Comment Salt Bae s'est crashé en flamme
Cela fait quelque temps qu'on regarde la chute du boucher des stars et désormais figure «memifiée» du virtuel. Elle pourrait se narrer depuis sa (gênante) intervention lors de la Coupe du monde de football, en tirant le bras de Lionel Messi pour un selfie, tout en se glissant pour apposer ses mains sur la coupe dorée. Crime de lèse-majesté, sachant que seuls les joueurs et les officiels de la Fifa peuvent la toucher.
Depuis, le Turc Nusret Gökçe, alias «Salt Bae», file du mauvais coton, lui qui est devenu une figure incontournable que tout le gratin des réseaux sociaux s'arrache depuis sa vidéo postée en 2017. Une légende (artificielle) était alors en marche, mais la réalité a semé son grain de sel au passage.
2017, le début de la popularité
Tout semblait sourire au cuisinier qui alignait les likes et les vues sur son compte Instagram. Saler théâtralement un morceau de bidoche lui vaut près de 53 millions d'abonnés aujourd'hui (que plusieurs suspectent d'être gonflés artificiellement). Une revanche pour ce fils d'un mineur d'origine kurde, qui avait stoppé ses études à 13 ans pour se lancer dans la boucherie.
Un concept qui a inspiré plusieurs autres apprentis du service fancy. Le Turc, à grands coups de mouvements plus ou moins contrôlés et sensuels, deux couteaux dans chaque main, a lancé un trend qui a démontré une chose plus ou moins acquise: il suffit de faire le pitre pour mieux buzzer.
Les influenceurs, stars de téléréalité et autres footballeurs se sont massés pour poser aux côtés du boucher, pour dépenser sans compter. Aucune étoile, mais des notes qui piquent: il roulait des mécaniques et publiait des factures de 108 500 dollars pour un seul repas dans son restaurant de Dubaï.
Les faux pas s'accumulent
Crâner peut rapidement amener à la chute. Depuis sa célébrité soudaine, la trajectoire du succès va subir quelques accrocs. C'est alors que vont s'enchaîner les contretemps, comme ce jour de 2018: le chef a irrité les Cubano-Américains en s'habillant en l'honneur du défunt dictateur Fidel Castro, un cigare au bec. Tollé. Un crachat sur les contre-révolutionnaires catapultés aux Etats-Unis pour se sauver du régime.
Il enchaîne alors avec une vidéo en compagnie de Nicolas Maduro, le président vénézuélien qui venait becter à Istanbul dans l'un des restaurants de l'enfant prodigue du choc salin. Un passage qui ne passe pas auprès de l'opinion publique; Maduro étant accusé de plonger son pays dans une famine généralisée, comme les internautes lui ont rappelé, alors que le chef d'Etat s'offrait des plats hors de prix.
Un manque de culture, peut-être, mais depuis, son empire culinaire souffre. Son restaurant de burgers à New York a été baptisé par un critique de Gothamist de «pire restaurant de New York». Surtout qu'un milkshake pailleté d'or valait 99 dollars et un Gold Burger coûtait 100 dollars, recouvert d'une feuille d'or. Cette démesure lui a permis de tenir trois ans, avant de fermer ses portes.
C'est en somme la dure réalité qui frappe le patron turc. Sa recette n'est pas aussi dorée que les feuilles qui recouvrent ses steaks, pas aussi souple que ses doigts qui font glisser les grains de sel sur son avant-bras.
Les médias commencent à se faire l'écho d'un début de chute, des additions toujours plus corsées, de multiples descentes de police à Miami. En 2020, le Miami Herald contait une altercation au restaurant Nusr-Et Miami concernant une commande qui a tourné au vinaigre. Au point que les forces de l'ordre ont dû débarquer pour calmer les ardeurs des clients et du personnel. Toujours selon le média floridien, la police est passée au moins une douzaine de fois entre 2017 et 2020 pour calmer des clients choqués par une addition exorbitante.
Business en perdition?
Outre ses démêlés avec sa clientèle, son désir de briller en société lui vaut des moqueries. Après son apparition remarquée lors de la finale du Mondial 2022, il décide de revenir à la charge: il se présente à la soirée d'après-finale de la Ligue des champions, le 31 mai 2025. Problème: il n'a pas été convié aux festivités et la sécurité l'a repoussé. TikTok s'est alors enflammé, les commentaires ont fusé pour lui rappeler d'arrêter de s'incruster partout, qualifié même de «chercheur de publicité».
Si le bonhomme a pris la confiance avec ses millions d'abonnés, son business n'est pas au mieux depuis quelques années et vire à l'indigestion. Une nourriture bling-bling et des prix exorbitants, Salt Bae paie les pots cassés de sa notoriété basée sur du vide; sur du divertissement qui ne peut que s'essouffler après la hype.
Ses restaurants ferment tour à tour, comme celui de Boston qui avait rencontré, juste après son ouverture, des problèmes - brièvement fermé pour non-respect des règles d'hygiène liées à la Covid-19 en vigueur à Boston.
Le dégât d'image est au bout du couteau. S'ensuivent, pour agrémenter le tout, de multiples allégations et poursuites judiciaires, et d'anciens employés l'ont accusé de toutes sortes de faits, allant de la discrimination raciale à l'utilisation abusive de pourboires.
En 2023, Business Insider mettait une nouvelle pièce dans la machine en interrogeant plusieurs collaborateurs. Sept plaintes d'employés ont été déposées pour sa gestion désastreuse et pour vol. Selon les informations récoltées, leurs pourboires (aux montants très élevés) auraient été prélevés abusivement. Le Turc a alors sorti le chéquier et conclu un accord (230 000 dollars) à l'amiable pour se sortir des tracas juridiques.
«Complexe divin» en mode «Hunger Games»
Les accusations évoquent aussi une source anonyme, une ancienne responsable d'un restaurant Nusr-Et, déclarant que Gökçe avait développé un «complexe divin». Un autre ancien barman disait même que travailler dans le restaurant Nusr-Et de Mykonos ressemblait à évoluer dans l'univers dystopique de la série Hunger Games.
Un culte de la personnalité qui ne fait pas ou plus recette, spécialement aux Etats-Unis.
En mai 2025, un nouveau restaurant à New York, à Meatpacking District, a stoppé les frais. Sur trois ouverts, il ne compte plus qu'un établissement dans la Grande Pomme.
Dans la foulée de cette fermeture, un porte-parole du groupe Nusr-Et expliquait à Eater:
Et ce n'est pas fini: en juin de cette année, deux nouveaux restaurants ont vu leurs portes se fermer. Les restaurants Nusr-Et de Dallas et de Beverly Hills (à Los Angeles) ont mis la clé sous le paillasson. Alors que le chef turc comptait sept restaurants au pays de l'Oncle Sam, il n'en compte désormais plus que deux.
Mais l'influenceur de la viande ne veut pas lâcher l'affaire. S'il vise aussi l'Amérique latine et Mexico City, sa prochaine cible est le marché européen, Ibiza ou encore l'Italie, avec Milan, Rome et Naples.
Et en Suisse, une chance de voir le saleur en chef au pays de la fondue? Contactée, l'équipe du cuisinier n'a pas répondu à nos sollicitations.
Néanmoins, cette expansion désirée pourrait être déjà cuite avant même de commencer. Pour preuve, le chiffre d'affaires de son établissement à Londres est passé de onze à deux millions de livres en seulement trois ans, rappelle Le Point. Une première indication que le restaurant Nusr-Et est à l'image d'un trend sur les réseaux sociaux: un avenir sans lendemain.