Cringe et malaisant. Si vous êtes comme moi, vous avez été biberonné aux longues jambes de Candice Swanepoel et Alessandra Ambrosio, étendant leurs longues ailes dorées sur le runway du mythique défilé de lingerie signé Victoria's Secret.
C'était donc avec excitation mais détermination que j'ai mis mon réveil sur le coup des 1 heure du matin, pour assister à ce spectacle dont on avait été privé pendant trop longtemps (à mon goût). Mes attentes étaient intenses: je me réjouissais de voir comment VS avait intégré les critiques qui lui avaient été adressées à de nombreuses reprises - notamment un manque de diversité ethnique et un manque de représentation des types de corps - tout en maintenant son précieux ADN aussi sucré qu'un repas de Noël. Je me réjouissais en outre de découvrir quelles voix allaient mettre en valeur ces froufrous au kitsch XXL.
Forte fut ma désillusion. Malgré un pré-show qui nous a donné un petit goût familier - notamment en apercevant Jasmine Tooks en peignoir rose avec ses inaltérables barrettes dans les cheveux - le menu qui a suivi est resté sans saveur. Un concept vidé de sa substance, où l'on convoque les grands noms d'hier et d'aujourd'hui, que l'on entasse pèle-mêle dans un carré VIP. Marchez, jeunesse d'hier et d'aujourd'hui, et que la meilleure survive!
On était certes très contents de revoir des mannequins d'antan qui ont marqué durablement l'industrie de la mode, comme Kate Moss ou encore Carla Bruni.
Impossible de ne pas s'être senti un brin nostalgique en voyant débouler Irina Shayk ou Adriana Lima avec leur démarche de soldate de la fashion industry. Mais il faut avouer que le setting (la disposition des lieux) a tout ruiné: ce podium ultra-large par rapport à ce dont on avait été habitué, sans fioritures, avait des allures de vaisseau spatial. Il était glacial comme les entrailles d'un cuirassé.
Si le concept se voulait épuré, les quelques lumières néon et l'écran géant à effets chargés n'ont pas eu l'heur de mettre la dimension humaine en valeur. C'est tout juste si l'on s'attendait à ce que Dark Vador en personne commence à défiler, accompagné d'une poignée de stormtroopers.
Les artistes eux-mêmes, qui en d'autres heures nous ravissent sur la scène internationale, ont eu de la peine à s'approprier le podium: aucune connivence ni avec les mannequins ni avec le public, aucun jeu de regard, rien. Même une star ultra-charismatique comme Tyla n'a pas réussi à imposer sa présence, malgré une prestation vocale sans anicroche.
Il faut dire que la star originaire d'Afrique du Sud a eu de la peine à nous transporter, malgré les ailes emplumées dans lesquelles elle était emballée. Les showrunners avaient certainement prévu qu'elle ne vole pas la vedette aux mannequins. Mais, en conséquence, Tyla, qui est pourtant une performeuse hors pair, et qui aurait pu largement nous faire vibrer au rythme de son déhanché venu des enfers, ne nous a même pas offert deux pas de danse.
Heureusement, la prestation de Lisa, du groupe de K-pop Blackpink, a su relever temporairement les énergies. Victoria's Secret a eu la bonne idée de laisser la chanteuse sud-coréenne de 27 ans ouvrir le bal avec une chorégraphie ultra-sexy, sur son dernier titre, Rockstar. Sa deuxième prestation, sur Moonlit Floor, était également joliment insérée dans le défilé, sans pour autant casser des briques. Mention spéciale, tout de même, pour sa tenue ajourée tout en dentelle.
Mais, rien à faire, malgré des danseurs «on fleek», et une prestation ultra-léchée, le tout donnait l'impression d'un show collégien se déroulant dans un centre commercial. Le jeu des caméras - le défilé était diffusé sur Amazon Prime Video, et sur les réseaux sociaux en direct - n'a pas aidé.
L'iconique chanteuse Cher est également venue interpréter ses tubes Believe et Strong Enough, offrant un petit sursaut d'excitation, qui aura tôt fait de retomber comme un soufflé. On ne peut s'empêcher de noter que le show n'était pas seulement décousu, mais que les tenues - les ailes de coutume si bling-bling et grandiloquentes - sont devenues fades et ont perdu de leur superbe au fil du temps. Du noir, du blanc, et du rouge pâlissant... Où sont passées les collections à thème, et leur esprit taquin?
On est d'accord, le budget n'était certainement pas le même qu'à l'époque. La collection n'a pas su jouer la séduction malgré l'immense équipe marketing derrière l'event. Pourtant, il existe en ce bas monde des couturiers qui arrivent à nous en mettre plein la vue avec bien peu de choses, qui misent sur des matières récupérées, et sur leur créativité rocambolesque. Rien de tout cela ici.
Fait assez marquant pour être souligné, on a pu vivre assez longtemps pour voir la petite sœur de Gigi Hadid, Bella, décocher un sourire sur le runway. Une première.
Bref, rien ne collait avec mes souvenirs, avec les prestations grandioses offertes par des personnalités comme Rihanna ou Taylor Swift, et par des démarches à la Gisele Bündchen. Même l'arrivée en grande pompe de Tyra Banks sur scène ou les paillettes de fin sont tombées sur le show comme un cheveu sur la soupe.
Mais bon, c'est peut-être pour le mieux. On a au moins eu la grande satisfaction de voir défiler des modèles de tailles bien diverses, et d'origines très variées. C'est une vraie progression, que l'on acclame sans limite.
On est aussi très heureux que Victoria's Secret ait laissé la place à un parterre d'artistes féminines de talent. De quoi nous consoler de ce ressenti «fête lycéenne de fin d'année» fort décevant.
Allez, on a assez médit. On vous laisse en images.