Kate Moss cache un secret
L'automne dernier, à l'occasion d'une rare interview, Kate Moss recevait le Times chez elle, dans sa demeure de campagne, au coeur de l'Oxfordshire. Difficile, en l'écoutant chanter les louanges des séances de yoga, du jardin-potager, des bains au clair de lune et des cures de jus de carotte bio, de faire le lien avec Kate Moss. L'ancienne, la brindille. Celle dont le visage d'ange, l'éternelle clope au bec et le perfecto en cuir ont alimenté les couvertures de Vogue et du Daily Mail pendant plus de 30 ans. En 2024, la tempête Moss s'est calmée. Inévitablement. A l'image d'un Frédéric Beigbeder ou d'un Mick Jagger. L'enfant terrible devait finir par troquer le champagne pour la tisane, l'addiction à la cigarette par le sport. Après tout, elle a le droit: Kate Moss souffle ses 50 bougies ce mardi.
La montée en puissance d'une brindille
Elle ne semble pas si loin, pourtant, l'époque où cette alien à la beauté gracile, aux cheveux emmêlés et à la moue frondeuse s'apprêtait à révolutionner l'univers. En 1988, Katherine Moss a 14 ans et débarque d'une autre planète. Plus précisément: Croydon. Un quartier populaire du sud de Londres.
Un quartier «grisant», voire dangereux, où ça «finit toujours en bagarre» et où on cultive avec fierté son accent châtié. Un lieu de liberté aussi, où Katherine Moss peut, très jeune, sortir librement jusqu'à 3 heures du mat'. Fumer, «boire du cidre» et «s'amuser derrière les buissons» avec ses copains. Sa mère est barmaid, son père agent de voyage. Alors, chaque été, ils partent en vacances. Plage, piscine, Orlando, Miami ou les Bahamas. C'est avec son papa, justement, dans un terminal de l'aéroport JFK de New York, qu'elle tombe dans l'oeil d'une agent en peine et en quête de nouveaux modèles. Des mannequins atypiques.
Kate Moss a tout ce qu'il faut. Des pommettes meurtrières, des lèvres en coeur, des yeux en amande, des jambes arquées et nerveuses, des crocs en guise de dents et un charme inexplicable. Quelque chose de naturel, totalement naturel, à des années-lumière des courbes surnaturelles et glamour d'une Cindy Crawford. Ce mini-machin plat et fascinant d'un 1 mètre 70 (bien trop petite, sur le papier), sera un antidote à la beauté siliconée et ultra-huilée des tops model des années 80.
Flanquée d'une armée de photographes de la nouvelle vague avides de jouer avec la lumière naturelle, l'ovni Kate débarque. Son shooting, signé Corinne Day pour le magazine The Face, en 1990, seins nus sur le sable, coiffe de plumes sur la tête et sourire radieux sur les lèvres, marque le début de la révolution.
Le Tank
Comme toute révolution, celle-ci ne se fera pas sans résistance. Cette étrange combinaison d’innocence et de sexualité, cette femme-enfant au grain de beauté caractéristique sur la poitrine et aux tétons minuscules et pointus, provoque un tollé. Au début des années 90, pas une interview ne s'achève sans que la nouvelle égérie Calvin Klein et d'Yves-Saint-Laurent, dont le minois orne déjà les panneaux publicitaires de Times Square ou Oxford Street, ne doive répéter: «Je ne suis pas anorexique» ou «Je n'ai jamais pris d'héroïne».
«Faire des photos de sous-vêtements sans que la mannequin soit sexy, c'était vraiment choquant pour les gens. Si j'avais eu des gros seins et l'attitude sensuelle qui convient aux photos de lingerie, alors ça n'aurait choqué personne», se souvient-elle bien des années plus tard, en 2014, à Vanity Fair. «Mais parce que j'étais une ado, on a dit que c'était de la pédophilie, un scandale, tout ça. C'est ridicule.»
Des polémiques, pourtant, il y en aura d'autres. A raison, peut-être, lorsque l'industrie de la mode érige en idéal l'esthétique «héroïne chic». Kate Moss est son incarnation, avec sa beauté débraillée, ses yeux cernés, son teint pâle et sa minceur de verre. Une brindille de 45 kilos qui sort trop, fume trop, boit trop et dont la capacité à s'enfiler des litres de champagne dès 10 heures du mat' lui vaut un autre surnom: le «Tank».
De petite fille, Kate Moss devient une créature. Un phénomène. Un objet de convoitise, de rumeurs, de ragots brûlants et de spéculations frénétiques. Avec qui sort-elle? Où et quand? Que porte-elle? Les légendes à son sujet et ses histoires d'amour ont contribué à forger cette aura. Johny Depp, d'abord. Puis il y a eu le père de sa fille adorée, Lila, un éditeur du nom de Jefferson Hack, jugé bien vite trop «quelconque», trop «sage», pour elle. Alors, il y a eu Pete Doherty, icône du rock et du glamour blasée, réputé pour sa consommation sans vergogne d'héroïne et de crack. Une relation passionnée, passionnante, dramatique, rythmée par les cures de désintox et les coups d'éclat, qui s'achèvera en 2007 avec une guitare brisée et son panda en peluche (à lui) carbonisé (par elle).
Et entre-deux, il y a évidemment eu la terrible Une du Daily Mail, «Cocaïne Kate», en 2005. Les images du top model, le nez méthodique, face à cinq rails de coke. Tollé mondial. Harcèlement médiatique et judiciaire. En quelques heures, Kate perd ses contrats avec Burberry, Chanel et H&M, pour un total de près de 2 millions de livres sterling.
La recette de Kate
Il en faudrait plus pour terrasser le tank. Aucun dommage n'atteint la carapace d'acier de la brindille, aussi fine soit-elle. Kate ressort de chaque combat plus forte, plus populaire, plus attractive, plus riche. Sans jamais s'épandre plus que nécessaire. Une devise qu'elle tient de son premier amant et de la reine d'Angleterre: «Johnny m'a dit: Never complain, never explain. Je ne veux pas que les gens sachent tout le temps ce qui est vrai. C'est ce qui maintient le mystère», explique-t-elle, malicieuse, lors d'un entretien.
Mystère, silence, désirabilité. Comme la Reine, Kate est devenue une icône de pop culture. Un bien commun que se partagent les Britanniques. Ça tombe bien, sa rencontre avec Elizabeth II, en 2004, reste gravée comme l'un des «plus beaux jours de sa vie».
Le succès de Kate réside aussi dans sa polyvalence. Son talent. Fille des quartiers ou duchesse; haute couture et grand public; accessible et lointaine; inquiétante et lumineuse. Kate est tout à fois et à mille lieues d'être un bête cintre sur pattes. «C'est un vrai caméléon, elle sait tout faire. Je n'exagère pas quand je dis que c'est un mannequin absolument exceptionnel», loue une certaine Anna Wintour, son éternel soutien.
Pétrie de talent, mais surtout foncièrement sympa. Demandez à n'importe qui dans ce milieu de vipères. «L'effet Moss» est indéniable. Inexplicable. Magique. Farouche en public, fun en privée, Kate est cette amie avec laquelle vous finirez la soirée au petit matin, sans l'avoir vue passer. Preuve en est que, depuis le début de sa carrière, elle traîne toujours avec bon nombre de la même bande de potes et de collègues. Un cercle étroit et serré, où loyauté et silence sont des mots de passe.
En 2011, lorsque son ami John Galliano est mis à ban du monde de la mode, miné par un dérapage antisémite dans un bar et une cure de désintox, devinez qui lui demande, dans le plus grand secret, de concevoir sa robe de mariée? Son éternelle copine, évidemment. Ce mariage (une fête censée durer 3 jours, qui se prolongera 5) avec le guitariste du groupe The Kills, Jamie Hince, est le premier. Et le dernier.
50 ans et encore quelques clopes
Il n’y aura pas de fête débauchée cette année, pour célébrer l'entrée de la reine de la fête dans son demi-siècle. A la fin des années 2010, fortement marquée par la disparition prématurée de plusieurs proches, dont ses anciennes mentors Annabelle Neilson et Anita Pallenberg, toutes deux rattrapées par une vie d'excès, le supermodel le plus rock de l'histoire de la mode décide de rejoindre le groupe des repentis. Ce mardi, c'est une Kate apaisée et assagie qui a commencé sa journée, comme tous les autres jours: par une séance de yoga, de méditation et quelques pensées positives.
Rassurez-vous. Tout n'est pas perdu. L'automne dernier, Kate a admis qu'elle fumait encore une clope, de «temps en temps». Et puis, comme elle le glissait malicieusement à un journaliste, en 2014, lorsqu'il lui demandait si elle était définitivement calmée... «Il faut se méfier de l'eau qui dort. Derrière les portes closes, j'ai le diable au corps.»
Kate Moss sera toujours Kate Moss. Et c'est ça, son secret.
