Cinq types de chars différents sont rangés en ligne, leurs canons bien alignés les uns aux autres. Nous sommes au salon de l'armement Eurosatory, organisé tous les deux ans au nord de Paris. Ce rendez-vous de 2000 exposants du monde entier est un baromètre important du secteur de l'armement.
Une délégation asiatique est en train d'admirer le prototype vert foncé d'un Leopard 2A-RC 3.0. Juste à côté, un nouveau développement du Leclerc français, de couleur sable et adapté au désert. Tous deux appartiennent à KNDS, une entreprise d'armement franco-allemande. Cette société faîtière a développé un système de char de combat entièrement nouveau, baptisé MGCS, qui coûtera des milliards. Il s'agit de la fusion du Leopard et du Leclerc pour en faire le tank le plus performant au monde. L'horizon officiel est 2040. «Plutôt 2045», corrige un officier allemand.
En attendant, le Leopard 2 et le Leclerc sont encore produits séparément. Depuis la guerre en Ukraine, la demande est plus forte que jamais, explique Gabriel, un cadre de KNDS qui souhaite rester anonyme.
Le groupe allemand Rheinmetall présente à Paris son nouveau char de combat KF51. Comme le nouveau Leopard, il est dépourvu de tourelle. «Cela permet d'économiser du personnel et d'augmenter la sécurité pour les trois autres», explique un porte-parole de l'entreprise. Car le danger vient aujourd'hui d'en haut, par les drones.
KNDS présente au salon une nouvelle version de l'obusier Caesar, très apprécié par l'armée ukrainienne. Son capot et le toit de la cabine de conduite sont désormais blindés pour faire face aux attaques silencieuses et invisibles des drones. De plus, les nouveaux Caesar sont équipés de leurres gonflables pour déjouer les attaques venant du ciel.
L'obusier Caesar illustre deux autres caractéristiques de la nouvelle guerre basée sur l'artillerie: premièrement, la précision devient de plus en plus importante. Deuxièmement, tout doit se faire à la vitesse de l'éclair. «Une fois en position, un canon Caesar de 155 millimètres n'a besoin que de deux minutes pour effectuer douze tirs», explique Gabriel.
Qui dit artillerie, dit aussi munitions. «Avant le début de la guerre en Ukraine, nous produisions 70 000 obus par an», calcule un représentant de Rheinmetall. «Cette année, ce sera 700 000 projectiles, et en 2026, environ 1,1 million». Parmi eux, il y a aussi des produits inédits comme les munitions tournantes ou télécommandées. Les salves d'obus munies de ce que l'on appelle la couverture de trame sont dirigées contre les drones qui n'approchent pas directement de leur cible, se faufilant plutôt vers elle.
Les drones amènent également l'intelligence artificielle (IA) sur le champ de bataille. MBDA, la division missiles de l'avionneur civil Airbus, présente à Paris son système de défense contre les drones baptisé Sky Warden. Un peu à l'écart des regards, un technicien montre l'antenne de brouillage de la hauteur d'une maison, capable de repérer les drones à longue distance. Puis il sort un pistolet de brouillage: l'arme ressemble à un gros fusil jouet en plastique noir et est relativement lourde. Des systèmes d'intelligence artificielle lui fournissent les fréquences des drones qui s'approchent, ce qui permet d'interrompre leur guidage GPS dans les 400 derniers mètres avant la cible.
Deux militaires égyptiens de haut rang s'intéressent de près à un drone équipé d'un filet de camouflage capable de capturer un drone ennemi. A côté, un drone hit-to-kill, conçu pour abattre littéralement l'objet volant sans pilote de l'ennemi à la manière d'un kamikaze.
Loin d'être remarquée par les visiteurs du salon, une fine fusée blanche d'environ sept mètres de haut se tient dans l'ombre du stand MBDA. Personne ne se soucie de ce projectile discret, bien qu'il puisse un jour assurer la survie du continent européen. Il s'agit du premier prototype, encore très rudimentaire, d'un missile hypersonique – ou plutôt de la défense contre un tel missile en territoire ennemi.
Un technicien explique que les systèmes de défense américains actuels, comme le Patriot, peuvent intercepter des missiles volant à plus de 6000 km/h dans leur phase finale, plus lente. Mais ils sont inefficaces contre des vitesses comme Mach 10, que le DF-17 chinois est censé atteindre. De même contre le Zirkon russe, qui peut parcourir mille kilomètres à Mach 9, chargé d'ogives nucléaires.
Ce n'est pas une idée agréable. Et selon le technicien de MBDA, l'Aquila n'en est qu'au stade de l'étude. Il ne devrait être opérationnel qu'en 2035. L'Europe devra donc encore patienter une bonne dizaine d'années avant d'être à l'abri des missiles de Poutine.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci