Les minces espoirs de paix ou au moins de cessez-le-feu en Ukraine ont de nouveau été douchés après les événements infructueux de ces derniers jours. Le chercheur autrichien en stratégie Gustav Gressel évoque ce qui pourrait désormais se passer.
Après l'appel stérile entre Trump et Poutine, Washington laisse entrevoir la possibilité d'un retrait complet des Etats-Unis. Les Européens sont-ils suffisamment préparés pour pouvoir compenser une éventuelle défection?
Gustav Gressel: Non, les Européens ne sont pas du tout prêts. Déjà en 2022, ils n'étaient pas préparés à soutenir et à tenir une guerre qui se prolonge. Et ils n'ont pas non plus vu arriver Donald Trump. Mais on ne sait évidemment pas encore si les Américains se retireront réellement.
Si les Européens et l'Ukraine avaient encore la possibilité d'acheter aux Etats-Unis du matériel de guerre dont ils ont un besoin urgent, comme des missiles antiaériens, le retrait serait plus facile à gérer que si les Américains interdisaient toute livraison. Sur ce point, Trump lui-même n'a apparemment pas encore défini sa ligne.
Percevez-vous dans l'action américaine une sorte de stratégie ou de démarche cohérente?
Donald Trump fonctionne comme ça: il s'aligne sur le dernier dirigeant avec qui il parle. Donc, si c'est Poutine, il passe complètement du côté de la Russie. Si c'est Emmanuel Macron ou Keir Starmer, il change de cap. Mais cela ne dure que le temps qui s'intercale entre ses discussions dans chaque camp adverse.
L'ensemble du processus de paix semble de nouveau être au point mort. Vous partagez cette analyse?
Oui. Nous sommes très loin de la paix.
Ce moment n'est pas encore arrivé, et il semble de moins en moins probable, car les Etats-Unis représentent désormais un grand facteur d'incertitude.
Dans ce contexte, on entend souvent dire que les sanctions occidentales ne servent à rien et qu'elles n'exercent par conséquent aucune pression à négocier sur le président russe.
Les sanctions décidées jusqu'à présent sont assez efficaces dans leur globalité. Mais le problème, c'est qu'elles ont été introduites progressivement. Les dirigeants de Moscou n'ont ainsi jamais eu à se confronter crûment à la question des sanctions.
Ou n'a-t-on tout simplement pas utilisé les bonnes approches jusqu'à présent? Faut-il un grand sommet avec la Russie autour de la table?
Tant que Poutine pourra contrôler la guerre sur le plan militaire, il ne participera pas de manière substantielle aux négociations. Il trouvera toujours des excuses pour dire que quelque chose ne lui convient pas ou qu'il veut une autre solution.
Les négociations ont-elles encore un sens dans la situation actuelle?
Zelensky et les Européens ont essayé de faire comprendre à Trump que le blocage actuel ne vient pas de l'Ukraine. Le problème, c'est que cela n'entre pas dans le cerveau du président américain.
Les premières grandes offensives russes de l'été se profilent à l'horizon. Comment évaluez-vous la situation militaire actuelle?
Les Russes étaient déjà à l'offensive depuis le début, mais des unités et des équipements fraîchement réapprovisionnés arrivent maintenant sur le front. La lutte défensive devient donc plus difficile pour l'Ukraine. Les unités à bout de souffle qu'on poussait au front contre les Russes il y a encore deux ou trois mois étaient en grande partie à pied.
Constatez-vous un changement dans la tactique russe?
En principe, peu de choses ont changé en ce qui concerne sa vitesse, son intensité et sa portée. Il s'agit toujours d'une offensive roulante et écrasante, composée de nombreuses petites attaques en cascades qui démolissent le front.
Cela ressemble à un jeu de temporisation.
Exactement, c'est une guerre d'usure. Vladimir Poutine escompte qu'avec le temps, l'ennemi ne pourra plus remplacer ses pertes, que l'armée ukrainienne s'abîmera davantage avec les mois successifs que l'armée russe et qu'à un moment donné:
Parallèlement à ce conflit-là, la situation dans la mer Baltique se détériore. L'Europe est-elle directement menacée?
Les Russes préparent leurs infrastructures dans le district militaire de Leningrad et continuent à y développer leurs forces. L'issue de la guerre en Ukraine déterminera le temps qu'il leur faudra pour réorganiser leurs forces. Ils testent en ce moment dans la mer Baltique le degré de cohésion de l'Otan et des Européens entre eux.
Le terme de guerre hybride revient très souvent.
Le problème, c'est que le mot «hybride» est devenu une formule toute faite pour tout ce qui se déroule en dessous du seuil d'une véritable guerre. En soi, cela signifierait que quelqu'un se fait passer pour un acteur non étatique, mais travaille dans l'intérêt de l'Etat. Si la Russie envoie des avions de combat, arrête des pétroliers ou envoie des commandos frontaliers du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB), ce n'est ni hybride ni camouflé.
Beaucoup argumentent que, si Poutine ne parvient même pas à s'occuper de l'Ukraine, il ne pourra jamais menacer l'Europe.
Le Kremlin a actuellement 650 000 hommes en Ukraine et il a participé à la révolution des drones sur les champs de bataille au cours des trois dernières années. Ce n'est pas le cas des Européens. À l'issue de ce conflit, la Russie aurait un avantage considérable dans la mobilisation de ses troupes.
Quel est, selon vous, l'objectif ultime de Vladimir Poutine?
La Russie veut être l'une des premières puissances mondiales et la puissance militaire qui domine le continent européen.
Cela implique de restaurer l'ancien territoire, d'écraser et de détruire l'Europe démocratique qui a décomposé l'ancien empire. En conséquence, le but est de créer un ordre européen qui convienne à Moscou, qui accorde des prérogatives à la Russie et transforme le reste du continent en de dociles vassaux:
(Adaptation française: Valentine Zenker)