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Portrait

Qui est Saint Levant, l'artiste palestinien qui joue au Jazz?

En 2023, il jouait sur la scène gratuite du Montreux Jazz Festival. Deux ans plus tard, il revient, en haut de l’affiche cette fois. Saint Levant, 24 ans, chanteur, poète, lover quadrilingue et Palest ...
Musicalement, Saint Levant, c’est un peu la bande-son d’un cœur éclaté entre plusieurs continents.Image: dr

Un Palestinien à la rage tranquille débarque au Jazz

En 2023, il jouait sur la scène off du Montreux Jazz Festival. Deux ans plus tard, il revient, en haut de l’affiche cette fois. Saint Levant, 24 ans, chanteur, poète, lover quadrilingue et Palestinien sans filtre, continue son ascension express. Portrait.
16.07.2025, 18:5516.07.2025, 18:55
Charlotte Callas
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Débardeur blanc, lunettes fumées, style un peu américain, mais pas vraiment, comme si l’artiste aux multiples racines était toujours au carrefour de plusieurs univers. Marwan Abdelhamid, alias Saint Levant, a ce magnétisme étrange des gens qu’on ne sait pas trop où placer. Il ne rentre dans aucune case, et c’est peut-être ce qui le rend aussi envoûtant.

Franco-algérien par sa mère, Serbo-palestinien par son père, né à Jérusalem, il grandit à Gaza, puis est exfiltré à Amman et enfin catapulté en Californie. Résumer cet homme et son art à un seul pays ou un seul style musical, c’est comme essayer d’imprimer TikTok sur une feuille A4. Ça dépasse.

Et pourtant, il fait de tout ça une force. Il transforme le déracinement en mélodie. Le flou identitaire, en matière première. Et nous envoûte de sa voix grave et sensuelle.

Gaza - Amman - L.A. - Internet

A 24 ans, Saint Levant a déjà vécu plus de vies que la plupart d’entre nous. Il a vu les bombes tomber sur Gaza, connu les coupures d’électricité à l’heure des devoirs, les checkpoints, les déménagements, l’urgence. Il a été enfant réfugié, ado mélancolique, étudiant californien, entrepreneur, activiste, rappeur, lover polyglotte. Et aujourd’hui, le voilà programmé à Montreux, après avoir notamment enflammé Coachella, le prestigieux festival américain, en avril 2024. Pas mal.

Surtout qu’en 2023, il était déjà venu à Montreux. Mais à l’époque, c’était dans la prog’ du off, dans partie gratuite du festival. Une scène plus modeste, au bord du lac, où les passants tombent sur vous un peu par hasard. Et pourtant, l’artiste avait déjà retourné la foule. Flash forward deux ans plus tard: cette fois, c’est sur une grande scène, celle du Casino, qu’il se produit cet été. La consécration. Et surtout, la preuve que les programmateurs de Montreux ont du flair.

Musicalement, Saint Levant, c’est un peu la bande-son d’un cœur éclaté entre plusieurs continents. Il mélange de l’arabe avec des beats de R'n'B, chante dans un français façon poésie d’un autre temps, susurre en anglais comme un coucher de soleil brûlant sur Los Angeles, jette un rap saupoudré de sensualité. Dans ses chansons, les mots roulent comme les vagues sur les côtes de Gaza, entre lascivité douce et colère contenue, lorsqu’il chante l’amour et l’exil, les rêves et la douleur.

C’est sur TikTok que son tube Very Few Friends est devenu viral. Trois langues, des punchlines qui transpercent, un flow tranquille mais charismatique. Il y parle de désir, de loyauté, de filles qu’on n’a pas envie de partager. La Gen Z s’est ruée sur le son, le rendant incontournable. Depuis, ce sont d’autres de ses titres qui sont devenus des tubes.

Il n’hésite pas à expérimenter, mélanger les styles, les genres, à emprunter à d’autres, et à d’autres époques, comme lorsqu’il s’approprie un passage du tube des années 1990 Desert Rose de Sting, dans son titre du même nom, ou au tube de Drake One Dance pour son morceau Baby.

Dans 5am in Paris, Saint Levant nous emmène dans une introspection sur le sentiment de déracinement et raconte la complexité de son identité multiple.

«5 heures du matin, je rentre chez moi. Mon corps à Paris, mon cœur à Gaza. Mon âme à Algiers, mon ex à Casa. Ma meuf à LA me prend dans ses bras. Je me sens chez moi nulle part.»

Avec le tube Nails, l’artiste aborde la question de l’identité et de l’acceptation de soi. Le morceau commence par une ligne percutante: «Listen… the only thing stressing me out in this life is a Visa, and the fact that my girl doesn’t like that I’m followed by Mia Khalifa.»

Le clip, aux couleurs saturées, met en scène Saint Levant aux côtés de Mia Khalifa, symbolisant une célébration de la différence et de la confiance en soi.

Coachella & conscience politique

On a parlé de lui comme du «nouveau visage du Moyen-Orient», mais la vérité, c’est qu’il est surtout le visage d’un monde qui n’a plus très envie de choisir entre Est et Ouest, entre sérieux et chill, entre guitare sèche et sample électro.

Et puis il y a l’autre face. Celle qui ne se voit pas dans les clips bien léchés. Celle qui hurle doucement. Quand Gaza s’embrase en 2023, sur les réseaux sociaux, Saint Levant partage, explique, nomme les morts. En parallèle, il refuse les interviews qui censurent le mot «Palestine». Il garde sa ligne, même quand ça coûte à sa carrière. Il parle à une génération qui en a marre des euphémismes et des artistes qui rasent les murs pour ne froisser personne.

Il est de ceux qui refusent de séparer la scène du monde réel. De ceux qui ne croient pas que l'art doit être neutre. Et c’est là que ça pique: parce qu’il est beau, parce qu’il est cool, parce qu’il est bankable. Il est à la fois Instagrammable et profondément engagé. Une anomalie dans une industrie qui préfère souvent les artistes lisses qui chantent et qui se la bouclent.

Lover & levantin

Mais n'imaginez pas qu’il est toujours sérieux. Saint Levant, c’est aussi le roi de la drague qui parle comme dans un poème. Il vous sort un «ya habibti» entre deux accords de guitare et vous déshabille d’un regard. Dans From Gaza, With Love, il déroule des histoires de cœur avec une intensité toute méditerranéenne.

Il s’intéresse à la mode aussi, collabore avec des stylistes, rêve d’un label où la beauté serait politique. Il appelle ça le «levantinisme», une manière de revendiquer un style, une sensualité, une manière d’être au monde qui dépasse les frontières. Le Levant, pour lui, c’est un territoire réel, mais aussi imaginaire. C’est là où naissent les contradictions et les chansons.

Alors non, ce n’est pas une surprise s’il revient à Montreux cette année. C’est presque une évidence. Oui, il vient de la «scène TikTok». Oui, il a percé sur internet. Mais aujourd’hui, il remplit des salles, fait parler de lui dans Rolling Stone, chante au pied des palmiers californiens à Coachella. Et c’est Montreux qui pourra (ré)entendre ce mélange fou d’élégance, de rage tranquille et de mélancolie digitale.

Le Montreux Jazz 2024, en images:

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Le Montreux Jazz 2024, en images:
Le chanteur américain Alice Cooper se produit lors de la 58e édition du Montreux Jazz Festival, à Montreux, en Suisse, le 8 juillet 2024.
source: sda / valentin flauraud
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Comme cette chaise, j’ai vécu un moment suspendu au Jazz
Mercredi soir, Saint Levant a enflammé la scène du Casino au Montreux Jazz Festival. Le rappeur franco-palestinien a transformé son concert en un moment de transe collective, entre sensualité, engagement politique et communion totale avec son public.
Dès les premières secondes, la salle explose. Pas d’introduction en douceur, pas de montée progressive: l’ambiance est brûlante d’emblée. Quand Saint Levant entre sur scène, porté par les cris de «Free Palestine» hurlés par une foule chauffée à blanc, on comprend que ce concert ne sera pas comme les autres.
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