Quelques jours après l'invasion russe, on pouvait lire dans de nombreux médias occidentaux que «l'Ukraine sera écrasée». Il en a été autrement.
Après la bataille de Kiev, désastreuse pour la Russie, l'armée de Poutine a dû se retirer début avril de tout le nord de l'Ukraine. La défaite a été présentée comme un «regroupement», permettant de frapper d'autant plus fort sur le front du Donbass grâce aux formations déplacées. Cet échec était d'autant plus embarrassant qu'à ce moment-là, de nombreuses recrues et volontaires ukrainiens enrôlés étaient encore en partie armés de fusils de chasse et de carabines.
La deuxième phase de la guerre a été marquée par les duels d'artillerie dans le Donbass. Après le «redéploiement», le commandement militaire russe a misé en mai et juin sur la seule grande force qu'il pensait avoir: sa supériorité numérique en matière d'artillerie. Les positions ukrainiennes ont été bombardées presque sans interruption, souvent avec plusieurs milliers d'obus et de roquettes par jour.
Ce que l'on n'a pas pris en compte, c'est que les stocks de munitions de la Russie sont, eux aussi, limités et qu'aujourd'hui, les Russes, tout comme l'Ukraine et ses alliés d'ailleurs, recherchent désespérément dans le monde entier des restes de munitions d'artillerie datant de l'ancien pacte de Varsovie.
Cependant les tirs d'artillerie russes étaient souvent relativement imprécis. Cela est devenu évident lorsque l'Ukraine a reçu en juin les premiers lance-missiles Himars en provenance des Etats-Unis. Leurs munitions, guidées par GPS, ont atteint avec précision les postes de commandement, les dépôts de matériel de guerre et les ponts importants à une distance d'environ 70 kilomètres. Après que leurs chars ont été abattus en série lors de la bataille de Kiev, les Russes ont de plus en plus tenté de progresser avec des attaques d'infanterie.
Les Ukrainiens ont joué le jeu, se battant dans chaque localité, dans chaque position, jusqu'à ce que l'encerclement soit imminent, puis se retirant. Leur objectif était de tuer le plus de Russes possible et de détruire le plus de matériel de guerre sans exposer leurs propres troupes à l'anéantissement. Ils se sont progressivement repliés sur des positions défensives préparées au préalable. Ils ont continué à le faire jusqu'à ce que les Russes soient à bout de souffle.
Et ce n'est pas tout. Même lorsque les Ukrainiens ont dû abandonner l'importante ville industrielle de Severodonetsk, ils ont réussi à sauver leurs troupes en traversant le fleuve du Donetsk. Début juillet, l'avancée russe s'est arrêtée près de Lyssytchansk. Depuis, l'armée de Poutine tente de s'emparer de quelques localités relativement insignifiantes du Donbass avec des soldats fraîchement mobilisés et des milliers d'anciens détenus jetés en masse dans la bataille.
Grâce aux missiles Himars et à de nombreux systèmes d'artillerie occidentaux tirant des munitions de l'Otan au lieu d'anciens obus soviétiques, les Ukrainiens ont entre-temps détruit des bases logistiques russes et des nœuds de communication loin derrière le front.
Le terrain a ainsi été préparé pour deux grandes contre-offensives, la troisième phase de la guerre. Kiev a annoncé en fanfare une grande attaque au sud, ce qui a incité la Russie à déplacer des forces vers la ville portuaire de Kherson. La première contre-attaque a toutefois eu lieu par surprise en septembre à l'est, près de Kharkiv, où les positions russes n'étaient que peu occupées.
L'armée de Poutine a pris la fuite et a échappé de justesse à un siège imminent à Lyman. En octobre, les Ukrainiens ont lancé une nouvelle contre-offensive au sud. Les Russes ont réagi en se retirant à grande échelle de Kherson. Dans le même laps de temps, l'Ukraine a réduit à néant plus de la moitié des gains territoriaux russes réalisés depuis le 24 février.
Avec l'arrivée de l'hiver, certains experts occidentaux prédisent désormais un arrêt des combats. Mais les Ukrainiens voudront très certainement continuer à engranger des victoires tant que la Russie sera occupée à mobiliser des combattants dont elle a un besoin urgent. En hiver, de nombreux sols gèleront, ce qui permettra à nouveau l'utilisation de chars de combat sur des terrains rendus impraticables par la boue automnale.
Les Ukrainiens ont reçu de l'Occident des centaines de milliers d'uniformes d'hiver et le ravitaillement semble également s'organiser via la Pologne et la Roumanie. Les Russes, en revanche, sont confrontés à des problèmes logistiques, à un moral en berne et à la corruption. Le retrait de Kherson a considérablement réduit l'étendue du front des deux parties; une grande partie de ce front longe désormais les rivières.
Indépendamment de l'endroit où l'Ukraine frappera ensuite, les routes d'approvisionnement russes vers la péninsule de Crimée restent dans la ligne de mire de Kiev. Il y a d'une part le pont stratégique de Kertch, qui relie directement la Crimée à la Russie continentale. Il est désormais en cours de réparation après une attaque ukrainienne.
D'autre part, il y a la voie, plus longue, qui longe la côte via Marioupol et Melitopol. Elle serait sérieusement menacée en cas d'offensive réussie des Ukrainiens dans la région centrale du front de Zaporijia. Si une percée devait y être réalisée, elle pourrait faire définitivement basculer le conflit.
Traduit de l'allemand par Valentine Zenker