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Contre-offensive: ce que l'Ukraine doit changer pour l'emporter

Certains experts militaires occidentaux parlent déjà d'un échec de la contre-offensive ukrainienne.
Certains experts militaires occidentaux parlent déjà d'un échec de la contre-offensive ukrainienne.Keystone
Analyse

Ce que l'Ukraine doit changer pour l'emporter

La contre-offensive ukrainienne montre les faiblesses de l'armée de Kiev. Un groupe d'experts, qui s'est rendu sur place, révèle la gravité de celles-ci.
23.07.2023, 16:3823.07.2023, 17:19
Un article de
t-online
Christoph Cöln
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La contre-offensive ukrainienne a maintenant commencé depuis plus d'un mois. Et, jusqu'à présent, les succès sont modestes: les soldats de Kiev ont pu reconquérir environ 253 kilomètres carrés de territoire. C'est presque autant que ce que l'armée de Poutine a pu conquérir au cours des six derniers mois en Ukraine.

Ce qui semble beaucoup paraît toutefois décevant si l'on compare les dernières reconquêtes ukrainiennes à la contre-offensive surprise de septembre 2022. A l'époque, environ 3000 kilomètres carrés avait été repris en seulement six jours.

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D'autant plus que chaque mètre carré libéré exige un lourd tribut de sang. Chaque jour, plusieurs soldats meurent dans les tentatives de l'Ukraine de percer les lignes de défense russes.

Plusieurs experts militaires occidentaux parlent déjà d'un échec de l'offensive. L'Ukraine elle-même a fait comprendre à plusieurs reprises que la lutte contre les occupants russes était difficile et lente.

La campagne est-elle pour autant un échec? Pas selon Mark Milley. Le chef d'état-major des forces armées américaines a souligné mardi au Pentagone que la contre-offensive ukrainienne était loin d'être un échec.

«Je pense qu'il y a encore beaucoup de combats à mener, et je maintiens ce que nous avons dit précédemment: ce sera long, ce sera dur, ce sera sanglant.»
Mark Milley

Milley a cité les lignes de défense lourdement fortifiées des Russes dans les territoires occupés comme le principal obstacle aux tentatives de percée des Ukrainiens.

«Les pertes subies par les Ukrainiens dans cette offensive davantage dues aux champs de mines qu'à la puissance de l'aviation russe»
Mark Milley

Le problème des champs de mines a déjà été suffisamment discuté par les experts militaires. La Russie a eu tout le temps, au cours des premiers mois de l'année, de développer d'importants ouvrages de défense dans les territoires occupés. Sur de nombreux tronçons du front, les troupes ukrainiennes rencontrent désormais des fortifications sur trois rangées composées de tranchées antichars, de tranchées, de tir et d'installations en béton. Celles-ci sont souvent précédées de vastes champs de mines. C'est déjà là que de nombreuses attaques ukrainiennes sont stoppées.

Le haut commandement ukrainien sous pression

Les troupes russes ont disséminé sur le terrain des dizaines de types de mines différents. Même les experts en déminage ont du mal à les identifier et à les éliminer. Cela retarde considérablement l'avancée ukrainienne. Le succès ne se mesure parfois qu'en mètres, et non plus en kilomètres.

Entre-temps, le commandement de l'armée à Kiev a changé de tactique: au lieu d'attaquer les positions russes avec des formations mécanisées équipées de chars – sans protection de feu correspondante par l'artillerie et la défense antiaérienne – et de subir de lourdes pertes en hommes et en matériel, de petites troupes de choc d'infanterie progressent désormais pas à pas, rangée d'arbres par rangée d'arbres, à travers les champs de mines. C'est exactement ce que le général américain Milley avait prédit: une longue et sanglante bataille.

Et cette bataille risque d'être encore plus sanglante, car Kiev devra tôt ou tard montrer des résultats tangibles, notamment parce que l'Occident attend des progrès dans la lutte de libération des Ukrainiens. Une guerre d'usure de plusieurs années ne serait pas acceptable pour la population ukrainienne ni pour les partenaires occidentaux qui fournissent les armes. Le haut commandement ukrainien est donc soumis à une immense pression.

Le secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin a toutefois réaffirmé que les alliés de l'Ukraine ne relâcheraient pas leur soutien:

«Notre travail se poursuit et nous ferons tout ce que nous pouvons pour nous assurer que les Ukrainiens puissent réussir»
Lloyd Austin

Mais tout ce qui n'est pas un succès risque de devenir un problème, car Poutine joue la montre. Il mise précisément sur l'usure des forces offensives ukrainiennes et la patience défaillante de l'Occident.

«Leurs avancées ne sont pas vraiment coordonnées»

L'analyse de plusieurs experts en sécurité renommés, qui se sont rendus sur place ces dernières semaines pour se faire une idée de la stratégie militaire ukrainienne, devrait donc être d'autant plus inquiétante. Il en ressort que l'Ukraine ne manque pas seulement de munitions suffisantes ou de matériel occidental lourd, comme les spécialistes et le gouvernement ukrainien ne se lassent pas de le souligner. Il semble également y avoir de nombreuses lacunes en matière de tactique militaire.

«Les forces armées ukrainiennes ne maîtrisent toujours pas pleinement le combat interarmes à grande échelle», écrit par exemple Franz-Stefan Gady.

«Leurs avancées ressemblent plutôt à des actions individuelles et ne sont pas vraiment coordonnées. Cela pose un certain nombre de problèmes à l'offensive et constitue, à mon avis, l'un des principaux facteurs de la lenteur de son déroulement.»
Franz-Stefan Gady

Il s'agit d'un concept d'engagement tactique et opérationnel qui est appliqué dans les armées de l'OTAN. En gros, cela signifie que les différentes parties des forces armées avec leurs troupes et leurs catégories de véhicules respectives (par exemple les troupes blindées et l'infanterie) agissent ensemble de manière coordonnée au combat.

Le cœur de la doctrine est la coordination des troupes au sol et de l'armée de l'air, qui doit garantir une protection aux forces terrestres.

Franz-Stefan Gady est conseiller politique et analyste à l'Institute for International Strategic Studies (IISS) à Londres. Il s'est rendu en Ukraine avec Rob Lee, ancien officier de marine et analyste politique du groupe de réflexion américain Foreign Policy Research Institute (FPRI), Michael Kofman, analyste militaire américain et spécialiste de la Russie, et Konrad Muzyka, un expert indépendant en matière de défense.

Dans la zone de guerre et à Kiev, ils se sont entretenus avec des commandants de brigade, des officiers, des membres des services de renseignement et des responsables politiques de la défense. Sur Twitter, le groupe d'experts a partagé de ses impressions en guise d'analyse préliminaire.

Selon les experts, les armes à sous-munitions fournies par les Etats-Unis pourraient certes donner un avantage à la contre-offensive ukrainienne, mais les problèmes de tactique militaire resteront le principal obstacle à des percées décisives des lignes russes.

L'état actuel de l'offensive ne pourrait changer que si le commandement ukrainien entreprenait des «approches plus systématiques» dans le domaine de la tactique militaire, ou que le moral des Russes soit au plus bas, écrit Gady.

Selon eux, «le récit selon lequel la contre-offensive progresse si lentement parce que trop peu d'armes sont livrées est monocausal et n'est pas confirmé par ceux qui combattent sur le front». En d'autres termes, ce récit, souvent répandu par les services ukrainiens, n'est pas exact.

Sombres perspectives pour les efforts offensifs de l'Ukraine

Les experts autour de Franz-Stefan Gady ne considèrent pas non plus comme probable un effondrement soudain des troupes russes.

«Je suppose qu'il s'agira d'une guerre d'usure sanglante dans laquelle les unités de réserve seront progressivement jetées au cours des semaines et des mois à venir.»
Franz-Stefan Gady

Ce sont des perspectives sombres pour les efforts de l'Ukraine. D'autant plus que de nombreux analystes observent la capacité d'adaptation accrue de l'armée russe. D'après eux, les troupes de Poutine se sont beaucoup mieux adaptées aux frappes de précision des himars ukrainiens au cours des derniers mois et ont considérablement amélioré leur guerre électronique.

Ils peuvent ainsi mieux repousser les frappes en profondeur, extrêmement importantes, c'est-à-dire les attaques sur les zones situées derrière le front. Gady parle également dans ce contexte de «contre-mesures efficaces» des Russes, bien que leur arsenal d'artillerie se soit lui aussi progressivement vidé.

Il faut «changer la culture» du côté ukrainien

D'un autre côté, l'armée ukrainienne, sous le commandement du général Valeri Zaloujny, a également démontré de manière impressionnante sa capacité d'adaptation au cours des derniers mois. Elle a réussi à tenir tête à une puissance militaire supérieure, à intégrer des systèmes d'armes jusqu'alors incompatibles et en grande partie inconnus, et à assimiler les tactiques de l'Otan à marche forcée. Son moral et sa volonté de se battre sont également toujours aussi élevés.

Mais un autre élément pourrait avoir son importance: la rapidité avec laquelle le changement de mentalité au sein de l'armée ukrainienne progresse.

«La chose la plus importante que j'essaie de changer, c'est la culture»
Le général ukrainien Valeri Zaloujny

Il veut s'éloigner de l'obéissance aveugle aux ordres et écouter chaque soldat et son opinion.

«Je ne pense pas qu'il faille écraser les gens, je ne les opprime pas, je ne les humilie pas», a-t-il déclaré récemment dans une interview au Washington Post. D'après Zaloujny, c'est ce qui différencie fondamentalement l'armée ukrainienne de l'armée russe, qui reste fondamentalement une armée soviétique.

Gady et ses collègues ont effectivement rencontré des soldats dotés d'un esprit critique lors de leurs visites au front en Ukraine.

«Les soldats avec lesquels nous avons parlé étaient conscients du fait qu'une tactique insuffisante, un manque de coordination, des obstacles bureaucratiques et des schémas de pensée soviétiques paralysent la progression de l'offensive.»
Gady

Le succès de la contre-offensive de l'Ukraine dépendra donc non seulement de la nature et du nombre d'armes fournies par l'Occident, mais aussi de la rapidité avec laquelle le changement de culture au sein de l'armée se produira, aussi et surtout dans le domaine militaro-stratégique.

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

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