Avant un crash, prier poliment les gens de ne pas céder à la panique est souvent le meilleur moyen de les faire paniquer. C'est précisément ce qu'a fait Greg Becker, ce jeudi 9 mars, lors d'une réunion sur Zoom avec ses principaux clients.
Quelques heures plus tôt, sa société venait de faire une annonce fracassante: la Silicon Valley Bank, abrégée «SVB», vient d'essuyer une perte de 1,8 milliard de dollars dans une tentative malhabile de consolider ses finances. Pour couvrir le déficit, elle doit vendre 2,25 milliards de dollars d'actions.
La nouvelle sème une vague d'inquiétude chez les clients. Faut-il rester? Partir? Retirer son argent et le placer ailleurs, quitte à essuyer quelques pertes au passage? Ou rester, au risque de tout perdre?
La mission de Greg Becker s’avère assez simple: convaincre les principaux investisseurs de sa société de ne pas quitter le navire. «Nous vous soutenons depuis longtemps - la dernière chose dont nous avons besoin est que vous paniquiez», assène le patron historique de la SVB.
Le banquier le sait, il risque gros. Ses clients, majoritairement des entreprises de la tech, sont soudés, concentrés sur un même territoire (la Silicon Valley). Ils partagent les mêmes modèles économiques et les mêmes canaux de communication. Si une entreprise retire son argent, les autres seront forcément tentées de suivre.
L'appel au calme de Greg Becker dure 10 minutes - et tombe dans l'oreille d'un sourd.
Le jour même, c’est un email de l’un des investisseurs les plus influents et respectés de la Silicon Valley qui va achever de provoquer l'effroi. Intitulé «Annonce urgente pour les clients SVB», le courriel presse la clientèle de retirer ses dépôts et de les placer ailleurs. L’«hystérie de masse» est lancée.
Dans un scénario façon krach boursier de 2008, les clients paniqués se ruent sur les filiales et les bancomats. Résultat de cette vague de retraits? 42 milliards. Autant dire que la banque est bien incapable de fournir une telle quantité de liquidités.
«SVB» est terrassée.
Peu avant 9 heures du matin, vendredi, la banque est finie. Son titre suspendu à la bourse de New York. L'entreprise saisie par les régulateurs.
L'un des plus grands prêteurs américains vient de déclarer faillite. Sa débâcle n'est pas sans réveiller les souvenirs de Lehman Brothers - avec des conséquences dramatiques aussi bien pour le secteur financier que l’économie mondiale tout entière.
Si la spirale infernale de la SVB s'est accélérée à une vitesse folle cette semaine, ses problèmes couvent depuis plus d'un an. Il semble loin le temps où la «championne des start-ups», faisait les beaux jours de la vallée dont elle a récupéré le nom.
Fondée en 1982, la banque, encore récemment méconnue du grand public, a flairé le bon filon: abriter les actifs des entreprises technologiques incomprises des banquiers traditionnels, qui fleurissent dans le nord de la Californie.
En se spécialisant dans le financement des géants de la fintech, la Silicon Valley Bank s’est hissée au 16e rang des banques américaines par la taille des actifs.
Mais si elle se présente comme la «seule banque dédiée au secteur de l'innovation dans le monde», la société va prendre quelques décisions résolument démodées.
Elle n'est pas une entreprise d'investissement comme les autres. Contrairement à la plupart de ses consoeurs californiennes, qui misent gros et risquent tout, cette société financière a préféré miser sur un credo prudent: «Lentement mais sûrement». Une grande partie des dépôts des clients sont immobilisés dans des dettes à long terme, comme des bons du Trésor et des obligations hypothécaires - gage de rendements modestes, mais réguliers.
Tant que l’époque est aux intérêts bas et aux politiques de soutien, tout va pour le mieux pour la plus «innovante» des banques. En 2020, elle surfe avec succès sur la pandémie, le télétravail et les fermetures. Les entreprises et les ménages sont plus dépendants que jamais de la technologie. Les investisseurs investissent à tour de bras et de millions dans les start-ups qui placent, à leur tour, leur argent à la banque.
La banque, bien obligée de composer avec ce rythme effréné, doit placer les capitaux de ses clients pour générer du rendement.
La période de faste s’achève en 2022, avec la décision de Washington et des banques centrales de remonter les taux dans le pays, pour lutter l’inflation. La valeur des investissements de la banque s'effondre.
Afin de continuer à assurer les besoins en liquidités de sa clientèle, SVB se résout à vendre une bonne partie de son portefeuille de titres. Une décision funeste.
Au milieu de cette débâcle de 67 heures, les dirigeants de la Silicon Valley Bank abandonnent rapidement l’idée de lever des fonds et de rafistoler le bilan. Au terme d'un week-end éprouvant, marqué par la chute d'autres banques, les autorités américaines choisissent d’assurer les arrières et de protéger les déposants. Dès le lendemain, lundi, les clients désemparés pourront avoir accès à leur argent.
Depuis, l'heure est à la quête; de nombreux citoyens et chefs d'entreprise doivent dénicher un nouvel endroit sûr pour stocker leur argent.
Suivra, bientôt, le temps de déterminer les responsabilités.
Selon les dernières révélations des médias américains, le patron historique, Greg Becker, a vendu pour 3,6 millions de dollars d’actions de la banque, la semaine dernière. Juste avant la vague de terreur.