Devinez quoi? Les Spice Girls ont 30 ans. Comme Pulp Fiction, le Roi Lion, et The Mask en 2024 (oui, je viens de vous mettre le seum du temps qui passe).
Une telle information n'est pas digérée sans douleur; pour nombre d'entre nous, ce groupe a grandi au même rythme que nos gambettes, et a accompagné nombre d'états d'âme dans notre chambre de préado remplie d'hormones en ébullition et de posters à leur effigie. Même si vous étiez plutôt branché «Radiohead» à cette époque, ou si vous n'étiez même pas né quand le groupe fut conçu, en 1994 à Londres, il est impossible que vous n'ayez pas, un jour ou l'autre, été éclaboussés par la «Spicemania» (une référence à la «Beatlemania»).
Impossible en effet que vos petites oreilles n'aient pas éclusé au moins une fois l'un des hits populaires de ces cinq drôles de dames dont le talent musical plus que discutable était étrangement compensé par une énergie aussi obsédante que déjantée.
C'est que minot, on écoutait avant tout les Spice Girls pour avoir l'impression d'appartenir à leur vaisseau d'énergumènes boostées à la «self-confidence». On voulait être du groupe des filles «cool» qui échangeaient de façon ostentatoire leurs cartes collector dans les couloirs de l'école (oui, je me suis ruinée en cartes Spice Girls bien avant de m'endetter en pogs et en cartes moches à l'effigie de Dracaufeu).
30 ans après, je dois bien l'admettre, je ressentirais un petit papillon au creux de l'estomac si je venais à mettre la main sur la collection des quinze timbres à leur image mis en vente par le Royal Mail (la Poste outre-Manche) ce jeudi 11 janvier.
Pour faire écho au Royal Mail et fêter comme il se doit ces «noces» de perles, voici 5 raisons (d'une absolue mauvaise foi, certes) qui prouvent que les Spice Girls sont immortelles.
Les Spice Girls, c'est un peu le parfait accident, comme seule l'industrie musicale anglophone sait en créer. Au départ, rien ne prédisposait Victoria Beckham (née Adams), Emma Bunton, Melanie Brown, Melanie Chisholm et Geri Halliwell à partager une folle aventure qui allait galvaniser des millions de fans à travers le monde. Comme tant de girls bands avant elles, elles ont été recrutées à l'issue d'un casting, dont la production devait d'abord être baptisée «Touch».
Mais dès le début, les filles taillent leur ADN à même la veine de leurs tempéraments. Pas convaincues par l'orientation du projet, les chansons gnangnan et le style vestimentaire imposés, elles envoient tout valser. Elles se séparent de leur manager, et demandent au jeune producteur de disques britannique Simon Fuller de devenir leur guide musical - pour ne pas dire spirituel.
Collaborant avec le groupe pendant leurs premières années, Simon Fuller, «le faiseur de stars» et ancien manager de Annie Lennox, deviendra par la suite «le personnage central de la galaxie Beckham», selon les mots du Parisien.
Bien décidées à piloter leur destin, les cinq chanteuses en herbe décident de vivre sous le même toit, pour instiller à leurs productions une véritable dynamique collaborative. Le «Spice Power» était né.
Ne me dites pas que vous n'avez pas «crushé» sur l'une ou l'autre des membres du groupe. Chacune avait ses attributs et son univers; il y avait la fille ultra-sexy, la plus sportive, la plus snob ou encore la plus juvénile.
Ces stéréotypes poussés à outrance - telles de parfaites Barbies à thème - ne devaient rien au hasard; c'était le fruit d'une stratégie intelligemment conduite par Simon Fuller, qui a eu le génie de laisser transparaitre leurs personnalités aussi distinctes que bien trempées.
Cette extension entre caractère et look constituera le ressort principal de la réussite marketing du groupe.
Pour alimenter les clichés, aucun excès n'était refréné: on avait droit au drapeau en guise de minirobe, aux plateformes plus hautes qu'une grue et certainement casse-gueule (bravo Geri de n'avoir jamais fini aux urgences), aux one-piece pigeonnants et décolletés jusqu'aux genoux, ainsi qu'à l'uniforme «training-crop top» fièrement arboré par Mel C.
Niveau composition, la sauce «Spice» prend également, avec des textes parlant de relations et d'indépendance, pétris d'argot et de boutades, à l'opposé des paroles lissées des boys bands de l'époque.
Pour la petite histoire, c'est le magazine musical britannique Top of the Pops qui a attribué à chaque membre du groupe des surnoms immédiatement adoptés par les fans: Emma est ainsi devenue Baby Spice, Victoria, Posh Spice, Melanie C, Sporty Spice, Melanie B, Scary Spice, et enfin Geri, Ginger Spice.
Chaque fan avait ainsi la possibilité de s'identifier à son personnage idéal, en cultivant ses traits de personnalité. Et mine de rien, les jeunes filles de mon époque aimaient emprunter un peu de leurs «superpouvoirs» pour affronter le monde.
Le fait que leur trajectoire soit relatée comme un véritable «success story» - des filles simples d'origine ouvrière qui réussissent à s'imposer au sommet - a séduit des millions d'adeptes. Peu importe qu'elles ne sachent pas vraiment chanter ni bien danser; tant qu'elles reflètent l'image d'une réussite à la portée de toute personne capable de travailler dur.
«Girl Power!» s'est rapidement imposé comme le slogan maitre du cocktail épicé.
Encore aujourd'hui, impossible de savoir si les filles scandaient cet apophtegme en lui donnant une quelconque valeur activiste. Quand on le leur demandait, chacune avait sa petite sensibilité:
Si en interview, des notions liées à l'égalité des sexes et à la tolérance sont articulées, aucune n'est vraiment creusée - et encore moins suivie d'engagements concrets.
Pourtant, ce mot d'ordre qui pouvait faire rire sous cape est vite devenu prophétique. A cette époque particulièrement placée sous le signe du rock et des groupes masculins, bien peu de formations de filles réussissaient à dominer les charts. Or, leur premier album Spice, dont elles participent activement à l'élaboration, reste à ce jour:
Leur premier single, Wannabe, enregistré en 95 et diffusé aux States en 97 contre le préavis de Virgin Records, annonce d'entrée leur liberté de ton (Si tu veux mon avenir/Oublie mon passé/Si tu veux être mon amant/Tu ferais bien de t’entendre avec mes amis) et de gestes. Au vu du succès rencontré, le pont entre fiction et réalité est vite comblé: on vient foutre le bordel dans une réception chic et danser sur les tables le temps d'un clip, et on s'impose comme meilleure vidéo de danse aux MTV Music Awards.
Presque malgré elles, le groupe de filles devient un phénomène de société, et ouvre les portes de l'industrie musicale à une nouvelle génération d'artistes féminines.
Les Spice Girls, ce sont des clips et des concerts en mégaproduction, et surtout du merchandising infini. Signant des contrats mirobolants, les filles deviennent rapidement des «marchandises culturelles» très rentables. Rien qu'en 1996, chacune d'entre elles amasse une fortune évaluée à plus de 45 millions de dollars.
Mine de rien, ce mercantilisme musical révolutionne le milieu et fait le nid du business des stars actuelles.
Bien avant les bracelets d'amitié à la Taylor Swift, et bien avant l'engouement autour de la marque cosmétique Fenty Beauty gérée d'une main de fer par Rihanna, les Spice Girls - ou plutôt Simon Fuller - avaient compris l'importance de la représentation, et de la création d'un univers de marque. Comme dans un multivers, tout, absolument tout, pouvait se décliner en produit dérivé «Spice» (d'ailleurs, si vous avez des canettes Pepsi-Spice Girls, ça doit valoir une petite fortune).
Le slogan «Girl Power» fait d'ailleurs davantage jouer les gros muscles du marketing en invoquant un univers fait de fête et de solidarité. Comme le média Slate l'explique bien, l'idée d'émancipation des femmes est omniprésente dans l'univers des Spice, mais est «dépolitisée par la notion d'amusement qu'elles y associent toujours». C'est l'avènement du féminisme de l'amitié, qui marque encore les générations actuelles:
Mai 1998. Quelle ne fut pas la claque ressentie quand, un petit matin de week-end, j'apprenais que Ginger Spice nous trahissait tous, et tournait ses talons à plateformes géantes pour se lancer dans une carrière solo.
Quoi? Comment ça, les stars ne sont-elles pas éternelles? Leur amitié non plus? Le plat épicé que j'ai tant aimé déguster - à en vomir - dans mon enfance a rapidement tourné aigre, alors que l'arrière-goût des coulisses peu glamours commençait à dégouliner dans les médias mainstream.
Deuxième claque, lorsque mes parents m'ont lu une interview de l'ex-leader effrontée du groupe, qui expliquait tout ce qu'elle avait enduré dans sa carrière musicale: la pression pour se plier aux exigences des tenues ultra-sexy, le visage constamment enfoui sous des tonnes de fond de teint, ou encore le fait d'essuyer des remarques sexistes ou misogynes à longueur de journée. Alors que le vernis étincelant du monde des pop stars se craquelait, j'ai observé, comme de nombreux fans un peu perdus, le tournant à l'équerre opéré par une Geri délivrée de ses rouges à lèvres carmin et de ses minirobes «Union Jack» dans son clip-reprise It's raining Men, sorti en avril 2001.
Si le groupe a réussi à perdurer malgré l'absence de leur membre-phare à la chevelure de feu, il a largement pris du plomb dans l'aile, dans une époque marquée par des figures pop solo comme Britney Spears, Christina Aguilera ou encore Mandy Moore.
Mais qu'importe! Par leur rayonnement, leurs «gouaille», leur «Girl Power» un brin déglingué, leurs tenues de mauvais goût à la limite du franchement vulgaire, leur univers criard et spontané qu'on ne demandait qu'à infiltrer, les Spice Girls ont marqué toute une génération. Bien peu de groupes féminins ont su perdurer et se renouveler, même pas les All Saints, présentées à l'époque comme les rivales au groupe des cinq.
Dans notre coeur, Victoria sera «Posh Spice» à jamais, et du haut de ses 47 ans, Emma Bunton sera toujours notre «Baby Spice». A l'heure où tout change trop vite (demandez à ChatGPT), ça fait du bien de penser qu'une gourmandise de notre enfance ne perdra jamais de sa saveur.
Allez...Joyeux Anniversaire, les Spice Girls!