On y est presque. L’extrême droite, alias le Rassemblement national, est sur le point d’accéder au pouvoir. Non pas, pas encore, à la présidence de la République, mais à l’Hôtel de Matignon, la résidence des premiers ministres. Et la chasse aux «collabos» est ouverte. Il faut l’avouer, c’est tentant. Après tout, chacun, sauf ceux qui font profession de se planquer, est, comme le beauf, le collabo de l’autre.
L’ascension du RN, autrefois le Front national, aurait ses coupables, en dehors, bien sûr, des membres du parti nationaliste. Sur les réseaux, les médias – cela va de l’infotainment à la presse la plus austère – sont cités parmi les principaux accusés. Normal, dira-t-on, ce sont des diffuseurs d’idées.
Dans le «coup de gueule» ci-après, les médias sont accusés «d’avoir donné une visibilité extraordinaire aux représentants de la droite extrême». Rose Ameziane est chroniqueuse politique, auteure d'«A la force du coeur: l'immigration en héritage, la Nation en partage» (Editions du Rocher).
J’ACCUSE ! #extremedroite #elections #politique #racisme #dissolution #assembleenationale #rn #fn pic.twitter.com/Os0qsIB2Xq
— RoseAmeziane (@AmezianeRose) June 11, 2024
La «presse Bolloré» (CNews, C8, Europe 1, Le Journal du Dimanche, Paris Match) n’est pas la seule visée ici. Des émissions de divertissement produites par d'autres groupes sont sur le banc des prévenus elles aussi. En cause, souvent, «la recherche de l’audimat».
Nous-mêmes, à watson, avons questionné le rôle joué par TPMP, le talk de Cyril Hanouna, dans la valorisation des idées extrémistes, en particulier d’extrême droite. Comme lorsque ce dernier prône une justice expéditive qui ne tient pas compte de l’institution judiciaire, l’un des piliers de la démocratie.👇
Dans nos colonnes toujours, l’historien Alexis Lévrier, spécialiste des médias, estimait en février que la chaîne CNews contribue depuis plusieurs années à la banalisation des idées d’extrême droite, ajoutant qu’elle avait fait la campagne d’Eric Zemmour à la présidentielle de 2022 et permis à Renaud Camus d’exposer son argumentaire sur le grand remplacement.
La presse identitaire n’est pas seule tenue responsable de la montée du RN. La presse de gauche aussi. En taisant, éludant ou minimisant la réalité de l’insécurité, en tirant des conclusions hâtives – une simple «rixe» – après le drame de Crépol survenu en novembre dernier.
Sur X (ex-Twitter), le compte «Médias Citoyens», qu’on pourrait qualifier de centriste, tance régulièrement le service public, la radio France Inter en particulier, accusée de dénigrer systématiquement l’action du président Emmanuel Macron et de son gouvernement. Cette posture de la première radio de France, jugée militante, non seulement ferait le jeu de la gauche radicale, mais également, par ricochet, celui de l’extrême droite en ne trouvant jamais rien de positif à la majorité présidentielle. Dans le tweet suivant, «Médias Citoyens» dénonce un «jeu de massacre» anti-Macron lors de l'émission «Le téléphone sonne», diffusée cette semaine sur France Inter:
AU TÉLÉPHONE SONNE, UN JEU DE MASSACRE ANTI-MACRON - Lors d'un "Téléphone sonne" (19h20 à 20h00) sobrement intitulé "Macron a parlé", la rédaction de France Inter a convié sur son plateau 3 experts pour répondre aux auditeurs : Gaël Sliman (Président et cofondateur de l’institut… pic.twitter.com/p9uicLMrob
— Médias Citoyens (@medias_citoyens) June 12, 2024
Alors, oui, les «médias» ont pu jouer un rôle dans la montée du Rassemblement national. Mais à la marge. Du reste, dans les démocraties, prévaut la liberté de la presse. Les contempteurs des médias «collabos» ont tort de se draper dans ce type d’accusation.
Le phénomène RN, auparavant FN, obéit à des causes à la fois matérielles et culturelles: la désindustrialisation, suivie du sentiment de ne plus compter, d'être transparent. A quoi s'ajoutent les contrecoups de la décolonisation: sur fond de chômage de masse, les pouvoirs publics ont laissé se développer un inquiétant face-à-face identitaire dans les territoires modestes, pour ne pas dire pauvres, de l'Hexagone. Le terrorisme islamiste n'a rien arrangé.
Le vote RN, on ne le découvre pas aujourd’hui, est celui du peuple qui prend sa revanche et désigne, mais pas toujours, des boucs émissaires, les immigrés, les musulmans, les riches, l'élite. C’est pourquoi, sur la lancée des européennes, la revanche étant cette fois-ci à portée de main, le risque est élevé d’une victoire de la droite nationaliste aux législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Il reste peu de jours pour inverser la tendance.