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L'ex-patron des CFF Benedikt Weibel démonte le plan rail suisse

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Cette «orgie d’investissements» énerve l’ex-patron des CFF

Les prévisions de coûts sont continuellement revues à la hausse, le siège des CFF à Berne. Notre auteur invité, Benedikt Weibel, a été directeur général des CFF de 1993 à 2006. Il a également présidé  ...
Benedikt Weibel, ex-patron des CFF juge négativement la stratégie de l'ex-Régie fédérale, ici le siège des CFF à Berne.Image: watson
Les coûts du développement ferroviaire explosent à nouveau – et cette fois, on parle de milliards. L’ancien patron des CFF, Benedikt Weibel, dénonce, dans cette tribune, une planification catastrophique qui va à l'encontre des objectifs climatiques, financiers, et du bon sens.
30.05.2025, 20:4930.05.2025, 20:49
Benedikt Weibel / ch media
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C’était il y a un peu plus d’un an à peine, mais les chiffres communiqués sont déjà obsolètes. En mars 2024, l'Office fédéral des transports (OFT) annonce un investissement de 1,7 milliard de francs pour le nœud ferroviaire de Bâle, dans le cadre du projet de développement de l’offre à l’horizon 2035. A long terme, la région aura besoin d’une liaison souterraine baptisée «cœur de réseau» – un chantier évalué à 9 milliards de francs. A cela s’ajoutent les coûts des lignes d’accès.

Puis, en novembre 2024, le Département reconnaît que les 16 milliards prévus pour l’ensemble du programme ne suffiront pas. Selon les calculs des experts de l’OFT et des CFF, jusqu’à 14 milliards supplémentaires seront nécessaires.

Et ce n’est pas fini. Le 23 avril 2025, les CFF annoncent que le «cœur de réseau» coûtera en réalité près de 14 milliards de francs à lui tout seul – sans même inclure les lignes d’accès.

Gouffre budgétaire et silence gêné

On reste pantois devant ces sommes astronomiques, communiquées sur le ton désinvolte de l’évidence. De quoi s’interroger sur le sérieux des responsables de projet, qui revoient à la hausse leurs estimations de 55% et 88% en quelques mois à peine.

On s’étonne également du flegme avec lequel sont présentés les maigres bénéfices attendus de ces investissements: selon les promoteurs, les 30 milliards du concept 2035 devraient permettre de densifier l’horaire sur 60 lignes et d’augmenter le nombre de places assises de 20%.

Quant aux 15,1 milliards dédiés à la région bâloise, ils devraient permettre de créer de nouvelles liaisons et des connexions transfrontalières – à condition que les lignes d’accès soient elles aussi financées. Aucun détail supplémentaire n’est donné sur ces offres futures. Et les répercussions financières à long terme ne sont pas abordées.

Mais le plus étonnant reste l’absence de réaction. Pas de tollé, pas d’indignation, pas de débat parlementaire. Rien. Alors que cette fuite en avant piétine toutes les règles de bonne gestion des deniers publics. Alors que ces montants abyssaux promettent d’alourdir massivement la dette des CFF.

Et les autres priorités du pays?

Comment justifier une telle orgie d’investissements dans le contexte actuel? La Suisse fait face à des défis majeurs: prévoyance vieillesse, santé, sécurité. Les militaires réclament à eux seuls 100 milliards de francs pour restaurer la capacité de défense du pays. Jamais l’exigence de se concentrer sur l’essentiel n’a été aussi cruciale.

Cette logique budgétaire est d’autant plus incompréhensible qu’elle va à l’encontre des engagements climatiques. Selon la loi sur le climat et l'innovation, le secteur des transports doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 58% d’ici 2040 (par rapport à 1990), puis de 100% d’ici 2050.

Or, entre 1990 et 2023, les émissions du transport n’ont baissé que de 7,3% – le plus mauvais score de tous les secteurs. Pire: entre 2022 et 2023, elles ont même augmenté. Le transport représente aujourd’hui 33,6% des émissions totales du pays. En 1990, c’était 27%.

Pour espérer atteindre les objectifs fixés, le rail doit prendre une part bien plus importante dans le transport global – et rapidement. Mais le tsunami de chantiers prévu risque précisément d’entraver cette transition.

Réseau saturé de chantiers

Et quand les voies sont envahies de travaux, l’horaire ne s’améliore pas – il empire. C’est déjà le cas aujourd’hui. Exemple: «L’infrastructure ferroviaire à l’ouest de Berne sera renforcée pour permettre plus de trains. Les travaux dureront plusieurs années. Dès avril 2025, la ligne S51 sera suspendue pour plusieurs années. Les gares de Brünnen Westside, Bümpliz Nord et Stöckacker seront moins bien desservies». Ce genre d’annonce se multiplie.

Et pendant ce temps, aucun projet n’explore sérieusement les atouts de la numérisation, alors que la technologie pourrait révolutionner le rail. Quel meilleur candidat pour l’intelligence artificielle (IA) qu’un système de transport guidé sur des rails? La digitalisation transformera la gestion du réseau: signaux et câbles disparaîtront, les postes d’aiguillage seront remplacés par quelques centres de données, et la régulation des trains passera à l’automatisation.

Grâce à l’IA, il serait déjà possible, à moyen terme, d’augmenter significativement la capacité du réseau existant – sans une seule pelleteuse. Mais aucun projet en ce sens n’émerge au milieu de cette avalanche de béton.

Il est grand temps que la politique ferroviaire s'adapte à son époque.

Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder

Voici comment les voleurs des bornes CFF opèrent
Video: watson
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