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Cet expert explique comment Poutine veut «détruire l'Europe»

Cet expert explique comment Poutine veut «détruire l'Europe démocratique». Poutine veut se venger du démantèlement de l'Union Soviétique et mener une guerre d'usure à l'Ukraine.
Selon le politologue et expert militaire autrichien Gustav Gressel, Poutine veut se venger du démantèlement de l'Union soviétique et mener une guerre d'usure à l'Ukraine.Image: keystone, montage watson
Analyse

Cet expert explique comment Poutine veut «détruire l'Europe»

Le politologue et expert militaire autrichien Gustav Gressel explique pourquoi la paix est loin d'être acquise en Ukraine. Il dit aussi comment la Russie teste l'Europe, et pourquoi Trump joue la montre.
25.05.2025, 06:5025.05.2025, 06:50
Stefan Schocher, Vienne / ch media
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Les minces espoirs de paix ou au moins de cessez-le-feu en Ukraine ont de nouveau été douchés après les événements infructueux de ces derniers jours. Le chercheur autrichien en stratégie Gustav Gressel évoque ce qui pourrait désormais se passer.

Le retrait possible des Etats-Unis, un problème

Après l'appel stérile entre Trump et Poutine, Washington laisse entrevoir la possibilité d'un retrait complet des Etats-Unis. Les Européens sont-ils suffisamment préparés pour pouvoir compenser une éventuelle défection?
Gustav Gressel: Non, les Européens ne sont pas du tout prêts. Déjà en 2022, ils n'étaient pas préparés à soutenir et à tenir une guerre qui se prolonge. Et ils n'ont pas non plus vu arriver Donald Trump. Mais on ne sait évidemment pas encore si les Américains se retireront réellement.

Originaire de Salzbourg, Gustav Gressel, 46 ans, est titulaire d'un doctorat en études stratégiques et est un expert sur l'Ukraine très demandé par de nombreux médias. Il a en outre suivi la ...
Originaire de Salzbourg en Autriche, Gustav Gressel, 46 ans, est titulaire d'un doctorat en études stratégiques et est un expert sur l'Ukraine très demandé par de nombreux médias. Il a en outre suivi la formation d'officier de l'armée autrichienne à l'Académie militaire.Image: Ecfr

Si les Européens et l'Ukraine avaient encore la possibilité d'acheter aux Etats-Unis du matériel de guerre dont ils ont un besoin urgent, comme des missiles antiaériens, le retrait serait plus facile à gérer que si les Américains interdisaient toute livraison. Sur ce point, Trump lui-même n'a apparemment pas encore défini sa ligne.

Percevez-vous dans l'action américaine une sorte de stratégie ou de démarche cohérente?
Donald Trump fonctionne comme ça: il s'aligne sur le dernier dirigeant avec qui il parle. Donc, si c'est Poutine, il passe complètement du côté de la Russie. Si c'est Emmanuel Macron ou Keir Starmer, il change de cap. Mais cela ne dure que le temps qui s'intercale entre ses discussions dans chaque camp adverse.

L'ensemble du processus de paix semble de nouveau être au point mort. Vous partagez cette analyse?
Oui. Nous sommes très loin de la paix.

«Il n'y aura de négociations sérieuses qu'au moment où Poutine ne verra plus aucune possibilité de gagner et de soumettre militairement l'Ukraine»

Ce moment n'est pas encore arrivé, et il semble de moins en moins probable, car les Etats-Unis représentent désormais un grand facteur d'incertitude.

«En d'autres termes, la ligne américaine actuelle prolonge le conflit. Exactement l'inverse d'un chemin vers la paix»
Des objectifs impériaux: Vladimir Poutine assiste au défilé de mai de ses troupes sur la Place Rouge à Moscou.
Vladimir Poutine assiste au traditionnel défilé militaire de ses troupes le 9 mai sur la Place Rouge. Cet événement est nommé le «Jour de la victoire» en commémoration de la capitulation nazie. Le président russe a pour habitude de se servir de l'histoire à des fins de propagande.Image: Maksim Blinov, Pool Sputnik

Dans ce contexte, on entend souvent dire que les sanctions occidentales ne servent à rien et qu'elles n'exercent par conséquent aucune pression à négocier sur le président russe.
Les sanctions décidées jusqu'à présent sont assez efficaces dans leur globalité. Mais le problème, c'est qu'elles ont été introduites progressivement. Les dirigeants de Moscou n'ont ainsi jamais eu à se confronter crûment à la question des sanctions.

Ou n'a-t-on tout simplement pas utilisé les bonnes approches jusqu'à présent? Faut-il un grand sommet avec la Russie autour de la table?
Tant que Poutine pourra contrôler la guerre sur le plan militaire, il ne participera pas de manière substantielle aux négociations. Il trouvera toujours des excuses pour dire que quelque chose ne lui convient pas ou qu'il veut une autre solution.

Les négociations ont-elles encore un sens dans la situation actuelle?
Zelensky et les Européens ont essayé de faire comprendre à Trump que le blocage actuel ne vient pas de l'Ukraine. Le problème, c'est que cela n'entre pas dans le cerveau du président américain.

«On peut donc se demander quel est le sens de toute cette comédie»

Les premières grandes offensives russes de l'été se profilent à l'horizon. Comment évaluez-vous la situation militaire actuelle?
Les Russes étaient déjà à l'offensive depuis le début, mais des unités et des équipements fraîchement réapprovisionnés arrivent maintenant sur le front. La lutte défensive devient donc plus difficile pour l'Ukraine. Les unités à bout de souffle qu'on poussait au front contre les Russes il y a encore deux ou trois mois étaient en grande partie à pied.

Constatez-vous un changement dans la tactique russe?
En principe, peu de choses ont changé en ce qui concerne sa vitesse, son intensité et sa portée. Il s'agit toujours d'une offensive roulante et écrasante, composée de nombreuses petites attaques en cascades qui démolissent le front.

Cela ressemble à un jeu de temporisation.
Exactement, c'est une guerre d'usure. Vladimir Poutine escompte qu'avec le temps, l'ennemi ne pourra plus remplacer ses pertes, que l'armée ukrainienne s'abîmera davantage avec les mois successifs que l'armée russe et qu'à un moment donné:

«l'Ukraine atteindra un point où elle ne pourra plus opposer de résistance organisée et cohérente»

Parallèlement à ce conflit-là, la situation dans la mer Baltique se détériore. L'Europe est-elle directement menacée?

«L'Europe est pour ainsi dire la seconde cible dans la ligne de mire de Poutine»

Les Russes préparent leurs infrastructures dans le district militaire de Leningrad et continuent à y développer leurs forces. L'issue de la guerre en Ukraine déterminera le temps qu'il leur faudra pour réorganiser leurs forces. Ils testent en ce moment dans la mer Baltique le degré de cohésion de l'Otan et des Européens entre eux.

Le terme de guerre hybride revient très souvent.
Le problème, c'est que le mot «hybride» est devenu une formule toute faite pour tout ce qui se déroule en dessous du seuil d'une véritable guerre. En soi, cela signifierait que quelqu'un se fait passer pour un acteur non étatique, mais travaille dans l'intérêt de l'Etat. Si la Russie envoie des avions de combat, arrête des pétroliers ou envoie des commandos frontaliers du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB), ce n'est ni hybride ni camouflé.

Beaucoup argumentent que, si Poutine ne parvient même pas à s'occuper de l'Ukraine, il ne pourra jamais menacer l'Europe.
Le Kremlin a actuellement 650 000 hommes en Ukraine et il a participé à la révolution des drones sur les champs de bataille au cours des trois dernières années. Ce n'est pas le cas des Européens. À l'issue de ce conflit, la Russie aurait un avantage considérable dans la mobilisation de ses troupes.

«Les Européens ne peuvent même plus s'assurer du soutien des Etats-Unis. C'est ce qui rend la situation si dangereuse»

Quel est, selon vous, l'objectif ultime de Vladimir Poutine?
La Russie veut être l'une des premières puissances mondiales et la puissance militaire qui domine le continent européen.

«La Russie et son dirigeant veulent se venger du démantèlement de l'Union soviétique»

Cela implique de restaurer l'ancien territoire, d'écraser et de détruire l'Europe démocratique qui a décomposé l'ancien empire. En conséquence, le but est de créer un ordre européen qui convienne à Moscou, qui accorde des prérogatives à la Russie et transforme le reste du continent en de dociles vassaux:

«Un ordre dans lequel l'Etat de droit et la démocratie ne sont plus à l'ordre du jour»

(Adaptation française: Valentine Zenker)

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Un bâtiment en flammes après un bombardement russe, Kiev.
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Poutine, Trump et Kim Jong-un font la fête
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Poutine veut profiter de cette brèche dans la défense de l'Otan
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Les pays baltes tentent de mener à bien un projet d'infrastructure ambitieux: la ligne ferroviaire Rail Baltica, en construction depuis 2014, doit relier la capitale polonaise, Varsovie à celle de l'Estonie, Tallinn. Quelque 1060 kilomètres les séparent. A cela s'ajoute le tunnel Helsinki-Tallinn, en discussion depuis des années. Il permettrait aux convois de marchandises de rejoindre la Finlande en passant sous la mer Baltique.

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