Noah Heynen est un bricoleur ingénieux, il a du flair en affaires. En 2008, il n'a que 20 ans lorsqu'il fonde Helion avec un associé. Quelques mois plus tard, il visse une première installation solaire sur un toit à Riedholz, dans le canton de Soleure. «C'était le toit de notre professeur d'école secondaire», raconte l'entrepreneur. «Avec le recul, il faut reconnaître qu'il nous faisait sacrément confiance, à l'époque».
Aujourd'hui, Helion est le leader de la branche photovoltaïque, qui se porte mieux que jamais en Suisse. Le groupe Amag a entre-temps racheté la société, qui installe chaque année plus de 1300 installations et emploie plus de 500 personnes.
Désormais, son directeur a une nouvelle idée. Lorsqu'il en parle, il semble exulter: «Oui, j'en suis vraiment un peu fier», confie-t-il à la fin de trois quarts d'heure d'entretien. Rien d'étonnant à cela: il planche actuellement sur la première centrale virtuelle de Suisse.
Pour comprendre son projet, il faut avoir quelques notions en matière de budget électrique européen. Celui-ci maintient constamment un équilibre entre la production et la consommation. Cela signifie que si le vent souffle un peu moins fort sur une turbine, l'écluse d'une centrale hydroélectrique s'ouvre quelque part pour garantir un approvisionnement régulier. C'est ce qu'on appelle le maintien de la fréquence. En Suisse, c'est Swissgrid qui veille à l'équilibre des réseaux et des centrales.
Le développement des sources renouvelables complique sa tâche. Avec l'éolien, le solaire et l'hydraulique, les pics de puissance et les goulets d'étranglement deviennent monnaie courante. C'est pourquoi les grands fournisseurs prévoient de construire d'énormes batteries capables de directement stocker ou libérer de l'énergie - le tout à un bon prix, bien entendu. Les infrastructures les plus connues sont les centrales de pompage-turbinage comme Linth-Limmern ou Nant-de-Drance.
C'est précisément là qu'intervient l'idée de Noah Heynen: au lieu de laisser de gigantesques barrages aux mains de quelques entreprises, il veut décentraliser le réajustement.
Un foyer peut en effet d'une part produire sa propre électricité ou optimiser sa consommation - en chargeant la batterie de la maison, la voiture ou en démarrant la pompe à chaleur. Dans le cas inverse, les ménages envoient leur courant à Swissgrid pour le maintien de la fréquence.
«Cela est désormais possible grâce à l'intelligence artificielle», poursuit le spécialiste. Il a trouvé une petite start-up au Tessin qui a développé un logiciel pour la centrale virtuelle qu'il imagine.
Car ce n'est que dans le cadre d'un groupement de propriétaires à l'échelle du pays que cette centrale pourrait atteindre une taille significative. «Si un tiers des installations photovoltaïques actuelles étaient équipées de notre technologie, cela correspondrait à la capacité de pompage de Linth-Limmern», explique Noah Heynen.
Et si le développement de l'énergie solaire se poursuit comme le prévoit la loi sur l'électricité, on pourrait parvenir à créer l'équivalent deux centrales de turbinage d'ici 2030. A condition qu'un tiers des propriétaires d'installations solaires adhèrent au concept de Heynen.
Financièrement parlant, celui-ci a un sacré atout: la part allant dans la réserve de puissance est indemnisée en plus sur le marché. «Pour les clients privés, cela génère un revenu supplémentaire de 200 à 300 francs, pour les clients industriels, on parle de 1000 francs et plus par an», estime notre interlocuteur. C'est attrayant, surtout à une époque où la valeur de l'électricité solaire recule à cause de la multiplication des phases de prix négatifs de l'énergie.
Swissgrid a donné son feu vert: «Nous sommes très intéressés par cette technologie», déclare Serge Wisselmann de Swissgrid. Le fait qu'un pool de privés participe à la stabilité du réseau est nouveau sous cette forme et offre une flexibilité supplémentaire. Le projet est en phase de test depuis six mois avec une cinquantaine de ménages. Mais l'avantage, c'est que cela peut facilement évoluer», souligne Heynen.
Dès ce week-end, il veut inclure de nouveaux clients d'Helion au projet, puis, à partir de l'année prochaine, les clients existants. «On obtient ainsi un réseau de minicentrales pouvant réagir extrêmement rapidement aux fluctuations», explique-t-il
Il est bien possible que l'ancien professeur d'école secondaire reçoive un nouveau coup de fil.
(Adaptation en français: Valentine Zenker)