Le dénommé «Liberation Day» du président américain Donald Trump est tout sauf une libération pour l'économie mondiale. Le président américain a érigé des barrières commerciales historiquement élevées, plus élevées selon certains critères que dans les années 1930, historiquement connues comme protectionnistes.
Les Etats-Unis vont désormais prélever 31% sur la plupart des importations en provenance de Suisse, et 20% pour l'Union européenne. Ce qui provoque déjà de grands mouvements sur les marchés financiers.
Selon les calculs de Bloomberg, le taux de taxation moyen que les Etats-Unis vont appliquer aux importations pourrait atteindre environ 23%, un niveau qui n'a pas été atteint depuis plus d'un siècle. Ces nouveaux droits de douane ont des répercussions sur la bourse, les prix de l'or et du pétrole, ou encore sur les taux d'intérêt.
A son ouverture jeudi, le Swiss-Market-Index (SMI) avait chuté de 1,45%, et a continué de baisser durant toute la matinée. Il avait déjà décliné les jours précédents. Parmi les titres touchés, c'est celui de Partners Group, qui avait reculé le plus avec une baisse de 5,3%. Le groupe de produits de luxe Richemont a également perdu près de 5%.
Parmi les autres grands perdants à l'ouverture de la bourse, on trouvait UBS, qui avait perdu 4,2% de sa valeur, et les titres de Sonova, qui avait baissé de plus de 4%. Novartis, elle, a profité du fait que l'industrie pharmaceutique devrait être en grande partie épargnée par les droits de douane. Ses titres ont d'abord progressé de 1,6%. Les titres de Swisscom et de Nestlé ont également commencé la journée en bourse de manière positive.
D'autres bourses européennes ont été plus fortement touchées par l'annonce des droits de douane du gouvernement américain. Alors que l'Union européenne est moins touchée que la Suisse, avec des droits de douane de 20%. L'indice allemand Dax avait perdu 2,3% à l'ouverture, l'indice français CAC 40 2,3%. L'indice phare de Londres, le FTSE 100, n'a en revanche chuté que de 1,1%. La Grande-Bretagne n'est touchée par les Etats-Unis que de droits de douane de 10%.
Au moment de l'annonce des droits de douane Les bourses américaines avaient déjà fermé. Après la clôture de la bourse, les grandes valeurs technologiques comme Alphabet, Meta ou Nvidia avaient enregistré de fortes pertes. Le fait que l'UE envisage une taxe numérique comme contre-mesure aux droits de douane américains pourrait jouer un rôle.
Economiste en chef de l'UBS, Daniel Kalt le reconnait:
Il a expliqué les signaux contradictoires données par les bourses par la «grande incertitude» qui continue de dominer les marchés. Cette incertitude repose sur deux estimations contradictoires. D'une part, selon Daniel Kalt, les investisseurs sont de plus en plus conscients que Donald Trump, avec sa politique, accepte aussi une récession américaine. D'autre part, l'espoir subsiste que ce tableau tarifaire sera différent dans trois à six mois. Autrement dit, que Trump corrigera d'ici là les différents taxes douanières à la baisse.
D'autres restent sceptiques. Il faut «s'arranger d'une manière ou d'une autre» avec les droits de douane, explique Santosh Brivio, économiste en chef à la Banque Migros:
La politique douanière agressive des Etats-Unis a de nouveau poussé le prix de l'or à battre un record durant la nuit. L'or est l'une des rares matières premières qui n'est actuellement pas touchée par les droits de douane. Dans la nuit de mercredi à jeudi, la cotation d'une once troy (environ 31,1 grammes) à la bourse de Londres a atteint un nouveau record de 3167,84 dollars, alors que le cours était légèrement inférieur la dernière fois. Le prix du métal précieux a donc déjà augmenté de 20% cette année, alors qu'il avait déjà augmenté de près de la moitié au cours des trois années précédentes.
Les cours de l'euro, le dollar et le franc ont déjà réagi aux propos du président américain. Et la tendance observée depuis le début de son mandat semble se poursuive, le dollar s'affaiblit. Depuis le début de l'année, la monnaie américaine a déjà perdu environ 4% par rapport au franc, et même plus de 5% par rapport à l'euro.
D'une manière générale, le dollar est encore beaucoup trop fort, explique Daniel Kalt. Actuellement, malgré les mesures douanières de Trump, 1 dollar coûte encore 87 centimes suisses, alors que sa «juste valeur» se situe autour de 80 centimes, souligne Daniel Kalt.
Néanmoins, la dévaluation du dollar après le coup de massue douanier a de quoi surprendre. Les droits de douane américains auraient théoriquement pu entraîner une réévaluation du dollar. A cause de cette politique douanière, les Etats-Unis devaient acheter moins de biens de la zone euro, l'offre de dollars devait se raréfier, et son cours devrait logiquement monter. Mais cet effet semble être masqué par la crainte d'une récession.
Partout dans le monde, entreprises et gestionnaires d'actifs craignent que Trump, avec ses droits de douane et d'autres mesures, n'entraîne son pays dans une récession. Ils veulent donc investir moins d'argent aux États-Unis, ce qui réduit la demande de dollars, et la monnaie finit par s'affaiblir. Les marchandises étrangères deviennent plus chères aux Etats-Unis, et les importations diminuent. Au final, les Etats-Unis tombent en récession, et ne sont pas «prospères» comme le promettait Donald Trump.
Du point de vue suisse, la relation entre le franc et l'euro est particulièrement importante. Jusqu'à présent, aucune tendance à l'appréciation du franc n'a été observée, il n'est manifestement pas recherché comme «valeur refuge».
Cela pourrait s'expliquer par le fait que, dans la guerre commerciale de Trump, la Suisse ne fait pas figure de havre de paix. Son économie semble être aussi fortement touchée par les droits de douane de Trump que celle de l'Union européenne. De plus, en tant que petit pays, la Suisse peut moins bien se défendre politiquement que l'UE, qui possède le plus grand marché intérieur du monde.
Si les Etats-Unis sont effectivement entraînés dans une récession par le chaos douanier de Trump, l'Europe pourrait elle aussi faire face à une récession. La Suisse s'en retrouverait alors également touchée. Tel est le scénario négatif envisagé par la Banque nationale suisse (BNS).
En cas de récession, le chômage augmente généralement, et il faut commencer à craindre pour son emploi. En revanche, le pétrole, et donc l'essence, devient généralement moins cher. Ce qui pourrait arriver à tout moment, et que la BNS craint, c'est le fait que le franc redevienne une valeur refuge, qu'il se renchérisse par rapport à l'euro, et que les marchandises étrangères deviennent moins chères.
L'inflation serait encore plus faible, comme l'a déclaré le président de la BNS Martin Schlegel lors de la dernière décision sur les taux d'intérêt. En mars, l'inflation annuelle n'a été que de 0,3%, comme en février. Martin Schlegel craignait que l'inflation ne devienne nettement négative, si une récession éclatait aux Etats-Unis ou dans la zone euro. La BNS devrait alors baisser les taux d'intérêt et éventuellement décider à nouveau de taux d'intérêt négatifs, car son taux directeur se situe aujourd'hui déjà à un niveau faible de 0,25%. Comme l'a dit Martin Schlegel:
Le paquet douanier du gouvernement américain assombrit les perspectives conjoncturelles. Et cela se répercute ensuite sur les prix du pétrole. Car si la machine économique péclote, la demande en énergie diminue et les prix du pétrole baissent. Un baril (159 litres) de Brent de la mer du Nord pour livraison en mai coûtait 73,11 dollars. La veille, celui-ci s'élevait à 1,84 dollar de plus. Le prix du baril de WTI américain a, lui, baissé de 1,87 dollar pour atteindre 69,84 dollars.
Comme les économistes le préviennent depuis des semaines, en raison des droits de douane élevés à l'importation, ce sont surtout les prix aux Etats-Unis qui devraient augmenter. Une hausse de l'inflation couplée à un ralentissement de la croissance économique devrait conduire à ce que l'on nomme une «stagflation». Un mot que les marchés boursiers n'aiment pas du tout entendre, comme le souligne Daniel Kalt. L'économiste en chef de l'UBS fait ici référence à la phase de stagflation de 2022:
(avec du matériel de la dpa)
Traduit de l'allemand par Joel Espi