Il n'avait pas très envie d'être là, David James, ce lundi, pour témoigner contre son ancien patron. Ma foi, on ne lui a pas laissé le choix. Mais force est d'admettre qu'entre deux sanglots et rires dans l'assistance, l'ex-assistant n'a pas été avare en détails. Il a donné le ton dès le début, lorsqu'on lui demande de décrire son rôle au service de l'homme qui est alors le plus puissant de l'industrie musicale américaine, entre 2007 et 2009.
Lors de son contre-interrogatoire par la défense de Diddy, l'avocat Marc Agnifilo a prévenu le témoin qu'il risquait de poser quelques questions plus banales. David James lui a répondu avec humour qu'il aimait les questions banales - ce qui a eu don de provoquer des rires dans la galerie.
Au milieu d'un procès rempli de détails d'abus sexuels plus glaçants les uns que les autres, autant dire que la perspective de questions plus «ordinaires» a été accueillie avec soulagement dans la salle d'audience.
Diddy, David James avait toujours voulu bosser pour lui. Plus précisément depuis 2004, alors qu'il étudie à Londres et s'achète des vêtements de la marque fondée par le rappeur. «Puff Daddy», comme il s'appelle alors, David l'admire. C'est un entrepreneur accompli, un autodidacte, un génie créateur, pense-t-il.
Alors, quand David voit passer dans le New York Times une annonce pour un poste d'assistant au sein de son label, le jeune homme postule à plusieurs reprises. Il envoie son CV par FAX, courrier électronique et le dépose en personne au bureau new-yorkais.
Lorsqu'enfin, David décroche un entretien d'embauche, on le prévient d'emblée. En lui désignant un portrait du rappeur accroché au mur, une responsable RH lui dit:
Autre conseil prodigué très vite au jeune assistant par les agents de sécurité du rappeur? «Rester dans sa voie» et éviter de poser trop de questions. «Je savais qu’il ne fallait pas les embêter, mais les écouter», se souvient David James au tribunal.
Il faut croire que cela n'a pas effrayé le postulant, puisqu'il se retrouve vite embauché en tant qu'«agent de liaison personnel». Son travail consiste alors à s'assurer que le patron a tout son temps de cerveau disponible pour gérer son entreprise, en lui rendant «chaque environnement confortable».
La journée commence avant le réveil de Sean Combs et s'achève tard dans la nuit, parfois au petit matin. Elle débute par la coordination avec son chef de cuisine privé pour le petit-déjeuner, avant de poursuivre avec la compilation des articles de presse à son sujet ainsi que de documents commerciaux à remettre au patron pour signature. Le job implique également la gestion de son emploi du temps et ses déplacements.
Autant dire que David James ne chômera pas, durant ses deux ans, au service du magnat musical. Son nouvel assistant personnel travaille entre six à sept jours par semaine, jusqu'à 20 heures par jour - et ce, jusqu'à parfois trois semaines d'affilées sans prendre un seul congé. Une éthique de travail qu'il doit, selon lui, à son enfance à Flint, dans le Michigan. D'autres ne tiennent pas la cadence. Un assistant aurait été hospitalisé pour déshydratation après une garde de 24 heures.
Mais l'équipe de Sean Combs a un dicton:
Si faire partie de l'équipe de Sean Combs revêt certains avantages, comme voyager gratuitement à travers le monde, séjourner sur un yacht, dans une villa de luxe ou participer à des fêtes, c'est aussi synonyme de méfiance et de surveillance constante.
A deux reprises, David James est contraint de passer au détecteur de mensonges. La première fois, en 2007, après que le rappeur ait constaté la disparition d'argent liquide. Environ six mois plus tard, après le vol d'une montre Cartier. «J'étais encore plus nerveux la deuxième fois», témoigne-t-il mardi.
Il faut dire que Sean Combs est à la limite de la paranoïa. Lorsqu'il se déplace, son service de sécurité comprend souvent une deuxième voiture, car il craint une fusillade à un stop. Nombreux sont les fans qui essaient de toucher le célèbre rappeur ou lui réclament un autographe - que son ancien patron refuse toujours de signer. C'est au personnel qu'il revient d'imiter sa signature sur divers articles et de les envoyer au nom de Diddy.
Paranoïaque à raison, peut-être, puisque Sean Combs est empêtré dans d'innombrables affaires louches. David James se souvient parfaitement de cette nuit où, trois armes de poing sur les genoux, Diddy ordonne à son assistant de le conduire au Mel's Diner de Los Angeles, à une quinzaine de minutes de chez lui, où se trouve alors son rival Suge Knight. Cassie le supplie de ne pas y aller.
Un ordre est un ordre. David James obéit et conduit la Lincoln Navigator du boss jusqu'au restaurant. Tout au long du trajet, il se souvient avoir ressenti une «étrange sensation de calme». Lorsqu'ils arrivent sur place, Suge Knight a, heureusement pour lui, déjà quitté les lieux.
Mais l'un des principaux jobs de David James consiste d'abord et avant tout à préparer les chambres d'hôtel de Diddy avant ses tristement célèbres «freak-offs», qui impliquent drogues, travailleurs du sexe et petites amies.
A l'hôtel Trump International de New York, le «préféré» de Diddy, l'assistant devient un visage si familier du personnel qu'on lui laisse une clé. Les chambres sont généralement réservées sous le pseudonyme de «Frank Black».
C'est à David de s'assurer que la chambre est approvisionnée pour des orgies qui peuvent se prolonger sur plus de quatre jours. Sur la liste des besoins du maître? Une quarantaine de produits cosmétiques, un survêt' Jordan, des sous-vêtements, des chaussettes, des iPad neufs, de l'huile pour bébé, du lubrifiant et des préservatifs, ainsi que divers en-cas, notamment de la compote de pommes, du Jell-O et de l'eau de Fiji.
(Et oui, avant que vous ne posiez la question: selon David James, Diddy utilise la compote de pommes pour en garnir ses pizzas et ses cheeseburgers.)
Sans oublier de livrer un stock de médicaments suffisant pour assommer une écurie de chevaux de course. Parmi les «35 à 40» flacons de pilules différents: de l'Advil, du Tylenol, des pilules d'eau (pour perdre du poids), du Viagra et des médicaments «pour augmenter son nombre de spermatozoïdes», ainsi que du Percocet et de l'ecstasy. Citons également des «pilules estampillées du visage du président Barack Obama».
Le tout est transporté jusque dans la chambre d'hôtel de Sean Combs dans un sac Louis Vuitton, contenant aussi généralement de grosses sommes d'argent en espèces pouvant aller jusqu'à 10 000 dollars. C'est ce même sac qui sera saisi par la sécurité lors d'une descente dans l'hôtel de Combs à New York, en septembre 2024, peu après son arrestation.
C'est aussi à l'assistant dévoué qu'il revient de remballer les provisions de nourriture, de ramasser les drogues et les préservatifs laissés sur place, au milieu des chambres souvent saccagées, souillés d'huile pour bébé et de sécrétions diverses et variées.
Un autre ancien assistant personnel de Sean Combs, Phillip Pines, qui a œuvré pour lui entre 2019 et 2021, a livré un témoignage similaire dans une plainte déposée en décembre 2024. L'employé a notamment rapporté avoir reçu l'ordre d'installer:
S'il assure lors de son témoignage n'avoir jamais vu Sean Combs se montrer violent envers Cassie, David James confesse en revanche avoir déjà consommé de l'ecstasy au cours d'une fête organisée par son chef, à l'occasion du Nouvel An.
Mal lui en a pris. Car un vidéaste qui traîne dans les parages ne manquera pas d'immortaliser la scène.
«Dis donc, Playboy, c'était toi qui dansais à la fête?» lui demandera Diddy par la suite, la vidéo en main. Quand l'assistant lui répond par l'affirmative, son employeur lui répond calmement: «OK. Je vais garder ces images. Au cas où je pourrais en avoir besoin.»
Lorsque, lundi, le procureur lui a demandé ce que cela pouvait signifier, David James précise: «Que je serais gêné.»
En effet, comme tant d'autres, le voilà coincé.