Charles doit gérer une bombe
Difficile de savoir ce qui se tramait dans le cerveau de Charles III, ce mardi soir, au moment d'accueillir Donald Trump au cœur de l'honorable forteresse de Windsor. Un lieu bien choisi. Plus grave, plus historique, plus feutré que le palais de Buckingham et sa pompe ostentatoire.
Une ambiance qui collera mieux à celle du second mandat de Donald Trump, qui n'a plus rien du clown fantasque et provocateur de télé-réalité d'il y a huit ans. Le retour au pouvoir du milliardaire revanchard a été marqué - entre autres - par des tarifs douaniers sanglants, des conflits mondiaux, un climat politique de plus en plus tendu, populiste et violent dans son propre pays.
Rien de tel que des douves, des piques et des fortifications datant de Guillaume le Conquérant pour impressionner le belliqueux Donald Trump et ses tendances autoritaires. Comme l'écrit la rédactrice royale chevronnée Tina Brown dans un éditorial pour le New York Times: «Donald Trump pourrait bien s'émerveiller devant le spectacle éclatant de l'imposante armure du roi Henri VIII.»
Un rôle à jouer
Non, personne ne sait ce que pense vraiment Charles III de cette seconde visite d'Etat - un privilège qui n'avait jamais été accordé à aucun autre président américain avant lui. Les sources se contredisent. Selon certains, le souverain britannique n'aurait «jamais souhaité» accorder cette grâce à Donald Trump après sa première venue, en 2019, qui a suscité protestations et controverses dans son pays.
D'autres rappellent que les deux hommes, qui à 76 et 79 ans sont de la même génération, entretiennent une véritable amitié de longue date et ont échangé des lettres personnelles au fil des ans.
Même si leurs positions diffèrent sur bien des sujets, à commencer par l'environnement, il est vrai que les deux hommes partagent le fait d'être des personnalités ultra-médiatisées depuis des décennies - ce, avant même d'occuper leurs fonctions respectives. Le roi, glisse un de ses alliés au Telegraph, «s'entend bien avec des gens ayant toutes sortes d'opinions».
Quoi qu'il en soit, Charles n'avait pas vraiment le choix. Pas seulement, car le gouvernement travailliste du premier ministre Keir Starmer, en grande difficulté, l'a chargé de cette mission. Mais parce qu’il est le roi. Une fonction investie par le devoir, le service et la surveillance publique incessante.
Quels que soient ses sentiments personnels envers son invité, les nombreuses décennies passées par Charles en qualité de prince de Galles lui ont appris que l'essentiel consiste à se montrer aussi poli que possible et aussi pragmatique que nécessaire.
Cela n'en restera pas moins un moment délicat pour Charles III. Plus tôt cette année, le patron du Commonwealth a dû faire face aux sarcasmes et aux provocations du président américain à l'égard du «51e Etat» - le Canada, dont il est le chef d'Etat. Il a également assisté à l'humiliation publique et douloureuse de Volodymyr Zelensky, un allié du Royaume-Uni, dans le Bureau ovale en février, avant de l'accueillir dans la foulée pour un thé réconfortant.
Charles a également observé avec impuissance les coupes budgétaires américaines de plusieurs centaines de millions de dollars dans des organisations caritatives qu'il parraine. Selon des sources dans Politico, ces réductions de dépenses à l'aide étrangère américaine ont conduit à la mise à mort de projets entiers, mettant dans certains cas des vies en danger au Royaume-Uni et dans le monde.
Un roi d'un style nouveau
Les sujets de conversation entre Charles III et Donald Trump au cours de leur rencontre sont flous et le resteront probablement - à l'instar de l'attitude du roi envers le président. Une chose est certaine: le rôle de Charles dans cette visite, aussi diplomatique que cérémoniel, mettra en valeur son habileté à l'échelle internationale. Lui, le prince dont on se moquait des lubies écologistes, des passions ringardes et de la vie sexuelle étalée dans les médias.
Ces trois dernières années de règne ont permis à Charles III de faire toute la démonstration de son talent. «Un triomphe discret», résume l'autrice Tina Brown. Malgré le spectre de son cancer et son traitement toujours en cours, l'ancien prince de Galles a mené plusieurs tournées couronnées de succès à l'étranger et, plus difficile, a su naviguer au milieu des crises politiques internationales sans perdre le cap.
Avec son propre style, un style complètement différent de sa mère, Elizabeth II, plus ambivalente, plus mystérieuse et plus protocolaire, Charles redéfinit le rôle du souverain. S'il continue à incarner une forme de stabilité au-dessus des conflits partisans, il sait qu'à l'ère des réseaux sociaux et de la surexposition permanente de tout un chacun, la monarchie ne peut plus se planquer derrière un masque. Comme elle l'a toujours fait.
N'attendez pas à ce qu'il montre le moindre signe d'impatience ou de sympathie face à Donald Trump. Fort de décennies de représentation diplomatique, le monarque garde à l'esprit que des milliers de journalistes éplucheront chaque ligne de son discours à la recherche de la moindre pique – intentionnelle ou non – à l'égard de son visiteur américain.
Jusqu'au départ du «first couple» jeudi matin en direction de Chequers et des aspects commerciaux de cette visite d'Etat, sous les sourires et les saluts de la main, Charles ne laissera deviner ni frustration ni irritation. Déterminé à ne donner aucune matière à critique.
Le faste et les cérémonies sont des choses que la monarchie britannique maîtrise comme nulle autre. Et si ce spectacle contribue à adoucir Donald Trump envers son pays, ce sera un succès royal.