Il y a cinq ans, la pandémie de Covid-19 a provoqué un crash mondial sur les marchés financiers. Le prix du pétrole a lui aussi chuté, tout comme le moral des consommateurs. Mais tout est rentré dans l'ordre en un temps record. Les gouvernements ont agi rapidement et ont ficelé des paquets d'aide qui ont empêché un glissement vers une récession ou même une dépression. Les économistes ont parlé d'une «reprise en V», les marchés financiers ayant rapidement retrouvé des niveaux proches de ceux d’avant la pandémie.
Lorsque Donald Trump a brandi son tableau des droits de douane le 2 avril, invoquant un «jour de libération pour l’Amérique», l'histoire s'est répétée. Les marchés financiers se sont à nouveau déchaînés et le moral des consommateurs s'est assombri. Mais cette fois-ci, les investisseurs ne se laissent pas démonter, estimant avoir retenu la leçon de la pandémie: le mot d'ordre est «Buy the dip», soit «acheter pendant le creux». Donc sauter sur l'occasion pour faire de bonnes affaires. Les pertes enregistrées sur les bourses des actions ont donc été en grande partie récupérées.
Une seconde reprise en V semble désormais presque certaine… ou peut-être pas. Les investisseurs professionnels restent prudents et mettent en garde contre un excès d'optimisme. C'est le cas d'Ives Bonzon, responsable des investissements à la Banque Bär. Dans une interview accordée au Tages-Anzeiger, il confie: «c’est le rallye boursier le plus surréaliste que j'ai connu en 36 ans de carrière».
Et il n'est pas le seul de cet avis. Dan Ivascyn, responsable des investissements chez Pimco, un géant des obligations, tient un discours similaire dans le Financial Times:
Dans sa chronique économique «Schumpeter», The Economist avertit également contre les parallèles avec la pandémie:
Même Jerome Powell, président de la banque centrale américaine, la Fed, se montre pessimiste. Parce qu'il craint une hausse de l'inflation en raison de la politique douanière de Trump, il ne baissera pas les taux directeurs jusqu'à nouvel ordre. Il se justifiait hier lors d'une conférence de presse:
Le président de la Fed s’est ainsi probablement à nouveau attiré les foudres du président américain. Les investisseurs, en revanche, ne sont pas impressionnés. Comme le secrétaire américain au Trésor Scott Bessent et He Lifeng, le vice-premier ministre chinois, se rencontrent ce week-end à Genève pour de premiers entretiens, ils misent sur une issue prochaine au conflit commercial opposant les deux superpuissances.
Mais les attentes des investisseurs reposent sur des bases fragiles. Jusqu’à présent, les deux parties se sont juste crêpé le chignon et n'ont même pas pu s’accorder sur l’origine de l’invitation à ces pourparlers. Une issue rapide au conflit semble donc peu probable. «Dans le bras de fer douanier avec la Chine, Trump s’est surestimé», estime également Ives Bonzon.
Les marchés financiers peuvent se redresser rapidement, l'économie réelle beaucoup moins. C'est pourtant là qu'une tempête se prépare, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. Nombre d'entre elles sont tributaires des importations chinoises.
Mais depuis le début de la guerre commerciale, ces importations n'arrivent plus à bon port – ou alors deviennent hors de prix. D’après les analyses de la banque Citigroup, près d’un tiers de porte-conteneurs en moins ont quitté la Chine à destination des Etats-Unis durant la seconde moitié du mois d’avril. Les PDG de Walmart, Homedepot et Target tirent déjà la sonnette d’alarme: de nombreux rayons risquent d’être bientôt vides.
Le ton devient presque apocalyptique du côté de Ryan Peterson, et sa voix a du poids. PDG de Flexport – une entreprise spécialisée dans la logistique du commerce chinois pour les PME –, il peut suivre les flux commerciaux avec précision grâce à une plateforme technologique de pointe.
Dans une interview accordée au Wall Street Journal, Ryan Petersen lance un avertissement sans détour:
Pendant ce temps, le président Trump tente de minimiser le danger. Il a déclaré à plusieurs reprises que les petites filles devraient peut-être se contenter de deux ou trois poupées à Noël prochain, et non de trente ou plus. Ces déclarations désinvoltes n'ont pas été très bien accueillies, d'autant plus que le danger réel pour les PME est considérable. Peterson parle de milliers d'entreprises américaines qui feront bientôt faillite et de millions d'Américains qui perdront leur emploi.
Même les multinationales commencent à montrer des signes de ralentissement. Ainsi Toyota, le plus grand constructeur automobile du monde, vient d'annoncer que ses bénéfices ont chuté de 1,3 milliard de dollars en l'espace de deux mois seulement.
De son côté, Trump n'a pas de souci à se faire. Ses affaires sont en plein essor, il est en passe de devenir le plus grand arnaqueur de l'histoire américaine. Grâce à son «memecoin» - une cryptomonnaie dont l’unique but semble être de lui rapporter des fonds en jouant sur son image - des centaines de millions de dollars affluent dans ses coffres privés.
Trump a jeté par-dessus bord toutes les limites de la décence. Depuis peu, il promet même d'inviter les 25 plus gros acheteurs de sa cryptomonnaie à dîner. Il atteint ainsi un nouveau sommet dans la corruption. Joel Khaliji, journaliste pour le magazine techWired , l'a formulé dans le New York Times comme suit:
Traduit de l'allemand par Anne Castella