Quand vous avez réservé les billets d'avion pour votre prochain voyage, la compagnie aérienne de votre choix vous a peut-être proposé de payer un petit supplément, censé annuler les émissions générées par votre vol. C'est ce que l'on appelle des «compensations» ou «crédits carbone».
Leur fonctionnement est très simple: la somme dépensée contribue à financer un projet qui va réduire les émissions ailleurs, compensant ainsi celles dues à votre vol. Il s'agit, le plus souvent, de projets de reforestation, ou prévoyant la construction d'installations hydroélectriques, solaires ou éoliennes.
Pratique, n'est-ce pas? Un petit supplément nous permet de lutter contre le réchauffement climatique, continuer de voler et, accessoirement, soulager notre conscience. Sauf que...
Parole de Sascha Nick, chercheur au laboratoire d'économie urbaine et de l'environnement de l'EPFL. Lequel nous explique que les compensations carbone soulèvent d'énormes problèmes. Les voici.
Le premier problème surgit déjà au moment de l'élaboration du montant à payer. Ce dernier est estimé sur la base de la distance réelle du vol, explique Sascha Nick. Swiss, par exemple, calcule qu'un vol aller simple reliant Zurich à New York produit 396 kilos de CO2. «Ce chiffre est très, très optimiste», réagit le chercheur.
«En considérant également les effets non liés au CO2, il faudrait compter 1500 à 1800 kilos, toujours pour un avion plein», ajoute-t-il. «Si ce n'est pas le cas, ce chiffre est encore plus grand».
Ce qui nous amène au deuxième problème. «Les compagnies aériennes et leurs organisations se limitent au seul CO2, disant que la compréhension scientifique "continue à évoluer"», affirme Sascha Nick.
Pourtant, la combustion du kérosène ne génère pas uniquement du dioxyde de carbone, mais provoque également d'autres effets négatifs, poursuit-il. Les principaux sont les traînées de condensation et les oxydes d'azote.
Résultat: «L'effet de ces phénomènes réunis est trois fois plus grand que les conséquences du seul CO2». Pourquoi donc les exclure des mécanismes de compensation? Sascha Nick:
Un autre problème, peut-être encore plus profond, concerne la nature des projets de compensation: «La compensation elle-même relève presque toujours du greenwashing, la plupart de ces crédits étant tout simplement faux», avance le chercheur.
Autrement dit, bon nombre des projets de compensation financés par le supplément n'ont aucun effet concret. Près de huit sur dix, selon une enquête du Guardian, publiée l'année dernière. Ses conclusions: «39 des 50 principaux projets ont été classés comme inutiles ou sans valeur en raison d'une ou plusieurs défaillances fondamentales qui compromettent les réductions d'émissions promises».
«Pour qu'un projet de compensation soit efficace, il doit être réel, documenté et additionnel», développe Sascha Nick. «Or, ce n'est presque jamais le cas».
D'autres fois, poursuit-il, «la réduction des émissions est fortement exagérée». Le plus souvent, toutefois, elle «n’est pas additionnelle, dans le sens où elle se fait indépendamment de la vente des crédits», ajoute le chercheur. Et de formuler l'exemple suivant:
De plus, ces projets peuvent également avoir un impact négatif sur les populations locales, la plupart d'entre eux ayant lieu dans des pays du Sud.
L'ONG Human Rights Watch a documenté les conséquences d'un important projet de reforestation mené au Cambodge, dans une zone abritant depuis des siècles une population autochtone. Cette dernière n'a pas été consultée; elle a «subi des expulsions de force» et «fait l’objet d’inculpations au pénal pour avoir poursuivi ses activités d’agriculture et de cueillette sur ses terres ancestrales». L'ONG déclare:
A tout cela s'ajoute un dernier obstacle, peut-être le plus important. «Même avec des projets de compensation qui existent, qui ne sont pas exagérés et qui sont réellement additionnels, ce qui est déjà très rare, il reste un problème insurmontable, un problème de principe», estime Sascha Nick:
«Pour atteindre la neutralité carbone, il faut que tout le monde arrête de polluer», complète-t-il.
En effet, comme le fait remarquer le cabinet de conseil spécialisé Carbone 4, il est «trompeur» de vouloir créer un lien entre les émissions induites par un vol aérien et des émissions évitées par un projet qui n'a rien à voir avec ce vol. Pour cette raison, cet outil «n'aide pas vraiment l’aviation à réduire ses propres émissions de gaz à effet de serre».
Que faire, alors? Pour Sascha Nick, il n'y a qu'une seule solution: «Si l'on veut réduire les émissions dues aux avions, il faut voler moins. C'est aussi simple que ça».