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Droits de douane: Karin Keller-Sutter n'a pas fait plier Trump

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Non, ce n'est pas Karin Keller-Sutter qui a convaincu Trump

Le marché obligataire semble avoir ramené le président américain à la raison. Du moins pour le moment.
10.04.2025, 16:5810.04.2025, 16:58
Philipp Löpfe
Philipp Löpfe
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Karin Keller-Sutter est sous le feu des projecteurs. La présidente de la Confédération a téléphoné à Donald Trump mercredi, juste avant que le président américain ne décide de mettre en pause pour 90 jours sa politique douanière. Mais l'influence de cette conversation de 25 minutes ne doit toutefois pas être surestimée. Il est même ridicule de prétendre que c'est ce qui a incité le président américain à changer d'avis.

Mardi soir, Donald Trump n'a pas seulement suivi les échanges entre les dirigeants de son parti dans l'émission de Sean Hannity, il a également jeté à plusieurs reprises un coup d'œil sur l'évolution du cours des obligations d'Etat américaines à dix ans, les bons du Trésor. Et ce qu'il a vu ne lui a pas plu. Le rendement des obligations à long terme a explosé, et en même temps, celles-ci ont inondé le marché. Le lendemain, le président américain a déclaré:

«Les gens commencent manifestement à se sentir un peu mal à l'aise»
Bundespraesidentin Karin Keller-Sutter spricht zur Kleinen Kammer, an der Fruehjahrssession der Eidgenoessischen Raete, am Montag, 17. Maerz 2025 im Staenderat in Bern. (KEYSTONE/Alessandro della Vall ...
La président de la Confédération Karin Keller-Sutter s'est entretenue par téléphone avec Donald Trump.Image: keystone

C'est donc une fois de plus le puissant marché des obligations qui a rappelé le président américain à l'ordre. Ou, comme le commente le Wall Street Journal:

«La politique commerciale irresponsable de M. Trump risque d'augmenter le coût des obligations d'Etat, d'accroître les inquiétudes quant au manque de liquidités et d'augmenter le potentiel de mauvaises surprises sur les marchés financiers.»

Les bons du Trésor sont vitaux pour le système financier

Il y a plus que de bonnes raisons de se sentir nerveux lorsque le rendement des emprunts d'Etat américains à dix ans explose, et qu'ils sont simultanément liquidés. Les bons du Trésor sont le pilier du système financier international, la colonne vertébrale financière des banques et des hedge funds. Selon les données du ministère étasunien des Finances, les investisseurs étrangers auraient détenu en janvier des bons du Trésor pour une valeur de 8,5 billions de dollars, la plupart d'entre eux étant en mains japonaises et chinoises.

Comme le franc suisse et l'or, les titres obligataires constituent un bouclier sous lequel les investisseurs se réfugient en période d'incertitude. Mais ce couvert est bien plus important. Les Etats-Unis ont toujours respecté leurs engagements financiers, même dans les périodes les plus folles. Jusqu'à présent, c'était une règle tacite: les cours des bons du Trésor augmentaient lorsque le cours des actions baissaient.

Cette semaine, cette règle a été balayée et la confiance dans les obligations à long terme s'est évaporée. Lawrence Summers, secrétaire au Trésor sous la présidence de Bill Clinton, a posté sur X: .

«Ce comportement inhabituel suggère qu'il existe une aversion générale pour les actifs américains sur les marchés financiers mondiaux. Nous sommes traités par les marchés financiers mondiaux comme un pays en voie de développement.»

D'autres experts financiers sont allés encore plus loin. Ed Yardeni, de Yardeni Research, a souligné:

«Les gardiens des obligations nous envoie le signal que l'administration Trump joue avec de la nitroglycérine»

La liquidation massive des bons du Trésor peut aussi être le signe que certaines banques et certains hedge funds sont en difficulté. Comme leurs actifs plus risqués ont perdu massivement de leur valeur, pour pouvoir honorer leurs engagements, les investisseurs doivent liquider les obligations sûres. Les faillites dans le monde financier peuvent en effet déclencher une réaction en chaîne, avec des conséquences dramatiques.

En période de troubles financiers, les regards se tournent en premier lieu vers les cours des actions. Mais ce qui se passe sur le marché des obligations est bien plus important. La première ministre anglaise Liz Truss en a récemment fait l'expérience. Celle-ci a été chassée du pouvoir après seulement 40 jours parce qu'elle s'était mis le marché obligataire britannique à dos.

Former British Prime Minister Liz Truss speaks during the Conservative Political Action Conference at the National Harbor, Wednesday, Feb. 21, 2024. in Oxon Hill, Md. (AP Photo/Jose Luis Magana)
Liz T ...
L'ex-première ministre britannique Liz Truss avait été évincée du pouvoir par le marché obligataire.Image: keystone

Trump ne doit pas s'attendre à une telle situation. Mais le fait qu'il ait cédé et qu'il ait suspendu ses droits de douane durant 90 jours, sauf pour la Chine, montre qu'il a lui aussi compris pourquoi James Carville, l'ancien directeur de campagne de Bill Clinton, avait déclaré un jour que dans sa prochaine vie, il voulait venir au monde en tant que marché obligataire, car celui-ci est encore plus puissant que le président américain.

Les investisseurs se rebèlent

Mais il n'y avait pas que le marché obligataire. Trump a également dû prendre acte du fait que sa folie douanière n'était plus acceptée sans opposition. Jamie Dimon, le PDG de JP Morgan et actuellement le banquier le plus influent de Wall Street, a par exemple mis en garde contre une récession imminente. Même dans les rangs des républicains, des critiques modérées se sont fait entendre et la cote de popularité de Trump a chuté, surtout en ce qui concerne ses compétences économiques.

JPMorgan CEO Jamie Dimon is interviewed by Maria Bartiromo on the "Mornings with Maria Bartiromo" program, on the Fox Business Network, in New York Wednesday, April 9, 2025. (AP Photo/Richar ...
Jamie Dimon, CEO de JP Morgan, a déjà mis en garde contre une récession.Image: keystone

Seuls les fans hardcore de Donald Trump, comme son conseiller économique Peter Navarro ou les présentateurs de Fox News, jubilent actuellement face au changement d'avis du président, et louent son fameux «art du deal». En dehors de ça, les critiques pleuvent. Le chroniqueur du New York Times Thomas Friedman, évoque par exemple avec dérision un «Art of the Squeal» (l'art du cri d'animal).

La trêve ne signifie en aucun cas la fin de la guerre commerciale, car les droits de douane contre la Chine restent en vigueur et ont grimpé à 125%. La Chine est, ou était jusqu'à présent, un important partenaire commercial des Etats-Unis. Il n'y a pas seulement des pingouins qui y vivent, mais environ 1,4 milliard de personnes. Une guerre commerciale entre la première et la deuxième économie mondiale aura également des répercussions sur le reste de l'économie planétaire.

De plus, Trump n'a pas gelé tous les droits de douane. Le droit de douane général de 10% pour tous reste en vigueur, tout comme les droits de douane punitifs de 25% sur l'importation de voitures et de composants automobiles. La Suisse doit en outre craindre que Donald Trump mette à exécution sa menace d'imposer également des droits de douane sur les produits pharmaceutiques et les puces électroniques.

Avec sa guerre commerciale contre la Chine, on soupçonne de plus en plus Trump de se tirer une balle dans le pied, car il est peu probable que Pékin cède. Au contraire, Xi Jinping et son peuple profiteront de l'occasion pour présenter la Chine comme un partenaire fiable face aux Etats-Unis. Au lieu d'unir l'Occident contre la Chine, le président américain a réussi à dresser tout le monde contre lui, et à pousser le reste dans les bras de Pékin.

Karin Keller-Sutter a effectivement parlé à Trump au téléphone mercredi. Mais malgré tout le respect que je dois à la conseillère fédérale, l’impact de cette conversation de 25 minutes ne doit pas être surestimé.

L’idée selon laquelle cela aurait pu faire changer d’avis Trump est tout simplement ridicule. Une fois de plus, c’est le marché obligataire qui a ramené le président américain à la raison. Ou, comme le commente le Wall Street Journal:

«Il ne faut jamais parier contre l'Amérique, dit-on, et les investisseurs internationaux suivent généralement cette règle. C'est un signe de l'ampleur de l'erreur que Trump commet avec sa politique tarifaire et qui incite ainsi les investisseurs à ne plus adhérer à cette règle. Il doit donc revoir sa politique en profondeur; une pause ne suffit pas.»

Traduit de l'allemand par Joel Espi

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