C'est vêtue d'une longue robe grise et d'une veste assortie que Casandra Ventura, de son nom de scène Cassie, a fait son entrée au palais de justice américain Daniel Patrick Moynihan à Manhattan. Un deuxième jour de témoignage pénible l'attend. Elle ne flanchera qu'à un seul moment.
Mercredi matin, son récit a repris là où elle l'avait laissé la veille. C'est-à-dire dans un hôtel InterContinental, à Los Angeles, en 2016. Lorsque son compagnon, Sean Combs, la rue de coups de pied sur la moquette du corridor. Des images diffusées par la chaîne CNN et retransmises dans la salle d'audience.
Car il n'y avait pas que les «freak-offs», ces marathons sexuels auxquelles Cassie a été livrée très tôt par Sean Combs. Les violences physiques ont marqué très vite leur relation. La première remonte à 2007 ou peut-être 2008, elle ne sait plus, «c'était au début». Après un dîner, dans la voiture, Sean Combs la frappe sur le côté de la tête, sous les yeux du chauffeur et de l'agent de sécurité.
Tantôt fatiguée, tantôt résignée, Cassie énumère sans ordre chronologique défini les épisodes et les blessures tout au long de leur relation intermittente de dix ans. Des ecchymoses sur son corps, une entaille sur son sourcil, une lèvre éclatée - documentées sur des photos montrées au jury.
Une bagarre au Festival de Cannes en 2012, alors que le couple séjourne sur un yacht, à l'issue de laquelle «il l'a jetée du bateau». Un autre passage à tabac dans les toilettes d'un hôtel de Las Vegas, en 2015, durant lequel la sécurité et la direction finissent par intervenir. Lorsque l'agent, connu sous le nom de D-Rock, lui porte assistance, «il s'est mis à pleurer».
Une autre dispute, encore, où elle finit le visage piétiné, recroquevillée sur le sol de la voiture. Lorsqu'elle tente de s'enfuir dans la rue, un agent de sécurité la rattrape.
Contrainte de vivre recluse dans un hôtel de Los Angeles, le temps que les bleus et les ecchymoses s'estompent, un article sur les faits est publié dans un tabloïd - sans nommer les personnes impliquées. La mère de Cassie lui téléphone pour lui demander s'il s'agit bien d'elle, la réponse de Cassie fuse.
Il lui faudra des années avant d'oser de se confier auprès de ses proches. La peur est trop grande et Diddy passé maître dans l'art du chantage. En possession de nombreuses vidéos «bizarres», il aime les rappeler au bon souvenir de sa petite amie. Cassie Ventura évoque sa terreur à la pensée de l'embarras s'il divulgue les vidéos des marathons sexuels. Ces images «me feraient passer pour quelqu'un que je ne suis pas, de manière injuste», affirme-t-elle à la barre des témoins.
Sans oublier les autres menaces. Lorsque Cassie, pendant une pause dans sa relation avec Diddy, fréquente brièvement le rappeur Kid Cudi en 2011, la vengeance ne se fait pas attendre.
Lorsqu'il apprend la relation après avoir fouillé son téléphone, lors d'une dispute à Los Angeles, et s'être jeté sur elle «avec un décapsuleur», Sean Combs jure de leur faire du mal à tous les deux. Par exemple, en faisant «exploser» la voiture de Kid Cudi. Dans un courriel que Cassie envoie à l'époque et présenté au jury, elle affirme déjà que Sean Combs l'a menacée de publier deux sex tapes et de les «blesser», elle et son nouveau petit ami. Avec une nuance:
Un tel incident aura bel et bien lieu. Le véhicule de Kid Cudi explose dans son allée, en marge de la Fashion Week de Paris, en 2012. Cassie a arrêté de le fréquenter. «C'était tout simplement trop.»
Alors, elle est retournée auprès de Sean Combs. Et les agressions ont repris de plus belle.
Pendant ce temps, les demandes insatiables sexuelles de Diddy et ses tristement célèbres «freak-offs», dont les jurés auront quelques images en main durant le témoignage de la jeune femme, lui laissent des séquelles de plus en plus douloureuses.
Outre des plaies sur la langue, elle est atteinte régulièrement d'infections urinaires douloureuses et résistantes aux traitements. «A un point tel que le Cipro n'a plus fait effet», explique-t-elle à la barre, en référence à un puissant antibiotique.
Alors, Cassie fait de son mieux pour guérir en buvant beaucoup d'eau et en prenant des compléments alimentaires à base de canneberge.
Mais surtout, elle développe une forte dépendance aux opiacés, qu'elle consomme pour se calmer après la prise de MDMA, d'ecstasy - ou encore de kétamine, sa «préférée» pour les freak-offs, car cette drogue est «très dissociative». «Les opiacés me donnaient une sensation d'engourdissement, c'est pourquoi j'en avais tant besoin», se souvient Cassie. Pourquoi vouloir se sentir engourdie, lui demande la procureure?
La journée touche à sa fin lorsque Cassie raconte une sorte de «dîner d'adieu» à Malibu, en août 2018, pour marquer officiellement la fin de leur relation. Elle fréquente alors déjà Alex Fine, son entraîneur personnel que Diddy avait engagé pour elle, et futur mari.
Lors de cette «conversation de clôture» et tout au long du repas, Cassie est une agréable surprise. Son ex-compagnon se montre «vraiment gentil, joueur, rieur». L'ambiance est «romantique» et «normale», compte tenu de leurs nombreuses années tumultueuses passées ensemble. «A ce moment-là, il essayait de me convaincre d'aller à Burning Man», se souvient Cassie.
Diddy lui propose alors de la ramener chez elle «comme d'habitude; rien de bizarre». Après une longue pause à la barre des témoins, Cassie Ventura reprend sur un ton laconique.
«Je me souviens juste avoir pleuré et avoir dit "non", mais c'était très rapide», a-t-elle témoigné. Elle n'est même pas sûre qu'il ait remarqué ses pleurs.
Après le viol présumé, les relations entre Cassie et Diddy ne s'arrêteront pas net. Les anciens amants échangeront régulièrement quelques «checks» pour prendre des nouvelles. Les menaces, elles aussi, ont continué.
Le point culminant de cette deuxième journée à la barre a lieu quelques instants plus tard. Largement impassible tout au long de son témoignage, Casandra Ventura finit par craquer lorsqu'elle doit expliquer pourquoi elle raconte un épisode survenu bien des années plus tard, en 2023.
Un jour de février, peut-être mars, alors qu'elle est en train de jouer dans un clip, d'«horribles flashbacks» l'accablent. De retour à la maison, après avoir glissé ses deux filles au lit, Cassie lâche à son mari: «Tu peux te débrouiller sans moi. Tu n'as plus besoin de moi ici.»
C'est dans le cadre d'une cure de désintoxication et d'une thérapie pour les traumatismes que Cassie a écrit un livre qui revient sur son expérience. «Je voulais vraiment que Sean le lise, je voulais qu'il comprenne», explique-t-elle.
Chose promise, chose due, la chanteuse a fait parvenir son ouvrage à un avocat de Sean Combs et exigé 30 millions de dollars pour les droits, en guise de compensation. Puis, en novembre 2023, elle a porté plainte. Un accord à l'amiable a été conclu quelques heures plus tard, pour 20 millions de dollars, un montant divulgué pour la première fois ce mercredi.
Lorsque la procureure s'est enquis des motivations de son témoignage, Cassie répond simplement. «Je ne peux plus supporter ça. Je ne peux plus supporter la honte, la culpabilité. Ils ont utilisé les gens comme s'ils étaient jetables. Les escortes. Tout le monde. N'importe qui.»
Casandra Ventura sera de retour ce jeudi au tribunal, pour son contre-interrogatoire, lequel devrait se prolonger jusqu'à vendredi. Alors qu'elle termine son récit et quitte la salle d'audience, ce jeudi, Sean Combs, pour sa part, s'est tourné vers les membres de sa famille présents dans la galerie des spectateurs. Il leur a murmuré: «Je vais bien.»