Il a fait froid, cette semaine, dans la salle d'audience n°26 de la Cour du district sud de New York. Si froid que l'une des avocates de Diddy s'est présentée affublée d'une doudoune. En y ajoutant une écharpe ou un châle autour du cou.
L'atmosphère glaciale de la pièce était aussi, peut-être, renforcée par le témoignage de «Jane» - un pseudonyme pour protéger sa vie privée. La femme qui a partagé la vie du magnat de la musique entre 2021 à 2024, avant son arrestation à New York pour racket et trafic sexuel. Sa dernière compagne «officielle».
Six jours durant, Jane a raconté comment le producteur le plus puissant de l'industrie musicale l'avait attirée dans son univers. Un monde fait de voyages exotiques, de cadeaux extravagants et de soirées affriolantes. Mais aussi de drogues et des tristement célèbres «freak-offs» - des tournages pornographiques privés, sous drogues, tournés et dirigés par le rappeur, qui peuvent s'étaler sur plusieurs jours.
Ce témoignage était capital pour l'accusation. Une illustration flagrante de la manière dont Sean Combs, de son vrai nom, aurait fait usage de son argent, son pouvoir, ses employés, de menaces et de violence pour faire du trafic de femmes vulnérables.
Ferme et calme au moment d'entamer ce sixième jour à la barre, Jane a fourni un aperçu inédit des deux dernières années de la vie de Sean Combs. C'est avec elle que le rappeur se trouve lorsque la vidéo de son altercation avec Cassie, en 2016, est publiée sur CNN. Et lorsque qu'une montagne de problèmes juridiques et d'accusations d'agression sexuelle menace de démanteler l'empire musical et la réputation farouchement protégée de Diddy.
Comme la chanteuse Cassie avant elle, Jane a témoigné du besoin constant de son partenaire d'être diverti. Par «diverti», entendez d'assister aux performances sexuelles de sa petite amie avec des escorts masculins. Parfois plusieurs. Des «nuits à l'hôtel», comme Jane les surnomme, qui la laissent «endolorie, fatiguée, épuisée et dépassée».
Fin 2023, lorsqu'elle tente de formuler ses réserves sur ces orgies alimentées par la drogue, leur relation commence «à se détériorer». «Je ne suis pas une star du porno. Je ne suis pas un animal. J'ai besoin d'une pause… Je suis dans une impasse», lui écrit-elle par SMS, en octobre.
A la barre, cette semaine, la témoin fond en larmes lorsque des messages d'amour sont exposés devant les jurés. Entre deux sanglots, elle lâche: «Je lui en veux parce que je l'aimais tellement et que je ne pouvais pas lui dire non.»
Jeudi, après avoir admis sur demande des avocats de Diddy qu'elle éprouve toujours des sentiments pour lui, Jane clame qu'elle aurait volontiers renoncé à tout - argent, vacances et cadeaux dispendieux - si cela l'avait libérée de la charge des «nuits à l'hôtel» et de ce qu'elles impliquent.
Tout ce à quoi elle aspire pendant plus de trois ans, affirme-t-elle, c'est d'une relation «normale». Alors, quand Sean Combs passe du temps avec d'autres femmes - des femmes qu'il ne pousse pas à des marathons sexuels - elle est devient malade. «Jalouse». «J'étais là, à supporter cette pression insupportable. On ne m'a pas demandé comment je m'en sortais», lâche Jane la barre.
Mais, à l'époque, elle n'a pas franchement le choix. A compter de 2023, le magnat musical prend en charge son loyer et lui verse 10 000 dollars par mois pour compenser sa perte de revenus - les «freak-offs» ne lui laissent plus la possibilité de travailler et à peine le temps de booker une nounou pour son enfant.
«J'ai senti que je devais faire des 'nuits d'hôtel' pour maintenir ma stabilité», glisse-t-elle. Lorsque le procureur demande à Jane si son compagnon l'avait déjà menacée d'arrêter de payer son loyer en cas de refus, la réponse tombe. Nette. «Plusieurs fois.»
«Vous n'étiez pas prête à abandonner votre maison, n'est-ce pas?» s'enquiert également l'avocat de la défense, en référence à la maison de Los Angeles dont Sean Combs paie actuellement encore le loyer.
Puis, tout a changé. En novembre 2023, Diddy fait l'objet d'une enquête criminelle très médiatisée après que son ex-compagne Cassie ait déposé plainte contre lui pour agression sexuelle. En lisant l'acte d'accusation de 35 pages, Jane manque de défaillir. «C'était un cauchemar… Je n'arrive pas à croire que je lis ma propre histoire», se souvient-elle. «C'était exactement mon expérience et mon angoisse.»
A l'époque du lancement l'enquête fédérale, Diddy se montre tout à coup plus attentionné, moins égocentrique. moins froid. Ses amis encouragent malgré tout Jane à le quitter. Constatant des signes positifs, elle préfère rester. Jusque-là, malgré ses demandes sexuelles, il ne l'avait encore jamais frappée. L'accalmie n'a pas duré. Fin 2023, le couple rompt une première fois.
C'est après cette première rupture que Jane saute dans un jet privé pour Las Vegas, en compagnie d'un célèbre rappeur - dont l'identité n'a pas été révélée au tribunal, mais décrit par un avocat comme une «icône de l'industrie musicale» dont Diddy était proche et avec lequel il a collaboré.
Au cours de ce voyage, se souvient Jane à la barre, la petite bande se rend d'abord à un dîner organisé pour la petite amie du rappeur anonyme, puis dans un club de strip-tease, avant de retourner à la chambre d'hôtel. C'est là qu'une demi-douzaine d'invités se rassemblent autour d'Anton, un escort masculin avec lequel Jane a elle-même déjà régulièrement participé à des «soirées d'hôtel» avec Diddy, en pleins ébats avec une femme.
Le rappeur et sa petite amie s'approchent alors de Jane et lui demandent si elle ne connaîtrait pas quelqu'un dans «ce style de vie». Après avoir nommé un acteur, Sly, Jane quitte la pièce.
Elle n'évoquera cet incident à Sean Combs qu'en juin 2024, alors qu'ils ont repris leur relation. Mal lui en a pris. Fou de rage, le rappeur la bat pour la première fois, lui infligeant des coups, des bleus de la taille d'une balle de golf et un œil au beurre noir. Après quoi, Jane est contrainte par son compagnon à se remaquiller, avant de devoir prodiguer une fellation à Anton, la star de cinéma pour adultes qui avait déjà participé à plusieurs scènes de sexe avec le couple.
Un épisode dont elle n'a d'abord parlé qu'à ses avocats - des avocats payés par Sean Combs, après que des agents fédéraux se soient rendus chez elle pour obtenir des informations sur le rappeur, suite au procès intenté par Cassie Ventura en novembre.
A l'été 2024, le couple qui s'est rabiboché planifie un voyage à New York. Il n'aura jamais lieu. Sean Combs sera arrêté et jeté en prison avant.
Alors que le procès touche à la fin de sa sixième semaine ce vendredi, les procureurs ont laissé entendre qu'ils pourraient conclure leur plaidoirie dans le courant de la semaine prochaine. Les avocats de Sean Combs, quant à eux, n'ont toujours pas précisé si le rappeur témoignerait - ni ce qu'ils réservaient au jury avant la fin du procès.
Quant à Jane, qui a affirmé être sous thérapie depuis trois mois, la témoin s'est fendu d'un geste inhabituel en quittant la barre, après six jours de témoignages crus et épuisants. Après avoir serré la procureure adjointe Maurene Comey dans ses bras, elle s'est dirigée vers l'avocate de Diddy, Teny Geragos, qui venait tout juste d'achever son contre-interrogatoire. Avant de l'enlacer.
Ceci fait, la témoin a quitté la salle, son témoignage enfin terminé. «Je prie simplement pour sa guérison et pour qu'il retrouve la paix», a-t-elle lâché au sujet de son ancien amant.