La Suisse doit s'inspirer de cet homme pour gérer la «bombe Trump»
Quand il s'agit de manipuler la «bombe Trump», la plupart des dirigeants européens se sont cassé le nez, les dents - et tout le reste. D'un Volodymr Zelensy «ingrat» à un Pedro Sanchez «profiteur», en passant par un Emmanuel Macron «smart», mais largement considéré par l'administration comme trop crâneur, aucune méthode n'a trouvé grâce aux yeux de l'imprévisible président américain.
Aucune. Même notre subtile présidente, Karin Keller-Sutter, jugée «sympa», mais incapable «d'écouter» selon Donald Trump, s'est pris les pieds dans le tapis comme les autres.
Il est toutefois un homme, pourtant aux antipodes de Donald Trump, qui semble avoir trouvé la formule magique: le premier ministre Keir Starmer, dont la rencontre avec son homologue américain, ce jeudi, a mis un point final à une visite d'Etat de deux jours considérée comme un énorme succès.
Bien avant que Donald Trump ne soit réélu pour un second mandat, le tout frais premier ministre travailliste se profilait déjà pour devenir le chouchou et engranger du crédit. Alors que la plupart des leaders européens peinaient à se projeter dans une nouvelle ère Trump, Keir Starmer prend les devants et passe un coup de fil au candidat juste après sa tentative d'assassinat en juillet. Pour la peine, il sera convié à un dîner aux chandelles dans la Trump Tower, à New York, avec le républicain.
La tactique de la rapidité a continué.
En janvier, le travailliste a été le deuxième dirigeant européen, après Emmanuel Macron, à visiter la Maison-Blanche. Et il n'est pas venu les mains vides: dans un coup de théâtre atypique, Keir Starmer a brandi une lettre signée du roi Charles III destinée au président, avant de le pousser à la lire devant les caméras et d'accepter l’invitation.
Bien lui en a pris: cette semaine, Donald Trump en a pris plein la vue. Après un somptueux dîner d'Etat au château de Windsor mercredi, Keir Starmer a doublé les enchères ce jeudi en offrant à son invité une «boîte rouge» sur mesure – un objet lourd de symbole, habituellement réservée aux ministres britanniques.
Malgré l'apparente bonne humeur de Donald Trump, cette discussion bilatérale s'avérait aussi cruciale que casse-gueule pour Keir Starmer. Le premier ministre traverse une période cauchemardesque sur le plan de la politique intérieure. En l'espace de deux semaines, il a perdu sa vice-première ministre, son ambassadeur aux Etats-Unis, ainsi qu'un autre conseiller important. Le voilà obligé de négocier avec la cote de popularité la plus basse depuis son arrivée au pouvoir.
En proie à ces difficultés domestiques, il fallait désespérément au Britannique consolider la bonne volonté bâtie avec la Maison-Blanche.
Un équilibre précaire
Difficile à croire que cet ancien avocat des droits de l'homme à la voix douce, bibliophile et de centre-gauche, soucieux des procédures, soit l'heureux élu capable de s'attirer les bonnes grâces d'un Donald Trump au tempérament et à l'instinct politique radicalement opposés.
C'est que Keir Starmer a su habilement osciller entre camper sur ses positions, adopter un ton conciliant et ne jamais contredire Donald Trump directement. Son credo? Etre poli. Ne pas exprimer publiquement ses désaccords. Et, dans l'ensemble, faire ce que Donald Trump demande.
Preuve que la méthode fonctionne, le président américain le tient en haute estime. Au point de lui téléphoner «régulièrement», parfois spontanément et tard le soir, selon des responsables dans le Wall Street Journal. Keir Starmer a toujours abandonné ses activités en cours pour décrocher le combiné.
De même, cet été, il ne s'est pas fait prier avant de foncer en Ecosse pour écouter son homologue américain s'étendre sur la rénovation de son club de golf.
Et lorsque Donald Trump a convoqué Volodymyr Zelensky dans le Bureau ovale au pied levé, en août, Keir Starmer a abandonné ses vacances pour voler vers Washington et se joindre à eux.
Conscient qu'il vaut mieux compter Donald Trump parmi ses alliés que parmi ses ennemis, l'ancien procureur a su faire preuve de pragmatisme et s'est attelé à bichonner des relations a priori conflictuelles. «Il a été très astucieux dans l'évaluation des domaines dans lesquels il a une certaine influence, et d'autres dans lesquels il devra accepter une vision du monde trumpienne», note Sophia Gaston, experte en politique étrangère au King's College de Londres, au Wall Street Journal.
Tout ce que notre ministre Karin Keller Sutter a manifestement échoué à démontrer, lors de son tristement célèbre appel téléphone avec Donald Trump.
Jusque-là, on peut affirmer que la technique a porté ses fruits. Le Royaume-Uni a rapidement conclu un accord commercial avec les Etats-Unis et s'en est tiré avec des droits de douane de «seulement» 10%, en-deçà de son partenaire européen et de ses 15%. Et on ne parle même pas des 39% dont a écopé la Suisse.
Dans une ère politique tourmentée où la notion de valeurs partagées ne fait plus guère de sens, Keir Starmer ne pouvait pas s'autoriser le luxe de s'attirer les foudres de l'administration américaine - aussi décriée soit-elle.
Un pragmatisme tout britannique, peut-être douloureux, mais ô combien nécessaire, dont le Conseil fédéral pourrait tirer quelques leçons. Même si aucun être humain normalement constitué - pas même Keir Starmer - ne sera sans doute jamais capable décrypter un président à la fois si peu sérieux... et si terriblement sérieux.
