Poutine mobilise: «Les Russes rappelés seront des soldats bien formés»
Face à la contre-offensive ukrainienne qui fait trembler Moscou, Vladimir Poutine a sorti les gros moyens. Il a annoncé que des référendums populaires seraient tenus dans les régions de Donetsk, Lougansk, Kherson, mais aussi Zaporijia.
En même temps, il a déclaré une «mobilisation partielle» de la population russe. Le ministre des Armées russes Sergueï Choïgou a annoncé que la Russie allait déployer 300 000 réservistes.
«Poutine devrait utiliser une première vague de personnes mobilisées pour venir combler les pertes de son armée», analyse Julien Grand, rédacteur en chef adjoint à la Revue militaire suisse. «Avec le chiffre annoncé, il fait doubler le nombre de troupes pour venir renforcer celle-ci.»
Retour sur les chiffres
Au fait, quel est le potentiel de mobilisation de l'armée russe? Moscou va-t-elle s'arrêter après avoir fait appel à ces 300 000 hommes ou compte-t-elle continuer à mobiliser «partiellement» dans le futur si les résultats de l'armée russe en Ukraine ne portent pas leurs fruits?
La Russie dispose d'une armée de conscription et les jeunes de 18 à 27 ans doivent faire (en théorie du moins, comme en Suisse) leur service militaire, qui dure une année. Puis les soldats sont gardés comme réservistes durant quelques années. C'est dans ce vivier que Poutine va aller puiser en premier lieu.
Reprenons:
- La Russie a engagé, en Ukraine, son armée professionnelle ainsi qu'une partie des conscrits russes (les citoyens astreints au service militaire obligatoire). Nombre estimé: entre 150 000 et 180 000 hommes, selon Julien Grand.
- Le ministre de la Défense russe a annoncé la mobilisation de 300 000 soldats réservistes.
- Selon les chiffres de l'Institute for the study of war (ISW), l'armée russe compte une réserve active (les citoyens ayant terminé leur service militaire obligatoire, mais encore soumis à des obligations) de deux millions d'hommes.
- Toujours selon l'ISW, tous les citoyens masculins âgés de moins de 45 ans et les officiers réservistes de moins de 55 ans peuvent être mobilisés. En cas d'engagement total au sein de la population, cela représente au moins 25,2 millions d'hommes, selon les chiffres de Statista.
De la mobilisation «partielle» à «totale»?
La Russie compte-t-elle faire appel à tant d'hommes? Même si elle ne compte mobiliser «que» sa réserve, entre 300 000 hommes et deux millions, il y a un fossé. Pour Julien Grand, la différence entre une mobilisation partielle et totale est aussi à aller chercher «dans le domaine du champ lexical».
«Si on envoie de multiples vagues de mobilisation à 300 000, puis un demi-million, puis un autre demi-million, etc, on atteindra les deux millions d'hommes de la réserve», analyse Julien Grand.
Et cela ne concerne que le scénario où Moscou ne mobilise pas le reste de sa population... comme le fait Kiev. Car il s'agit de ne pas oublier que si la Russie piétine en Ukraine, elle le fait avec une force relativement modeste.
Les forces armées ukrainiennes, en face, sont au moins un million et ont déjà fait appel à la mobilisation des hommes âgés entre 18 et 60 ans, avec de nombreuses femmes combattantes.
On peut donc se demander si la situation ne pourrait pas se retourner si Poutine décide, à terme, de lancer des millions de soldats russes mobilisés sur le territoire ukrainien.
Décision réactive ou proactive?
Pour Julien Grand, la question se pose aussi de savoir dans quel contexte Vladimir Poutine a décidé de faire appel à la mobilisation. Il présente deux hypothèses:
- Le front ukrainien est sous contrôle, mais les forces russes sont épuisées, et le chef du Kremlin prépare une autre offensive de masse au printemps prochain. Il aurait donc le temps de remettre à niveau ses réservistes durant l'hiver pour les envoyer se battre dans les meilleures conditions en début d'année prochaine.
- L'autre scénario: Poutine est en difficulté en Ukraine et son front est en train de s'effondrer. Il doit vite retrouver des hommes en état de se battre pour ne pas perdre la guerre.
Un message politique
L'appel à la mobilisation, même partielle, permet aussi de faire passer un message politique, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ses frontières.
A l'intérieur du pays, le message est tout autre, mais également révélateur:
Julien Grand compare le conflit actuel à une guerre coloniale ou d'expédition: jusqu'à présent, la population n'avait pas besoin d'y prendre activement part. Avec le mot «mobilisation» prononcé, Poutine prépare le terrain psychologique.
La population s'était habituée à voir les guerres dans lesquelles la Russie était impliquée être menées par son armée professionnelle ou des mercenaires, comme en Syrie. Pour le quidam moyen de Moscou, même la guerre en Ukraine pouvait paraître éloignée et ne pas le concerner. Mais désormais:
Selon Julien Grand, les récentes annonces de référendum d'annexion n'y sont pas étrangères et font partie de ce coup de force psychologique:
Au front... avec quelles armes?
Mobiliser des hommes est une chose, mais encore faudra-t-il leur donner de quoi se battre.
On se souvient des témoignages terribles de Stalingrad, où les Russes disposaient de plus de soldats que de matériel et partaient se battre avec un fusil pour deux hommes.
Pour y pallier, la Russie a déjà commencé à chercher (et trouver) de nouveaux partenaires. Elle fait usage, depuis peu, de drones iraniens et «pourrait parfaitement aller se fournir en chars du côté de la Chine», selon Julien Grand.
Quid de la Corée du Nord, auprès de laquelle on a annoncé récemment que la Russie allait «faire ses courses». Julien Grand est sceptique: «Vu le retard technologique de la Corée du Nord, elle est certainement tout en bas de la liste. Cependant, elle pourrait être utile pour fournir des munitions et des armes légères pour l'infanterie».
Comprendre: mettre quelques Kalachnikovs en plus dans les mains des Russes nouvellement mobilisés.
