Transporter des marchandises par rail n’est plus rentable, du moins pas en Suisse, et surtout pas quand les clients ne remplissent pas un train entier. C’est le constat qu'on tire des chiffres de CFF Cargo. L’an dernier, la filiale fret de la compagnie ferroviaire a enregistré une perte de 76 millions de francs.
Sa branche internationale, qui opère sur l’axe nord-sud européen, est restée bénéficiaire, tout comme le segment des trains entiers à l’intérieur de la Suisse. Ce sont deux autres domaines qui préoccupent le directeur de CFF Cargo, Alexander Muhm:
Le volume du transport combiné est modeste, et sa rentabilité catastrophique. En 2023, ce segment a généré un chiffre d’affaires de 18 millions de francs, pour une perte de 12 millions. Alexander Muhm prend donc des mesures. La quasi-totalité des lignes seront supprimées, tout comme huit des dix terminaux actuels: ceux de Renens (VD), St-Triphon (VD), Oensingen (SO), Bâle, Gossau (SG), Widnau (SG), Cadenazzo (TI) et Lugano (TI). Ceux de Dietikon (ZH) et Stabio (TI) seront maintenus.
A l’avenir, seuls deux trains de marchandises circuleront quotidiennement dans chaque sens entre ces deux terminaux. Objectif: réduire les coûts. Si ce modèle de navette fonctionne sur cet axe à forte demande, il pourrait être étendu à l’axe est-ouest.
Mais pour cela, il faudrait de nouveaux terminaux, ou la réactivation de sites existants à Genève, Renens, Gossau (SG) ou dans la région soleuroise du Gäu. Il manquerait aussi des sillons ferroviaires. Des extensions de l’infrastructure sont nécessaires, et ne seraient vraisemblablement prêtes qu’à l’horizon 2035.
Mais si cet essai échoue, le transport combiné pourrait être totalement abandonné. C’est ce qu’a déclaré Alexander Muhm lundi lors d’un point presse:
Sur le plan légal, les CFF sont chargés d’encourager le transfert modal dans le transit alpin. Ce qu’ils réussissent plutôt bien: 70% des marchandises qui traversent la Suisse le font par train. En revanche, en trafic intérieur, aucun objectif de transfert modal n’a été fixé. Le marché est libéralisé, et la route reste bien souvent l’option la moins chère pour les clients.
La nouvelle stratégie du transport combiné se traduira par la suppression de 65 postes. Alexander Muhm précise que ce plan serait mis en œuvre principalement via les départs naturels, les retraites et les mobilités internes au sein des CFF. Le Tessin sera particulièrement touché, avec deux tiers des emplois supprimés, le reste se répartissant en Suisse alémanique.
La réduction du transport combiné entraînera en moyenne 70 trajets de camion supplémentaires par jour, soit environ 25 000 par an. Cela peut sembler beaucoup, mais c’est peu comparé aux volumes transportés dans le segment des wagons isolés.
Contrairement au transport combiné, ce dernier n’a pas besoin d’être rentable. Il doit simplement couvrir ses coûts, selon les directives du Conseil fédéral. De plus, la Confédération met la main à la poche: elle prévoit de soutenir le transport par wagons isolés pendant une phase de transition de huit ans, avec 260 millions de francs pour les quatre premières années. Elle investira aussi 180 millions pour financer l’introduction d’attelages automatiques numériques, afin d'améliorer la productivité.
Les CFF travaillent par ailleurs à un nouveau processus de production censé générer 60 millions d’économies par an. Il devrait être présenté dans les prochains mois et mis en œuvre à partir de l'horaire 2027.
Mais ce nouveau processus pourrait aussi entraîner une réduction du nombre de points de desserte – c’est-à-dire les embranchements ferroviaires desservis chez les clients –, avec à la clé d’autres suppressions de postes. Les prix vont également augmenter de 20% d’ici à 2033, selon Alexander Muhm.
Reste à savoir si les clients du segment wagons isolés joueront le jeu. Le plus important d’entre eux est Migros. Lors du congrès ferroviaire à Bâle vendredi dernier, le directeur des opérations du groupe, Rainer Baumann, a averti que si les prix augmentaient de plus de 10%, Migros transférerait à nouveau ses transports sur la route.
Les clients majeurs sont cruciaux pour ce segment: les quinze plus gros représentent 70% du chiffre d’affaires. Alexander Muhm reste confiant:
Un élément pourrait jouer en faveur de CFF Cargo: la Confédération prévoit un «bonus de chargement» illimité dans le temps, destiné à amortir la hausse des prix pour les entreprises qui utilisent le transport par wagons isolés.
Mais si malgré tout cela, le modèle ne fonctionne pas, Alexander Muhm n’exclut pas de mettre fin à ce segment. Dans ce cas, des centaines de milliers de camions supplémentaires pourraient parcourir les routes suisses chaque année.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder