufus Sewell, disponible dès le 5 avril sur Netflix.)